Algérie

À propos de « Torchage du gaz : l'Algérie fortement appréciée», de Réghis Rabah



Publié le 25.07.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Nadir Marouf*

Il n'est pas question de remettre en cause le caractère hautement savant de l'article portant sur ce qu'il convient d'appeler vulgairement « gaz de schiste».

L'auteur est incontestablement au cœur d'un sujet primordial pour notre pays, mis en perspective des enjeux technologiques de l'activité minière du pays.

La question est, en revanche, de savoir si un exposé de cette teneur technicienne peut être affublé du qualificatif d'exposé scientifique.

Il est couramment admis que l'objectivité scientifique n'est pas réductible à la seule dimension techniciste, laquelle par ailleurs n'est assimilable que par une très faible minorité de lecteurs…

En effet, la partie cachée de l'iceberg techniciste ou technicien, c'est l'impact de l'aventure schisto-gazière, notamment à In Salah, pour la paysannerie oasienne du Tidikelt, voire du Touat et du Gourara, soit un territoire qui équivaut à la superficie de la France.

Ce que l'article de Monsieur Réghis ne dit pas, c'est la réaction de cette paysannerie qui, pour la première fois dans l'histoire du combat environnemental, occupe le terrain des revendications qui, dans les pays du Nord, restent l'apanage d'une élite urbaine, fortement imprégnée des questions écologiques. Nous avons pu constater récemment le hiatus, en France, entre les tenants de la fin du monde, et le monde paysan qui est plus préoccupé par ses fins de mois.…

Pourtant, sans être comparables à l'élite issue des démocraties libérales, militant pour la Révolution écologique, nos paysans oasiens ont su, d'une seule voix et loin de tout mimétisme occidental, identifier les enjeux écologiques de nature à hypothéquer leur mode d'existence séculaire, celui d'une agriculture fondée sur l'exploitation minière de la ressource hydraulique.

Dans le milieu des années 80, j'avais, à la demande du wali d'Adrar, organisé un colloque international sur les perspectives de l'agriculture saharienne. A l'époque, l'importation massive des céréales grevait drastiquement nos ressources en devises, à une époque où le prix de vente des hydrocarbures à l'exportation est descendu à moins de 16 dollars le baril. C'était l'une des raisons qui ont conduit le gouvernement Chadli à produire un texte de loi sur la rénovation hydraulique, permettant de prospecter le continental intercalaire, plus largement connu sous le terme de nappe albienne. Dès lors, l'agriculture saharienne change de visage.

Les nouveaux investisseurs venus du nord du pays, et n'ayant pour la plupart aucun lien avec l'agriculture saharienne, ont drastiquement investi sur les technologies sophistiquées en matière de modernisation, à quoi s'ajoutait une irrigation soumise aux fameux pivots mobiles qui rendent l'exploitation hydraulique traditionnelle anachronique. Sauf que se dessine en même temps un système bipolaire mettant face à face des exploitants mettant en valeur des macro-exploitations de milliers d'hectares et des exploitants de foggaras traditionnelles, travaillant sur des micro-parcelles, de nouvelles victimes d'une évasion de main-d'œuvre, concernant notamment les Harratin (statut servile), au profit des nouvelles exploitations. On voit le retour de l'ancien décor colonial où prévalait la grande propriété moderne jouxtant la paysannerie traditionnelle à la marge. De nombreuses thèses, voire des enquêtes universitaires, ont pu être publiées sur ce sujet. Des leçons ont pu être tirées, notamment une politique d'accompagnement permettant à l'agriculture oasienne de ne pas disparaître.

La question relativement récente de la fracturation hydraulique concernant l'exploitation du gaz de schiste a été posée au premier degré par la petite paysannerie elle-même, qui n'a pas oublié l'épisode de la rénovation des années 80, qui l'avait profondément impactée.

L'exploitation du gaz de schiste est vécue comme un bis repetita par cette même paysannerie, luttant contre sa disparition à terme, craignant à cet effet que la fracturation du gaz de schiste n'entraîne une pollution des nappes phréatiques exploitées depuis des siècles, et constituant le mode de faire-valoir de ces paysans d'en bas.

Il ressort de ce constat que la problématique technicienne du « gaz torché» reste insuffisante pour que le critère de scientificité soit acquis.

*Professeur Émérite en anthropo-écologie



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