Algérie

A la soupe !



Il y a autour de moi une foultitude (je peux enfin placer ce vilain mot) de gens déprimés, qui se demandent dans quelle ère nous sommes entrés, si le parti socialiste va se relever, si Hollande va enfin dégager, si les « zmigris » vont morfler... Bref, il existe toutes sortes d'interrogations fondamentales qui, me dit une lectrice indulgente mais irritée, valent mieux que mes divagations à propos des nèfles (« travailler pour des nèfles, c'est travailler pour rien », m'explique par ailleurs un ami en un discret clin d'oeil à ceux qui croient qu'ils vont gagner plus parce qu'on va les obliger à travailler plus...).  Mais revenons au cafard des uns et des autres. Pour les requinquer, il n'y a rien de mieux qu'une chanson. Pour bien qualifier notre époque, j'en propose une qui est braillée dans toutes les crèches de France et de Navarre. En voici les premières paroles : « A la soupe, soupe, soupe / Au bouillon, ion, ion / La soupe à l'oseille / Zeille, zeille, zeille / C'est pour les demoiselles / La soupe à l'oignon / Zon, zon, zon / C'est pour les garçons ! ».  Je vous entends applaudir. C'est sûr que ce chant vous requinque illico un défait du six mai. Allez, une variante, pour se faire plaisir : « A la soupe, soupe, soupe ! C'est pas pour les grands ! A la soupe, soupe, soupe ! C'est pour les petits ! » Hé oui, pour les petits... Vous l'aurez compris, en ce moment, il n'y a pas un soir où, en relisant ou réentendant les nouvelles du jour, je n'ai pas ce petit air qui me trotte dans la tête. A      la soupe, soupe, soupe, les Kouchner, Besson, Hirsh sans oublier quelques affamés de l'UDF qui, hier, déifiaient le pauvre Bayrou et qui aujourd'hui seraient prêts à le vider de tout son sang pour être en cour...  A la soupe... La capacité des hommes à renier leurs engagements passés, à se dépêcher d'aller dans le camp d'en face, parce qu'il est vainqueur, tout en proclamant, à qui veut faire semblant de bien l'entendre, que l'on reste fidèle à ses idéaux, voilà quelque chose de stupéfiant.  Il y a quelques années, j'ai assisté, totalement par hasard, à une conférence sur un certain Benedict Arnold, général de l'armée indépendantiste américaine qui, pour quelques milliers de livres et un grade de général de brigade, trahit les siens au profit des Anglais (juillet 1780). L'homme termina seul, pauvre et malade, mais il demeure à ce jour le traître le plus célèbre de l'histoire des Etats-Unis. Le conférencier, un universitaire américain dont j'avoue avoir oublié le nom, avait eu cette phrase qui, elle, est restée dans ma mémoire : « les vrais traîtres sont fascinants car ils ont le pouvoir presque surhumain d'ignorer le remords et de continuer à croire dur comme fer à leur droiture ».  De fait, c'est la question à trente euros : comment tout ce beau monde qui a proféré pis que pendre à propos Sarkozy, parfois une semaine à peine avant son élection, peut tout bonnement le rejoindre aujourd'hui ? Comment ces gens soutiennent-ils leur propre regard en se rasant le matin ? Comment font-ils pour supporter les quolibets qui ne cesseront jamais de les accompagner ? « Il a la figure maculée », dit l'adage algérien. Oui, il en faut une bonne et grosse couche pour trahir ainsi.  Pour donner quelques monceaux d'honorabilité à cette comédie, on nous parle d'ouverture. Pour ne pas changer, ce n'est que de la com'. Nicolas Sarkozy a gagné l'élection présidentielle, son score est sans appel et les législatives qui se profilent annoncent une nouvelle fessée pour la gauche. Il n'a donc nul besoin - et nulle intention - de partager le pouvoir car le gouvernement qui vient d'être formé n'est pas le fruit d'une coalition à l'allemande où ni la gauche ni la droite n'ont emporté la majorité au parlement. En un mot, la légitimité de la nomination des Kouchner & Co ne tient qu'à cette seule expression : le bon vouloir de Monsieur le Président Sarkozy.  Or en politique, surtout en politique, rien n'est gratuit. Tôt ou tard, les transfuges de la gauche et du centre se verront présenter l'addition, se faisant rappeler à l'ordre au nom d'une gratitude pour un président qui aura beau jeu de prétendre ne jamais les avoir forcés à le rejoindre. Ce n'est qu'une question de temps car la route des réformes annoncées est longue et semée d'embûches sociales.  A propos de com', j'aimerais vous parler d'un autre ressortissant du pays de l'Oncle Sam. Il s'appelle Mike Deaver et n'a rien d'un traître. Bien au contraire, cet homme a servi avec une totale loyauté son patron qui était Ronald Reagan. Si je vous parle de lui, c'est parce que son ombre plane sur la vie politique française même s'il n'a rien à voir avec l'Hexagone. Deaver est en effet l'homme qui a révolutionné la communication politique de la présidence américaine. C'est lui qui a mis au point puis appliqué la stratégie selon laquelle il ne faut concéder aucune seconde de répit aux télévisions en leur fournissant tous les jours, matins et soirs, de la matière à moudre. Visite, déplacement officiel, petites phrases distillées lors de conversations « spontanées » avec de parfaits inconnus, la liste de ces ficelles est loin d'être close.  Vous allez me dire que cet homme n'a rien inventé, qu'il n'a fait que copier des centaines de télévisions qui, dans les pays à chiche ou point de démocratie, font tourner en boucle les images du « zaïm ». Ce n'est pas totalement exact, car le génie de Deaver a été de prévoir que face à cette déferlante permanente d'images et d'informations présidentielles, la presse écrite américaine - qui, souvenez vous-en, était la plus coriace du monde à la fin des années 1970 - s'est trouvée obligée de suivre le mouvement, de mobiliser des reporters pour aller « là où vont les télés », tout cela au détriment de l'essentiel.  C'est ce que vit aujourd'hui la France. En terme d'information, le vainqueur du 6 mai impose son agenda aux télévisions et radios qui l'imposent à la presse écrite. Assommé par un flot incessant de communiqués et d'agitations (le président court, nage, pleure, visite, inspecte, complimente, chapitre,...), le citoyen finit par croire que les choses avancent dans le bon sens et baisse sa garde en abandonnant tout esprit critique. Puis, un jour, vient le réveil. Brutal. La com', quand c'est bien fait, c'est comme un naja : ça hypnotise pour le pire...


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