Algérie

A propos de la prétendue crise du 7è art algérien (1ère Partie)



Vendredi 23 mars écoulé l'intéressante émission culturelle «Foussoul» de l'ENTV, en soulevant la question de la crise du cinéma algérien nous a laissé, quelque peu, sur notre faim et pour cause. Les honorables journalistes, écrivains, critiques universitaires et cinéastes conviés au débat ont, certes, tenté de décortiquer les sempiternelles causes de la léthargie du cinéma algérien mais n'ont pas du tout, à notre humble avis, cerné les éléments déterminants à l'origine du marasme du septième art algérien. En effet, au lendemain de l'indépendance le cinéma algérien, qui a connu une période relativement faste, c'est bien connu, le devait surtout au fait que toute la production cinématographique et audiovisuelle-tv, au service alors de l'idéal national compréhensible de l'heure, bénéficiait et des largesses du monopole d'Etat et du réseau d'exploitation et de distribution en place en 1962. Les films de l'ex-ONCIC et l'ex-RTA en général, qui traitaient des hauts faits de la guerre de Libération nationale, et par la suite des implications sociales de la Révolution agraire, industrielle et autres, étaient bien vus en général par les producteurs apparatchiks de l'époque qui ne lésinaient pas sur les moyens. Des oeuvres qualitatives ont pu ainsi voir le jour et connaître même la consécration internationale (Le vent des Aurès, La Bataille d'Alger, etc.). De son côté la télévision, qui était ouverte sur les apports des auteurs dramatiques, écrivains et dramaturges nationaux et parvenait à produire honorablement quelques séries de films sociaux et policiers notamment (Essahar, la série de l'inspecteur Tahar, les polars de Mohamed Badri et Mehdaoui, les oeuvres marquantes du virtuose Mohamed Ifticène qui a signé entre autres «Marchands de rêves», et les inoubliables «Gorine» et Djalti», ou encore les téléfilms du fin esthète Lamine Merbah, sans négliger les réalisations des stations régionales-tv d'un Mohamed Harzouli ou Zakaria, par exemple, très souvent injustement négligés, etc., etc.).  Mais malheureusement, petit à petit, l'hyper-contrôle qui touchait l'édition livresque et la chanson populaire en général commençait à s'étendre à la production cinématographique et télévisuelle, ne permettant que ce qui se conformait aux orientations doctrinaires étatiques. Surtout depuis la tenue à Alger du fameux colloque de 1969 ou l'opprobre fut jeté sur nombre d'intellectuels francophones algériens et d'autres bilingues par les adeptes de l'intolérance et de la pensée à sens unique exclusif. Dans cet ordre d'idées, tout ce qui ne rentrait pas dans cet «ittar» du cadre officiel, ou tentait une approche humaniste de la société algérienne, (un traitement pourtant sain pour ne pas dire «désidéologisé»), était montré de l'index par certains collabos attitrés des fameux comités de lectures des scénarios, qui comportaient plus de censeurs que de littérateurs maîtrisant les données techniques scénaristiques appropriées. Ces derniers ont pratiquement instauré un ordre «embrigadeur», évinçant tous les talents et sensibilités artistiques divergeant avec le centralisme «démocratique» de la pensée unique. Certains maîtrisant pourtant parfaitement les notions techniques, et qui ont été malheureusement forcés à prendre le chemin de l'exil quand ils n'ont pas été définitivement écartés et marginalisés par certains de nos ex-doctrinaires paranos sympathisants du diktat stalinien. Et, il faut rendre hommage aux rares personnalités qui ont refusé cette tache ingrate qui a liquidé de la scène littéraire et artistique nationale nombre de talents confirmés ou émergents. Les masses d'écrits scénaristiques ou de pièces théâtrales vont désormais s'entasser dans les tiroirs des institutions productives et seuls quelques textes apologétiques et de relations privilégiées vont pouvoir espérer voir le jour. C'est le black out et au-delà des années 1980, de multiples restructurations et réformes sont entreprises pour sortir le cinéma algérien de son marasme mais ne le fera qu'accentuer en fait. Pendant ce temps les projets de scénarios et de pièces théâtrales ne cessent pas de s'accumuler dans les armoires de l'ENTV, de l'ENPA, du TNA, du TRC, etc. alors que certains crient à la crise du scénario et du cinéma et de l'art dramatique algériens: il n'y a pas eu de volonté politique de remédier à l'état des choses et d'offrir, par exemple, des débouchés honorables à nos jeunes talents diplômés de l'école de Bordj El-Kiffan ou d'autres formés à coups de devises en France, en Russie, en Belgique, en Pologne, etc. Il y a absence de moyens financiers et de textes juridiques clairs dans le domaine, un point c'est tout. Le cinéma national a vraiment failli l'asphyxie mais fort heureusement, et grâce à tous ceux qui ont veillé à sa continuité (comme l'ex-directeur de la cinémathèque nationale M. Boudjemâa Kareche ou Amar Laskri pour ne citer qu'eux), il est parvenu à renouveler, tant bien que mal, sa production et thématique filmiques en coproduction avec la télévision nationale notamment. Mais malheureusement, et encore une fois, l'entreprise du cinéma algérien (ex-ENPA), à peine remise sur rails, allait faire les frais de la politique de mainmise des décideurs apparatchiks: si auparavant les comités de lectures écartaient systématiquement toutes les textures scénaristiques disons «non alignées», cette fois-ci, et en nous référant aux données conjoncturelles de l'époque et ce qui s'y tramait, (archives, presse, témoignages, etc.), les officiels, en procédant carrément à la liquidation de l'ENPA et du cinéma algérien en général, ont cherché en fait à faire taire sa composante humaine majoritaire francophone, berbérophone et bilingue qui le caractérisait. Autant dire qu'on lui réglait son compte à cette tendance d'avant-garde nettement démocrate, on liquide et censure même les revues et ouvrages spécialisées (la revue « Les 2 Ecrans» bilingue a été remplacée par une revue monologue parlant de tout sauf des analyses critiques et sémiotiques spécialisées de l'art cinématographique et dramatique télévisuel, tandis que les rares travaux de recherche ou d'ouvrages d'auteurs nationaux sur le cinéma et l'audiovisuel en général sont bloqués dans les uniques dépôts de vente de l'ex-ENAL ou ENAG qui s'attelaient surtout à distribuer largement les ouvrages rebutants d'ex-notables du système). Bien sûr l'on a cherché à limiter les dégâts par la suite en intégrant quelques cinéastes à l'ENTV sous l'égide de ces néo-stratèges du marketing productif qui faisaient défiler, à coups de milliards, les célébrités orientales, y compris celles de quatrième zone... alors que juste à côté les artistes producteurs nationaux réclamaient moins le sou que le droit à la dignité de servir leur patrie. L'ouverture sur autrui et particulièrement sur les pays frères, c'est bien et c'est enrichissant mais qu'on s'ouvre, en même temps, sur nos atouts culturels et artistiques nationaux voués à la déperdition. (On a pris chez nous cette fâcheuse habitude d'honorer un artiste qu'à l'occasion de sa mort).


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