Algérie

A la veille d'un vote historique, la Tunisie de l'intérieur se sent toujours oubliée


A la veille d'un vote historique, la Tunisie de l'intérieur se sent toujours oubliée
A Sidi Bouzid, la « Tunisie nouvelle » peine à naître. La révolution, estiment les jeunes chômeurs de ce gouvernorat oublié, ne leur a apporté, pour l'instant, que la liberté. En attendant que de nouveaux investissements sortent leur région de la pauvreté, ils observent, indifférents, la bruyante campagne pour l'élection de l'Assemblée constituante. Les plus chanceux se font embaucher pour aider les autorités à préparer le scrutin. Reportage de la correspondante de Maghreb Emergent.
Aymen Charbi paraît presque surpris qu'on lui pose la question. « Je suis au chômage », dit-il comme s'il s'agissait d'une évidence. Le jeune homme de 25 ans n'a jamais trouvé de travail après l'obtention de sa maîtrise d'anglais, en 2009. A Sidi Bouzid, berceau du soulèvement populaire qui a mis fin au règne de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier dernier, le chômage semble être un passage obligé pour les jeunes diplômés.
Aymen Charbi compte aller voter, le 23 octobre, pour le premier scrutin de l'après Ben Ali. Il choisira entre les 65 listes de candidats en lice dans la circonscription. Mais sans enthousiasme : « La liberté, c'est tout ce que la révolution nous a apportés, dit-il alors que des voitures de partis politiques passent en klaxonnant dans le centre-ville, drapeaux au vent. Voilà neuf mois qu'on attend des signes de développement économique. » Le taux de chômage a même augmenté depuis janvier. Dans cette région du centre de la Tunisie, il dépasse largement les 19% enregistrés à l'échelle nationale - contre 13% fin 2010 -, et plus de 40% des jeunes diplômés du supérieur sont sans emploi.
Des volontés se sont pourtant manifestées dans la région, dernièrement. L'Agence pour la promotion de l'industrie (API) a enregistré depuis janvier dernier 15 déclarations de projets dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, pour un investissement de plus d'un million de dinars (0,5 million d'euros). Une étape qui ne garantit pas la réalisation du projet mais « qui montre un intérêt nouveau », note-t-on à l'API.
Quelque 14 projets ont aussi reçu un accord de principe de la Société de développement économique (SDE) de Sidi Bouzid, créée en juillet dernier. Placée sous la tutelle du ministère des Finances et dotée d'un capital de 5 milliards de dinars (2,5 milliards d'euros), elle se propose de participer à hauteur de 15% aux fonds propres de nouvelles entreprises. « Notre capital limité nous oblige à chercher des partenaires prêts à investir avec nous », explique Salem Issaoui, son directeur.
Les projets validés par la SDE de Sidi Bouzid devraient générer plus de 3.000 emplois, pour un investissement de 77 millions de dinars (39 millions d'euros). Salem Issaoui a décidé d'investir en priorité dans des projets « en lien avec l'agriculture », principale activité de la région, afin que « la production locale cesse de partir vers les régions côtières », où sont implantées la plupart des usines agroalimentaires.
Difficile de convaincre les investisseurs de venir
La faute à une politique inéquitable. Sous Ben Ali, 80% du budget de développement allait aux zones côtières et touristiques, au détriment de l'intérieur du pays. A Sidi Bouzid, la voie ferrée n'est plus guère utilisée que pour le transport des phosphates. La région n'est pas davantage intégrée au réseau d'autoroutes, qui relie Tunis aux villes côtières.
Le système de santé est tout aussi rudimentaire. « Au Sahel, il y a un centre hospitalier universitaire (CHU) à Mahdia, un à Monastir, un troisième à Sousse, note Salem Issaoui. Ici, il n'y en a ni à Siliana, ni à Kasserine, encore moins à Sidi Bouzid. » Il déplore aussi le manque de représentation de l'administration : « Pour payer leur facture d'eau, dit-il, les habitants de Regueb doivent faire 45 kilomètres, jusqu'à Sidi Bouzid. »
Difficile dans ces conditions de convaincre les investisseurs de s'implanter. D'autant plus que seule la moitié du gouvernorat de Sidi Bouzid est classée en Zone de développement prioritaire. « Une politique volontariste de développement de l'infrastructure dans les zones enclavées doit être mise en place », dit Salem Issaoui. Mais cela prendra du temps, et les chômeurs « ont le sentiment que rien ne se passe tant qu'ils ne voient pas une usine sortir de terre ».
Une difficulté à laquelle sont confrontées les formations politiques à Sidi Bouzid. « Il y a un décalage entre les attentes des citoyens, préoccupés par leurs difficultés quotidiennes, et le type de transition choisie. » Ni l'Assemblée constituante, qui rédigera une nouvelle constitution, ni le prochain gouvernement, lui aussi transitoire, ne seront à même de « prendre ces problèmes à bras le corps », fait-il remarquer.
Un vote historique et' des petits boulots
Aymen Charbi a postulé à un concours d'entrée dans la fonction publique, l'un des quelque 800 ouverts par les autorités de transition dans le cadre d'un plan économique et social d'urgence. Mais « je n'avais aucune chance », dit-il. Les critères de recrutement prennent notamment en compte le nombre d'années de chômage, l'âge et la situation familiale. Tant d'éléments défavorables au jeune homme, face à une rude concurrence: quelque 300.000 personnes ont postulé aux concours, pour quelque 20.000 postes.
Le jeune homme se sent « condamné aux calmants ». Il bénéficie depuis plusieurs mois d'une aide mensuelle de 200 dinars (environ 100 euros), dans le cadre du programme « Amal », mis en place par le gouvernement provisoire pour encourager les diplômés chômeurs à « la recherche active d'emploi ». Conçu pour 50.000 personnes, il bénéficie finalement à 145.000 demandeurs d'emploi.
Certains ont été mis à contribution pour aider à organiser le premier scrutin de l'après-Ben Ali, en échange d'une prime supplémentaire. Pour Sondès Bouallegui, 22 ans, qui a obtenu l'an dernier une licence d'informatique et de gestion, ces quelques mois au sein de l'Instance régionale indépendante pour les élections sont « une expérience supplémentaire » qui l'aidera peut-être à « trouver un vrai travail ». Elle espère aussi aider à la naissance d'une nouvelle Tunisie, où « Sidi Bouzid ne sera plus oubliée ».
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