Il y a quelque
deux ou trois décennies, à peine, l'université algérienne était le fleuron de
la culture et un haut lieu du savoir. Elle était la courroie de transmission de
la science grâce à sa cheville ouvrière: un personnel pédagogique qui jouissait
d'un standing de vie et d'une considération sociale digne de son rang et de la
noblesse de sa mission.
Elle était la
fierté, non seulement de l'Etat (quand il était en bon état), mais de la Nation
tout entière. Elle formait l'élite de l'élite au pays. Elle était réellement le
phare qui éclairait notre société. Ne réussissaient, alors, que les méritants.
Autrement formulé, elle était la voie royale de «la promotion sociale des
meilleurs». En un mot, c'était la véritable Kaaba du Savoir vénérée et respectée
d'un respect religieux. Dieu n'a-t-Il pas dit «Iqra'a» ?
Les temps ont changé. Aujourd'hui, les
jeunots ne pensent qu'à décrocher leurs modules sans fournir trop d'efforts,
donc sans mérite, voire en trichant. Ils s'intéressent de moins en moins aux
études. Ils lisent juste ce qu'il faut pour pouvoir répondre - «un peu près» -
aux sujets des examens pour tenter de s'assurer une réussite vaille que vaille.
Notre université semble avoir changé de statut. Autrement dit, il ne reste de
supérieur dans «l'Enseignement supérieur» que son épithète qui ne s'accorde,
d'ailleurs, ni en genre ni en nombre avec sa mission originelle citée supra.
La stimulation intellectuelle que nous
avions, étant potaches, pour la science et la culture a disparu de la circulation
cognitive. C'est l'inculture qui semble prendre le dessus en raison de la
massification de l'université. Le lycée ne fournit plus à l'université, comme
par le passé, une population estudiantine suffisamment bien formée à même
d'assimiler immédiatement un enseignement du «supérieur». L'enseignant de ce
dernier se voit réduit à dispenser l'indispensable (qui n'est pas toujours
suffisant, encore moins satisfaisant) à ses étudiants. C'est-ce que Thierry
Desjardins appelle « l'inculture dans la haute culture ». C'est-à-dire une
culture au rabais. Voilà comment l'université sombre doucement et sûrement dans
une forme de léthargie intellectuelle sans précédent. Le savoir, la culture, la
lecture, l'engouement d'apprendre ne sont plus un plaisir qui est, selon les
psychopédagogues, la condition sine qua non pour l'équilibre mental et
intellectuel.
Notre université rappelle le «bateau ivre»
d'Arthur Rimbaud surchargé qui ploie sous la masse de sa population
estudiantine sans commandant de bord chevronné, livré à des timoniers
politiques sans expérience, sans cap ni compas gyroscopique, au beau milieu
d'une tempête sociale qui [la société] ne sait plus ce qu'elle veut ni ce qu'on
veut faire d'elle. Ce qui explique, en partie, la baisse crescendo du niveau.
Le débat qui continue à susciter des vagues
houleuses, tant au niveau politique, pédagogique que social, est qu'on ne sait
plus quoi faire de l'université si c'est un haut lieu du savoir, comme son nom
l'indique, ou un simple centre «supérieur (?)» de formation professionnelle qui
n'a rien avoir avec les Ecoles supérieures. Les professeurs sont souvent
confrontés à un dilemme quasi insoluble: ils fixent leurs cours en fonction de
leur formation pointue et non selon les besoins pédagogiques parce que chacun
est spécialiste dans son domaine. Quant aux étudiants, ils veulent apprendre ce
qu'ils considèrent utile au bassin de l'emploi à dessein de multiplier leurs
chances à trouver un travail. Denrée, hélas, de plus en plus rare de nos jours,
chez nous comme ailleurs.
L'université s'est fourvoyée de sa mission
première en donnant la priorité à une sorte de culture de formation
professionnelle au détriment de la culture générale. Voilà comment on devient
un pays sans grande culture. C'est-à-dire « on forme » un peuple d'incultes. Si
le personnel pédagogique s'emporte dans de saintes colères, c'est pour exprimer
son ire de voir l'enseignement supérieur sérieusement éprouvé, voire malade,
très malade. Il refuse de voir mourir son université, encore moins d'assister à
son enterrement. Il reste impuissant à son chevet juste pour la veiller sans
trop savoir comment y remédier. Ce n'est pas la volonté qui lui fait défaut,
mais les moyens lui manquent parce qu'ils relèvent exclusivement du politique.
Est-ce la descente aux enfers pour notre université ? Elle fait cruellement
défaut d'un personnel hautement qualifié, à l'instar des grandes universités de
renom. Toujours selon Thierry Desjardins: «On ne peut pas être un enseignant du
supérieur sans être chercheur car sinon on se coupe des réalités, et on ne peut
pas être chercheur sans enseigner car sinon on se sclérose.»
Chacun (enseignants et étudiants) aimerait
être ce qu'il aurait souhaité être, mais aucun d'eux ne peut l'être en raison
de la désillusion qui s'infiltre insidieusement dans les esprits et les ronge
tant des étudiants que des enseignants. Les réformes successives n'ont pas
donné les résultats escomptés, encore moins rehaussé le niveau vu le nombre
astronomique des nouveaux étudiants qui s'inscrivent chaque année. Une vraie
réforme consiste, aux yeux de certains analystes, à démystifier quelques
concepts qu'il faut analyser scientifiquement tels que «le bac»,
«l'université», «le diplôme». Lorsqu'on aura cerné l'acception de chacun de ces
vocables, pourrait-on alors frayer un chemin qui sera la voie royale vers une
réforme qui correspondra exactement aux objectifs de l'université algérienne
sans singer les Autres dans ce qu'ils ont de médiocre. L'université algérienne,
à l'instar des autres universités du monde, a besoin de réformes pour
s'épousseter et de « se booster » afin de suivre la marche du temps et non
fermer la marche. C'est lorsque des réformes sont politiquement larguées du
haut que les esprits s'ébranlent et les boyaux se tordent.
Ainsi, on pourra éviter à notre université
son actuelle précarité pour qu'elle puisse dispenser un enseignement de qualité
irréprochable comme autrefois. Pour ce faire, il faut revoir la copie en
vigueur qui veut résoudre les problèmes en les occultant et en évitant d'en
parler. Ce qui est, en soi, une fuite en avant des plus absurdes politiquement.
Il ne faut pas craindre de prendre le taureau par les cornes. C'est-à-dire
faire remonter en surface tous les problèmes en suspens pour être objectivement
mais définitivement résolus, de se concerter à dessein de trouver
collectivement les solutions idoines qui existent, certainement, si la volonté
politique y est.
Tout le monde sait que le métier de
l'enseignant du supérieur s'est dangereusement dégradé, d'ailleurs, tout comme
son niveau de vie. Cette dégradation est due au «mal-être» de l'enseignant. Il
y a de quoi. A voir un député inculte, voire « analpha-bête » sans diplôme
percevoir 300 000,00 DA/mois, sans prendre en ligne de compte les bonus et
autres avantages, cela donne du vertige. Alors que le professeur-chercheur
impétrant d'un doctorat en tant que dernier degré universitaire perçoit à peine
le cinquième de ce salaire, cela démotive le plus motivé des enseignants. C'est
une profession qui est en voie de décomposition latente mais active et
effective.
Sans vouloir remuer « la plume dans la plaie
», selon l'expression d'Albert Londres, il faut rappeler que le métier
d'enseignant est de moins en moins valorisé en dépit de sa noblesse. Dante a
raison de dire que « le premier besoin de l'homme après le pain est l'alphabet
». Le comble dans tout cela est qu'il est dévalorisé par des responsables
politiques qui, eux-mêmes, étaient formés à l'école par leurs enseignants, tous
paliers confondus. Il souffre du manque d'aisance matérielle et surtout du
défaut de considération sociale. Voilà pourquoi le métier de professeur
d'université est de moins en moins attrayant en Algérie. Un docteur est
rémunéré à hauteur de 500 euros. En Somalie, l'enseignant du supérieur est
nettement mieux payé, sans parler de nos voisins de l'Est et de l'Ouest.
Ce présent article ne doit pas être lu sous
l'angle d'un pamphlet. C'est, tout au plus, un peu d'alcool versé sur la plaie
pour désinfecter. S'il brûle, c'est qu'il agit. Ce constat amer pourrait, souhaitons-le,
faire réagir les responsables compétents qui leur reste un petit reste de
civisme. Il pourrait, aussi, leur dessiller les yeux, chacun à son niveau et
éclairer leurs esprits enténébrés sur les risques que peut engendrer l'actuelle
situation telle que les grèves à répétition, démotivation des enseignants,
démoralisation des étudiants si rien n'est fait. A moins que ça ne soit leur
but Fermer les yeux pour ne rien voir, se boucher les oreilles pour ne rien
entendre est gravement impolitique tant pour la communauté universitaire que
pour la société dans son ensemble.
Après tout, gardons espoir de retrouver, un
jour, l'université perdue. Faut-il que nous soyons encore de ce monde. Enfin...
bonne reprise.
Aux bons gestionnaires et amis du Savoir,
l'université est reconnaissante.
*Docteur ès
lettres
Maître de
conférences
Université de
Chlef
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Posté Le : 17/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed Guétarni*
Source : www.lequotidien-oran.com