Algérie

A la rencontre des régions ayant souffert de la violence



La Kabylie debout face au terrorisme La situation sécuritaire en Kabylie est des plus délétères. Depuis un certain temps, la presse rapporte des actions terroristes qui endeuillent la région. Récemment encore, c’est le poste de la garde communale de Chréa, un hameau de la commune de Tadmaït à l’ouest de Tizi-Ouzou qui a été la cible d’une attaque terroriste, attaque repoussée par les forces de l’ordre. La situation est, depuis et dans d’autres endroits, relativement délétère et les paysans qui espèrent en des lendemains meilleurs, assistent avec espoir en affirmant avoir confiance aux forces de l’ordre. Certes, l’action de l’attaque du poste de la garde communale a frappé les esprits en ce sens que les assaillants étaient relativement nombreux, bien armés et aussi accompagnés de femmes terroristes, ce qui est une nouveauté en cette région. Les paysans ont également été effrayés par le fait que les agresseurs aient utilisé des habhabs, canons artisanaux qui ont d’ailleurs fait des dégâts dans les maisons proches du poste de la garde communale. Cela a conduit une dizaine de familles à quitter les lieux pour aller se réfugier en ville. Nous avons rencontré des gens des régions réputées encore dangereuses et nous leur avons demandé leurs impressions. Ecoutons-les! Rencontre avec les villageois de Boumahni Aller à la rencontre des villageois de cette région peut paraître simple mais les faire parler n’est guère évident. Les gens ont peur et ne veulent parler qu’avec les autorités. Aussi, c’est grâce à un jeune homme présent parmi eux que les langues ont commencé à se délier. Le vieux Omar évoque les journées difficiles d’il y a quelques années, quand Boumahni, (ce massif étant proche des villages de Tizi-Ameur, Ighil Bouakkache, Bouhoukal et Aït Maâmar NDLR), vers les années 1992 à 1995, était le refuge et le lieu de transit des groupes armés. «On ne dormait guère, dira-t-il. Les terroristes passaient pratiquement chaque jour à l’orée du village. Certes, personne n’a été embêté mais qui pouvait penser que ces hors-la-loi pouvaient passer sans rien faire? Alors, certains anciens maquisards ont cru bon de s’armer; ce sont les premières cellules d’autodéfense. Nos filles et nos femmes, qui avaient l’habitude de ramasser du bois mort dans la forêt, se sont abstenues de le faire et les citoyens s’enfermaient chez eux à double tour dès la tombée de la nuit. Aujourd’hui, la chose est différente. L’armée a installé des postes avancés et des détachements militaires font des patrouilles en forêt. Certains de ces éléments armés arrivent à s’introduire dans les villages où ils essaient d’appliquer leur loi, mais la population ne se laisse pas faire». Mahmoud, un autre villageois intervient dans la discussion pour raconter comment le village de Tizi-Ameur avait accueilli, il y a de cela environ trois mois, un groupe de terroristes venus les racketter. «Nous étions déjà endormis; il devait être 23 heures quand des jeunes gens ont signalé une intrusion terroriste. A ce moment, personne n’avait pensé au danger. Tous les hommes âgés de plus de quinze ans se sont alors portés à la rencontre des assaillants. Une fois devant eux, des gens se sont alors détachés du groupe de villageois et ont clairement dit aux terroristes: «Vous vous êtes trompés; ici, il n’y a aucun fusil encore moins de l’argent à emporter et on vous demande de vous retirer et de ne plus jamais remettre les pieds dans ce village». Le ton était ferme et les terroristes ont commencé à prendre peur, certains d’entre eux commençaient même à reculer. Alors, les gens leur diront d’une seule voix: «Partez d’ici et ne revenez plus jamais!», ce qui fera décamper les terroristes vers le massif de Boumahni proche. Des jeunes se sont même permis de les poursuivre jusqu’à la lisière de la forêt». «Depuis ce jour, continue Mahmoud, le village a la paix». On quitte à regret ce village dont les habitants, ces héros aux mains nues qui s’ignorent, sont aussi des hôtes adorables. Plus loin et sur le même versant, c’est Kantidja, ce village où les hordes terroristes ont, lors des années passées, fait des sermons et aussi menacé les villageois en leur lançant: «Ne travaillez pas avec le taghout!» Comprendre les forces de l’ordre. Mais au printemps dernier, les terroristes ont essayé de faire une incursion au village. Ils ont commencé par frapper aux portes des premières maisons. Aux gens sortis de chez eux, ils demanderont de l’argent, «pour aider les moudjahidine», leur diront-ils. Les citoyens ont refusé et certains jeunes, grâce à leurs portables, ont informé les autres villageois. Ces derniers, alertés, se sont alors portés au devant des terroristes, leur intimant l’ordre de quitter le village. Devant la menace, les terroristes se sont enfuis et, depuis, selon les villageois, ils n’ont plus remis les pieds au village. Les villageois ont, par la suite, équipé la localité de sirènes d’alarme, destinées à être actionnées en cas d’intrusion. Selon les villageois, tant ceux de Tizi-Ameur que ceux de Kantidja, «les terroristes ont peur de la réaction des populations et se font tout petits quand les gens grondent». De Kantidja à Berkoukas, le village aux neuf kidnappés, il n’y a qu’un pas. L’heure n’étant pas encore assez avancée, on décide de faire un saut. Berkoukas, le village aux neuf kidnappés Berkoukas est un gros village de la commune de Maâtkas. Il fait presque face aux villages de Boumahni, entre eux un oued et aussi le CW 128. Berkoukas est un des hauts lieux de la guerre de libération. En fait, Berkoukas est un assemblage de villages et de hameaux. Il semble à première vue que le village compte le plus de pensionnés en devises et de pensionnés de la guerre de libération, d’où un air d’aisance. Dans le village, plus exactement sur la place du village, Afir, des gens sont rassemblés en train de deviser. On est accueilli par des connaissances, un vrai passeport en ces villages. On s’asseoit et on écoute. Chacun veut dire quelque chose. Le sujet de conversation est, bien sûr, amené par nos hôtes: le kidnapping. On essaie d’expliquer, mais expliquer quoi? En fait, Berkoukas n’est guère plus intéressant que les autres villages. Selon nos hôtes, Berkoukas compte en réalité trois kidnappés: un, originaire du village, qui habite en fait Boghni, une daïra voisine, les autres étant des villages aux alentours: le village d’Aït Ahmed, sis à trois km à l’est de Berkoukas et aussi dans la commune voisine de Souk El Tnine. «Mais quand on écrit Berkoukas, cela fait mieux», dira l’un des habitants. Après avoir longuement conversé avec nos hôtes, on décide de rentrer. On se fait accompagner par un jeune homme des plus gentils et aussi assez prolixe et au rire communicatif. Hors de la présence des autres, il s’épanche et raconte: «Ici, à Berkoukas, nous avons des jeunes venus d’Alger. En fait, leurs parents sont du village et leurs enfants ont vécu à Alger. Revenus avec les événements, ces jeunes ont ramené avec eux des idées extrémistes. Ils essaient de les répandre au village: il faut prier de telle façon, s’habiller de telle manière et tutti quanti. Ces jeunes que beaucoup soupçonnent d’être de mèche avec les terroristes seraient peut être des informateurs. Par ailleurs, avec le manque de poste des forces de l’ordre dans tous les villages que vous voyez et la véritable ceinture de forêts qui nous entoure: Boumahni, El Maj et les massifs de Amdjoudh et du Guergour, vous comprendrez facilement pourquoi tous ces kidnappings». En cours de route, notre chauffeur nous arrête à Souk El Khemis, une ville toute en longueur construite sur les bords du CW 147. La localité comprend un collège immense, les trois autres étant en dehors du chef-lieu, un lycée et un technicum, sans oublier le centre de formation professionnelle et un centre artisanal où la poterie est reine. Souk El-Khemis est une localité qui peine cependant à devenir une ville. On circule dans ses rues, on doit plutôt écrire sa rue. On s’approche des gens et on essaie de les amener sur le sujet de la violence. Réticents au début, les gens deviennent plus prolixes par la suite. On se rappelle surtout les attentats contre la police il y a environ une année, et aussi la tentative d’attentat contre un policier en civil. Mais à tous de dire: «Ce ne sont pas les terroristes qui vont nous empêcher de vivre». A Souk El Khemis, un poste de la BMPJ veille et des gardes communaux donnent le coup de main indispensable aux forces de l’ordre. Nous prenons congé de Maâtkas pour aller, le lendemain, vers les cimes. Vers les cimes On choisit d’aller vers Yakouren, ce village perdu sous la sylve. L’endroit est paradisiaque, des chênes verts, des chênes afares et aussi beaucoup d’autres essences qui libèrent tout le long de la route une odeur des plus suaves. Nichée dans la verdure, Yakouren. Une localité accueillante et des gens aimables. Personne ne fait attention à notre présence, c’est que Yakouren à l’habitude des visiteurs, la plupart des gens de Tizi-Ouzou s’y arrêtant lors de leurs déplacements vers Béjaïa et inversement. Un petit tour chez des amis et nous voilà accompagnés. On se rend près de la gendarmerie, celle-là qui a été attaquée l’année passée, en été. On nous explique ce qui s’était vraiment passé. Des terroristes ont encerclé la brigade et occupé les immeubles d’en face d’où ils se sont mis à tirer sur les gendarmes qui ont fermement riposté. Tout le village a eu cependant peur de voir les terroristes prendre le dessus. Fort heureusement, des hélicoptères et des renforts sont venus à la rescousse. Omar, la quarantaine, se remémore douloureusement cette nuit tragique. «On était en train de regarder la télévision, puis tout à coup on a entendu des cris, des pleurs et des tirs. Je voulais sortir sur le balcon pour essayer de voir ce qui se passait, mais avant même de faire un pas, on frappait très fort à ma porte. A peine a-t-on ouvert que des gens armés, puant le bouc et accoutrés de diverses façons ont pénétré dans l’appartement. Mes enfants pleuraient et moi j’étais tout simplement paralysé. Les assaillants se sont dirigés vers le balcon d’où ils se sont mis à tirer vers la brigade. J’ai crié aux miens de se mettre à l’abri, derrière les murs. Fort heureusement, les renforts sont arrivés, obligeant les terroristes à s’enfuir». Les habitants essaient d’oublier ce qu’ils appellent «la nuit d’enfer». On sort de la ville pour faire un tour dans la forêt où notre guide nous rassure : «N’ayez pas peur, les militaires sont là, ils maîtrisent la situation!» La petite escapade est agréable. Des militaires, revenant sans doute de patrouille, ont été rencontrés en cours de route. La poitrine gonflée de senteurs sylvicoles, on redescend vers Yakouren. Les gens sont affairés à leurs emplettes, on ne sent aucune angoisse et aucune peur sur leurs visages. Ceux approchés disent «avoir confiance en les forces de l’ordre». Des jeunes gens qui étaient en train de deviser à l’entrée de la ville nous interpellent: «Dites dans votre journal que Yakouren est toujours là et que la sécurité règne!». On quitte Yakouren pour rentrer à Tizi-Ouzou via Azazga. L’on s’arrête dans cette dernière ville, réputée pour ses restaurants. Il faut jouer du coude pratiquement pour avoir une place, mais l’atmosphère y est conviviale. La ville est pleine d’émigrés. Les voitures aux plaques minéralogiques des divers départements français et régions belges stationnent le long des rues. Questionnés à propos de terrorisme, un vieil émigré répondra: «On n’a pas le temps de penser à ces gens là, et surtout qu’ils restent éloignés de nous!» D’Azazga à Tizi-Ouzou, il faut compter une bonne demi-heure quand il n’y a pas trop de bouchons. Tizi-Ouzou en cette époque est un véritable chaudron. Les foules envahissent la ville, les villageois venus aux emplettes, les émigrés y faisant un tour et tout cela dans une atmosphère bonne enfant. La ville est certainement bien gardée, des policiers en civils et en uniformes et des gens de la BMPJ veillent au grain. M. Chabane


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