Algérie

A propos du film «Histoires à ne pas dire» de Jean Pierre Liedo



A propos du film «Histoires à ne pas dire» de Jean Pierre Liedo Je n’ai pas vu ce film et je ne le verrai pas. Aussi bien mon intention n’est point d’en rendre compte ici ni de commenter les images et les scènes dont il est composé. De l’avis de certains intellectuels algériens tels que Benamar Mediene et Brahim Senouci qui l’ont vu, ce film est du même tonneau que ces médiocres productions cinématographiques qui sont tout miel tout sucre quand elles parlent des colonisateurs français et qui médisent, raillent et rabaissent sans ménagement les Algériens et leur lutte héroïque contre l’occupant Français. Si jamais, dans l’histoire du pays de l’Emir Abdelkader et du grand Moudjahid le Président de la République Abdelaziz Bouteflika, une époque mérite d’être glorifiée, à l’instar de la période 1830-1847, c’est bien celle du 1er Novembre 1954. Des historiens français de premier plan dont il est loisible d’en dresser la liste ont loué intarissablement les qualités d’un grand nombre de résistants algériens. Il n’y a que ceux qui ont hérité de l’hostilité de leurs compatriotes qui ont fui l’Algérie au lendemain de son indépendance qui parlent avec malveillance de ce qui ressortit à la guerre de libération nationale. Ils ont été injustes à son égard autant par principe que par rancune politico-religieuse.A en croire ceux qui ont vu le film de Jean Pierre Liedo, celui-ci sans gêne ni retenue a débité des erreurs, des contrevérités impardonnables sur la longue et douloureuse période de colonisation de l‘Algérie. Eh bien! Puisqu’il le veut, je n’irai pas par quatre chemins pour lui rappeler quelques injustices inhumaines que la colonisation française a commises en Algérie. Je sais bien qu’on doit supporter l’opinion de l’autre, mais la liberté d’expression n’est pas sans l’imite. Il faut être un butor pour se permettre au nom de la prétendue liberté d’expression d’attenter à la considération et à la dignité politique et religieuse de tout un peuple. Comme les Français qui n’aiment pas qu’on glorifie la période sinistre de l’occupation d’une grande partie de la France par les nazis, nous n’aimons pas entendre parler avec bienveillance de la période 1830-1962 qui fut pour nous un temps de malheur qui n’a pas son ressemblant dans toute notre histoire. De ce passé indésirable que nous voulons oublier, en voici Monsieur Jean Pierre Liedo, quelques fresques dont vous et vos pareils n’en recueilleront ni louanges ni fleurs. J’entre sur le champ. Evidement, je n’ai pas l’intention d’aborder ici toute l’histoire des 132 ans de colonisation. Je survolerai seulement l’état social et culturel de l’Algérie avant 1830. Si on interroge quelques historiens français tels que François Gautier et Edmond Nores, à ce sujet, on n’aura qu’une idée incomplète et absolument fausse de la civilisation algérienne à cette époque. Comment s’en étonner? Ces gens ont attaqué, décrié tout ce qu’il y avait chez nous de grand et de beau dans le seul but de satisfaire à l’égoïsme excessif et à l’égotisme effréné des colons français. Et puis et surtout le péril était grand de reconnaître que la France coloniale allait instituer sa civilisation dans un pays déjà doté d’une brillante civilisation. Le manque de probité et la méprise de ces historiens sont lourds et graves. Le prétendu chaos de barbarie n’existait que dans leur cerveau. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler ici le témoignage d’érudits, d’hommes politiques français et même d’une tête couronnée qui ont dit beaucoup de bien de l’Algérie avant 1830. Avant de connaître leurs avis, il importe d’exposer l’opinion des adversaires de l’Algérie arabe et musulmane. Voyons donc ce qu’ont dit les uns et les autres à ce sujet. Le 13 décembre 1927, le gouverneur général Violette institua un commissariat général du centenaire de la prise d’Alger. Pour imprimer à la commémoration du centenaire un caractère de grandeur, on créa une commission présidée par le recteur de l’académie d’Alger qu’on chargea de faire paraître une collection de volumes établissant le bilan de «l’oeuvre accomplie par la France durant la période 1830-1930». Quelques professeurs des facultés des lettres et de droit de l’université d’Alger, soutenus par les délégations financières, prirent à tâche de préparer en quelques mois des volumes consacrés à l’inventaire des réalisations entreprises dans leurs domaines respectifs depuis 1830. Mais ce n’est pas tout: ces professeurs avaient également pour mission de rappeler au monde dans leurs écrits «combien la France dans son œuvre de civilisation des Etats barbaresques, fut patiente, affectueuse et magnanime». C’est ainsi que tel professeur dressa le bilan de l’agriculture, tel autre encore celui de l’enseignement, tel autre enfin le bilan de la justice. Ces auteurs n’ont pas déçu les services du gouverneur général qui attachait un grand prix au résultat de leurs travaux. Tant s’en faut! J’ai lu quelques-uns de ces livres. Je dois le dire, ils auraient été des ouvrages remarquables s’ils avaient été l’œuvre d’historiens impartiaux, équitables et sérieux. Ces auteurs exagèrent tout. Ils font tout trop grand et trop beau quand ils parlent des colons, de l’armée et tout trop petit et misérable quand il s’agit des Arabes. Aux Français, la louange, aux Arabes le blâme, la médisance et la haine. Parmi ces historiens, je citerai deux: Emile François Gautier et Edmond Nores. Dans son ouvrage «Un siècle de colonisation», E.F. Gautier écrit: «L’Algérie de 1830 n’avait ni un pont, ni un mètre de route, ni même à proprement parler une voiture.» Cela n’est pas seulement une exagération. C’est un pur mensonge. L’Algérie avait beaucoup de passerelles et de viaducs, dont certains dataient du temps des Romains et se portent aujourd’hui encore comme le Pont Neuf. Si elle n’avait pas de route à grande circulation, l’Algérie comptait en revanche d’innombrables sentiers longs et larges qui laissaient le passage non seulement aux piétons mais aux voitures hippomobiles. C’est poursuivre les sentiers battus que d’affirmer que vers les premières années du XIXe siècle, ni la France ni l’Algérie n’avaient de voitures automobiles avec des moteurs à vapeur et, encore bien moins, avec des moteurs à explosion. En lisant un siècle de colonisation, j’étais à cent lieues de penser que pour écrire ce livre, E.F. Gautier a dû se contenter d’une lichette d’histoire d’Alger. A Alger, à Oran, comme partout en Algérie, de même qu’on labourait à la charrue, on utilisait les voitures servant au transport des personnes et des choses: charrettes à bras, tombereaux hippomobiles, calèches, etc. Oh! On sait très bien qu’un siècle après la colonisation, des milliers de kilomètres de chemins de fer, de routes nationales et de chemins de grandes communications ont été réalisés. Oui, on le sait, mais on sait aussi que ces routes et ces chemins ont été faits au profit des colons et de l’armée française. Si seulement on voulait reconnaître les sévérités, les brimades que des brutes farouches et impitoyables faisaient subir à nos frères pendant les travaux de ces chemins et de ces routes! Ils les faisaient travailler dans des conditions propres de l’esclavage. Dans son livre, L’œuvre de la France en Algérie: la justice 1830-1930, Edmond Nores écrit: «S’il est un fait acquis à l’histoire, c’est qu’avant la conquête française, l’Algérie était dans le pire état de désordre et d’anarchie et en proie aux rapines, aux exactions, aux brigandages, à la plus sanglante et à la plus féroce des tyrannies. A cet abominable régime, la France, grâce avant tout à l’héroïsme et au labeur de ses soldats et de ses colons, a substitué la paix, l’ordre, la prospérité, la sérénité et la justice». Ces lignes montrent qu’il faut avoir bien du toupet pour déguiser, altérer la vérité et mentir ainsi sciemment à ses contemporains et aux générations futures. Le moraliste français Joseph Joubert (1754-1824) disait: «L’on peut convaincre les autres par ses propres raisons, mais on ne les persuade que par les leurs». Paraphrasant cette maxime, on peut ajouter que la persuasion peut s’obtenir non seulement par leurs raisons mais aussi par celles de leurs coreligionnaires. A différentes époques de l’histoire de la colonisation de l’Algérie, il s’est trouvé des intellectuels et des hommes politiques français pour réfuter, arguments à l’appui, cette erreur beaucoup trop répandue que l’Algérie était, avant 1830, un pays de barbarie et de piraterie. On peut citer à cet égard les propos de Rouire qui disait: «Implanter la race française en Algérie et coloniser ce pays n’étaient pas chose facile, parce que le peuple algérien avait pris contact depuis des siècles avec l’Europe et l’avait dominée en partie. Il avait une civilisation avancée se rapprochant de celle de la France, une religion à laquelle il était opiniâtrement attaché, avait conscience de sa nationalité et répugnait par ses mœurs et ses idées à toute assimilation ou fusion». Il serait aisé de rappeler ici d’autres écrits d’intellectuels français qui ont témoigné de l’admiration pour l’éclat de la civilisation de l’Algérie avant sa conquête par la France. L’oserai-je dire? Napoléon III. Lui-même a exprimé son admiration pour nos mœurs et nos coutumes lors de son voyage en Algérie en septembre 1860. Parcourant les plaines de l’Oranie, il fut séduit par le charme chevaleresque de nos guerriers. Ecoeuré par les abus des colons, il supprima le ministère de l’Algérie et accrut les pouvoirs militaires. Sa lettre adressée au gouverneur général Pélissier le 6 février 1863 se passe de commentaire. «On ne peut admettre, écrit-il, qu’il y ait utilité à cantonner les indigènes, c’est-à-dire à prendre une certaine portion de leurs terres pour accroître la part de la colonisation». Et d’ajouter: «L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe.» Cette lettre impériale écrite sous l’influence des bonnes impressions recueillies par l’empereur en Algérie souleva le plus vif mécontentement des colons. S’il existe quelque part au monde un pays où le phénomène colonial ait abouti à l’anéantissement de l’homme, c’est bel et bien l’Algérie. C’est en Algérie, sous domination française, que les emprisonnements, les déportations, les exécutions sommaires et des fusillades secrètes étaient monnaie courante durant près d’un siècle et demi. L’oppression et les abus, dont étaient victimes sempiternellement les Algériens, ont été maintes fois dénoncés par des esprits généraux et clairvoyants. En parlant de la colonisation et de ses injustices, le prêtre français Jean-Marie de Lamennais (1780-1860) a dit: «Là où on sème l’injustice, tôt ou tard on moissonne les calamités.» On sait que c’est Jules Ferry (1832-1893) qui a imposé le protectorat français à la Tunisie et conquis le Tonkin. De plus, il était bien connu pour ses positions de colonialiste assimilateur. Eh bien, cet homme lui-même a fustigé l’état d’esprit des colons vis-à-vis du peuple algérien. «Il est difficile de faire entendre au colon européen qu’il n’existe d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci», dit-il. Tous les juristes connaissent les traités élémentaires de législation algérienne du professeur et avocat Emile Larcher. Cet homme, qui était d’un tempérament combatif et qui prit une part active dans la défense du colonialisme, méduse tout un chacun pour avoir écrit à la page 123 de son tome I: «Mais ce n’est pas à dire qu’on puisse approuver la politique de contrainte et d’illégalité qui a trouvé sa manifestation dans la création en 1902, des tribunaux répressifs indigènes et des cours criminelles, dans la collation aux administrations des communes mixtes des pouvoirs de juges de simple police et dans maintes circulaires tendant à substituer l’administrations à la justice: ces mesures étaient haineuses, rien ne les justifiait.» Un Philosophe et homme politique prestigieux, Jean Jaurès (1859-1914), a bien souvent plaidé la cause des Algériens et j’aurais tant aimé reproduire ici en entier son très remarquable article intitulé «En Algérie», paru le dimanche 12 juin 1898 dans le Petit Journal. La place marquante, je me borne à en extraire le passage suivant: «Le peuple algérien a subi l’exploitation brutale du régime militaire pour être dévoré par la procédure française et l’usure juive. Mais même dans cette dernière période de l’exploitation, qui est particulièrement juive, les colons, les antijuifs de France et d’Algérie ont leur large part de responsabilité. A dessein, par convoitise, par peur, ils ont rabaissé la race arabe. Ils lui ont retiré ses écoles supérieures; ils lui ont marchandé le savoir nouveau en lui retirant le savoir ancien. Ils lui dérobaient sa civilisation pendant que les juifs lui volaient sa terre. Ils lui refusaient les droits politiques et ils le livraient ainsi plus sûrement au code expropriateur et à l’usure». Ces lignes écrites par ce député socialiste et fondateur du journal l’Humanité ne manquaient pas de vérité. Ce qu’elles contenaient suffisait pour prouver combien était inhumain et douloureux le régime colonialiste. Tel était aussi l’avis d’un grand nombre de parlementaires français dont Mille Voy, Doisy, Abel Ferry qui déclarèrent le 3 février 1909 à la chambre: «Au point de vue de l’impôt, les Algériens paient le triple, le quintuple des Européens et parfois même davantage, et c’est pourtant aux colons qu’est faite la plus large part dans les dépenses. Les premiers paient et ce sont les seconds qui consomment». Indépendamment de ces exactions que subissaient quotidiennement les populations de nos villes et de nos compagnes, une tempête furieuse fauchait tous ceux qui luttaient pour bouter l’ennemi hors de notre pays. Mais en novembre 1954, le peuple algérien sous l’impulsion d’une moisson de résistants, animés par le sève brute du patriotisme, mit sur pied ses forces, sa foi et sa volonté et chassa après une guerre de huit années l’ouragan qui laissa place au soleil radieux de la liberté et de l’indépendance.   Rachid Benblal Avocat & Historien


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