Algérie

À la recherche du civisme



Publié le 13.06.2024 dans le Quotidien l’Expression

Les étudiants se sont transformés en une masse humaine. L’étudiant n’a plus de rêve que de partir loin de son pays, de sa ville. Il est égaré.
Jadis, nous avions quelques universités qui se comptaient sur les doigts d'une seule main, et ces institutions académiques et pédagogiques et culturelles fonctionnaient comme une montre suisse. L'étudiant avait une place privilégiée dans la société. Il avait beaucoup de rêves socioprofessionnels et politiques. Il se sentait responsable envers son pays. Sans démagogie aucune, il rêvait de vivre dans un pays fort, fort comme l'avaient imaginé les martyrs. Il aimait voyager pour revenir dans son pays les batteries bien rechargées d'enthousiasme et d'optimisme. L'enseignant universitaire était une lumière, ses conférences attendues avec ardeur dans des amphithéâtres pleins à craquer. Ses publications avaient un impact décisif sur la société culturelle, politique et morale. Les débats ne s'arrêtaient pas. Les diplômes universitaires avaient un sens et une valeur. Aujourd'hui, on a construit des centaines d'universités, et tant mieux, dans les grandes villes, les moyennes et les petites mais l'université est vidée de son universalisme, de son énergie intellectuelle et de son génie. Elle est devenue comme une école rurale ou une garderie pour les ados. Les étudiants se sont transformés en une masse humaine. L'étudiant n'a plus de rêve que de partir loin de son pays, de sa ville. Il est égaré. L'enseignant n'attend que l'augmentation du salaire, le statut d'enseignant, et le logement! L'université est vidée de culturel, déserte de tout débat politique responsable.
Jadis, nous n'avions que quelques mosquées dans nos villes et nos villages. Quelques églises et quelques synagogues transformées en mosquées. Quelques salles de prière aménagées ici et là. Mais les fidèles avaient le coeur plein d'amour de Dieu, avaient l'adoration et la piété! Le respect et la foi. Les fidèles venaient à la maison d'Allah bien habillés en algérien, parfumés, élégants et souriants. Bien que le week-end fût le samedi et dimanche, le vendredi avec la grande prière et le prêche, el-khotba, hebdomadaire était un grand jour. L'imam avait une illumination sur son visage. Ses mots se buvaient comme de l'eau claire. Il était une personne aimée, écoutée et respectée par tout le monde. Un homme de bien et de bonheur. Un vrai guide spirituel. Aujourd'hui, nous avons construit des milliers de mosquées, avec l'argent privé et le budget de l'État. On a construit légalement et illégalement, planifiées ou anarchiques, les hyper-grandes, les grandes, les moyennes, les petites et les plus petites. Des centaines de milliers de salles de prière sont ouvertes dans toutes les entreprises, dans les aéroports, dans les gares routières, dans les stations de service, dans les universités, dans les écoles...Ces mosquées sont faites selon des goûts esthétiques différents; à l'architecture moderne, à l'andalouse ou hybride. Les fidèles se bousculent pour prendre les premières places dans ces lieux d'Allah, on dirait qu'Allah ne voit que la première rangée! Quelques fidèles boycottent une mosquée et préfèrent une autre. Les mosquées sont politisées avec des prêches durs. Il faut choisir sa mosquée pour prier comme choisir son parti politique pour voter! Les fidèles arrivent aux mosquées habillés n'importe comment, un accoutrement vestimentaire étrange et étranger. Les fidèles sont énervés. Les mosquées sont équipées de climatiseurs, et même des caméras de surveillance! Les imams ont leur syndicat! Tout a changé ou presque. Mais le chaos a augmenté. Le pourcentage de crimes, de divorces, de violences diverses et d'harcèlement a augmenté. Beaucoup de prieurs, et tant mieux, mais moins de piété, et c'est malheureux. Jadis, nous avions quelques stades de foot, avec des gradins ouverts sur le ciel et les pluies, les vents et les soleils, le froid et la canicule. Nous avions des clubs vénérés, des joueurs glorifiés. Mais dans ces lieux modestes sans gazon naturel ou artificiel, dans la boue ou dans la poussière, les matchs étaient une poésie vivante! Les spectateurs venaient pour regarder le match bien habillés, en costume et cravate. Comme pour une soirée de musique classique, comme pour assister à une fête de mariage. Il n'y avait pas de publicité, ni celle pour la téléphonie mobile, ni pour la promo d'internet, ni pour les banques, ni pour l'eau de Javel, ni pour la limonade nationale, ni pour le yaourt... Les supporters rentraient et quittaient le stade en toute discipline et respect. Il y avait toujours un gagnant et un perdant mais jamais un supporter attaqué par un autre ou un joueur par les supporters, jamais un siège saccagé ou un nez cassé! Aujourd'hui, nous avons les meilleurs stades du monde, gazon naturel importé des champs spécialisés. Nous avons des milliers de clubs subventionnés par des sociétés richissimes. Mais nous vivons l'apocalypse dans les stades. Les supporters arrivent avec les haches, les couteaux et la haine. Ils arrivent au stade comme pour faire la guerre. Un champ de bataille! En face, il n'y a que l'ennemi! Les stades cultivent toutes sortes de violences, le machisme et la haine. Les supporters sont habillés comme des brigands.
Quand le civisme est banni des universités, des mosquées politisées et des stades, il faut se rendre à l'évidence que nous n'avons pas su comment créer l'homme positif, gardien de l'histoire et nos valeurs civilisationnelles et humaines.

Amin Zaoui



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