«Faire l'apologie
d'un système universellement condamné (le colonialisme) ne contribue pas à
l'assainissement d'un contentieux historique».Feu Bachir Boumaza
Il y a presque
une année, jour pour jour, décède notre père, notre ami et compagnon, ce
gardien de la mémoire, feu Bachir Boumaza, suite à une maladie qui lui a ravi
malheureusement le dernier souffle. C'était son dernier combat. Ce résistant de
la première heure à l'acharnement interrompu. Cet infatigable «animal politique
», comme il adorait être qualifié, pour emprunter cette métaphore à Aristote.
Ce politique hors pair qui nous abreuvait en permanence, sans attendre de
monnaie d'échange, de ses exceptionnels analyses et points de vue sur les voies
et moyens à employer pour mener cette Algérie mal gérée à bon port. Il l'avait
dans la peau et dans le cÅ“ur dès sa naissance. Elle habitait depuis des lustres
son esprit, nichée dans les coins et recoins de ses neurones. Il n'y avait de
place que pour elle, cette matrice de la vie et l'Å“uvre de Si El Bachir. Le
dévouement pour sa mère patrie. Effectivement, il l'aimait, disait-il,
profondément comme sa mère à l'heure où certains en profitaient et continuent
de le faire comme de leur maîtresse.
Ma patience n'a
que trop duré pour me tenir à l'écart de l'événement. J'ai pris donc mon
courage entre mes mains et essayé de l'évoquer, évoquer surtout ses faits
d'armes après une année de son rappel par le Tout-Puissant à sa demeure
éternelle. Il n'est pas parti autant que ceux qui l'ont précédé. Ces hommes
qui, par leur dévouement et abnégation à ce pays, n'ont fait qu'offrir les
meilleurs moments de leur vie à leur mère patrie. Ce qui me désole par contre
c'est d'observer que, depuis le 6 de ce mois, date de son décès jusqu'au 11,
date de son enterrement, un silence assourdissant s'est imposé comme une chape
de plomb. La loi de l'amnésie semble être plus forte que la foi en Dieu.
D'abord, venant de l'institution qui lui doit son ascension, des hommes qui ont
été proches de lui, de ceux qui profitaient de sa générosité et encore plus de
ceux qui grâce à lui se sont frayé des chemins gracieux. Bref !
1ère Leçon de
mémoire et d'histoire…
Le peu qu'on
puisse faire, c'est de lui rendre un hommage posthume. Faire de ce rappel de
mémoire un épisode historiographique de sa vie et de celle des peines vécues
par son peuple, qu'il n'a cessé d'exposer à la conscience universelle pour
qu'elle en prenne acte. «La contribution au triomphe d'un certain humanisme »,
disait-il. Ou «La nécessité de mobiliser la mémoire collective et l'urgence de
lever le voile de silence sur un, sur des crimes contre l'humanité » commis par
le colonialisme. Et être, comme il le soulignait pertinemment, «égaux devant la
lecture de l'Histoire ». Tel est le fondement sur lequel s'est érigée notre
Fondation. «Si la France, disait-il, s'est libérée du nazisme, il n'en demeure
pas moins qu'elle a hérité de ses pratiques et de sa pensée. Ce que notre
peuple a subi au lendemain de la capitulation en est la preuve intangible».
«Hitler a perdu la guerre sur le terrain, mais il l'a gagnée dans les veines,
dans les cÅ“urs». «Les guerres de conquête et reconquête coloniales, entreprises
au lendemain de l'écrasement du III Reich, ont amplement confirmé, par leur
cruauté indicible, la justesse de ce point de vue ». Et Dieu sait que nous
n'avons pas encore eu gain de cause. Nos 45 000 martyrs ne sont même pas
reconnus dans leur propre fief. Alors, que dire de l'attitude de la France !
Ils ne peuvent en demeurer qu'insignifiants.
Cet homme, qui
qualifiait «le colonialisme de crime contre l'humanité», n'avait pas à se
justifier pour faire peser cette sentence. Convaincu de la justesse de ses
analyses, de l'acuité de ses visions, prospectif, il nous a contaminés de la
grandeur de sa perception. Vers les années 1990, et avec l'ouverture
démocratique arrachée, semble-t-il, des évènements d'octobre 1988 sous la
conduite de Chadli Bendjedid, la situation du pays frôlait le précipice, et le
retour des pieds-noirs devenait effectif. Le néocolonialisme implantait ses
pieux pour se refaire de nouveaux monuments. Par devoir de mémoire, un bilan
devait être établi sur les exactions et séquelles léguées par le colonialisme.
La Fondation inscrivait dans ses premiers objectifs le recensement systématique
des crimes et des criminels depuis 1830. Un travail qui devait constituer la
base d'un organisme que nous devions appeler le Tribunal. Lequel devait être
chargé de répondre à une question fondamentale : ces crimes sont-ils «des
crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ». Partant de ces données
historiographiques et conceptuelles, un verdict moral, nous confia Si El
Bachir, s'imposait pour plaider à la réécriture de l'Histoire. Car, celle-ci
n'était pas seulement tronquée. Sa perception variait selon les intérêts des
uns et des autres.
Les famines, les
maladies, la pauvreté qui gagnaient progressivement nos indigènes. Auxquelles
s'ajoutent l'inculture, le déracinement, le lavage de cerveaux, l'intégration
forcée, les assimilations, l'évangélisation, et j'en passe, des méfaits qui
n'étaient sûrement pas la conséquence de la nature. Mais l'émanation directe
des spoliations, des expropriations des terres et des richesses, des injustices
et de la ségrégation ethnique. Ils consacraient la loi des Blancs et du concept
réducteur de la suprématie des civilisations occidentales sur les autochtones. Le
code de l'indigénat et ses corollaires s'imposaient comme l'unique code civil
et pénal impunément appliqué. Alors, s'en défaire, restituer ses droits, les
arracher des entrailles de cette junte sauvage et rétablir les équilibres. Un
tel idéal, qui semblait, un moment, une utopie pour certains, ne pouvait
transiter que par une pédagogie relative à une réécriture juste et équitable de
notre Histoire. Cependant, si l'Å“uvre de si El Bachir et ses compagnons de
routes, les fondateurs de ce bastion de l'Histoire, cette fondation, blessée
aujourd'hui par l'inculture des uns, la rapine des autres et l'égocentrisme de
certains, souhaite continuer cette noble mission léguée par notre défunt
fondateur. Comme il ne cessait de le préciser: «Nous sommes dans l'Histoire,
alors que certains veulent nous plonger dans les histoires !!! »
Ces bribes
mémorielles, que je récolte subrepticement de souvenirs qui viennent se loger
là où je ne les attends pas, me font rejaillir comme une flamme les beaux
moments délectables que feu El Bachir nous avait fait l'honneur d'exposer comme
des leçons incontournables dans la vie de tous les jours. Une vie pleine
d'Å“uvres à réaliser, de vérités à rétablir et de droits à ravir. Car le droit
ne se donne pas, il est à arracher. Comme la liberté. Ce pays ne doit son salut
qu'aux «Hommes» convaincus d'être dans le bon et le droit chemin, qui se sont
battus pour arracher l'indépendance.
Aujourd'hui nous
faisons face à un double crime contre l'humanité. Celui du colonialisme et
celui de notre mutisme. Feu Si El Bachir, empruntant une citation de Freud dans
son livre «Moïse et le monothéisme», rappelait à ce sujet que : «Déposséder un
peuple de l'homme qu'il célèbre comme le plus grand de ses fils est une tâche
qui ne s'accomplit pas d'un cÅ“ur léger. Mais en aucune considération, on ne
saurait nous induire à négliger la vérité au nom d'un quelconque intérêt
national ».
Ce qu'ils
pensaient de lui… à sa mort
Ouyahia lui
reconnaît «un parcours »exceptionnel» au service de l'Algérie depuis le
mouvement national et la lutte de libération nationale jusqu'à la période de
l'indépendance ». Il s'est distingué à travers «d'importantes responsabilités
dont la dernière a été la présidence du Conseil de la Nation dont il s'est
admirablement acquitté », conclut-il.
Ahmed Mahsas, compagnon de route
reconnaissant, avait dit : «Le défunt a mené un parcours parfait dans le
mouvement national pour la libération du pays de la horde coloniale ». Il
poursuit : «J'ai fait sa connaissance après les évènements dramatiques de Mai
1945 à Sétif, cette wilaya qui a été complètement détruite. Nous étions jeunes
à l'époque, mais nous avions déjà l'esprit d'analyse de la situation et avions
prévu ce qui allait se passer ». «Il était un homme extrêmement courageux. Il a
lutté contre le colonialisme et Å“uvré pour l'édification de la Nation jusqu'au
bout... Nous ne pouvons aujourd'hui que témoigner qu'il a accompli ses missions
envers le pays avec bravoure et dévouement », reconnaît-il.
De son côté, M.
Abdelkader Bousselham, ancien ambassadeur, qui a connu le défunt alors qu'il
était ministre de l'Economie nationale, a indiqué que «cet homme était un
exemple de droiture », ajoutant qu' «il était une personnalité compétente et
qualifiée qui a réussi à accomplir des tâches colossales au sein du
gouvernement avec peu de moyens ». Il poursuit : «Boumaza est resté au service
du pays, il a fait face courageusement à des obligations extrêmement lourdes
dans la gestion des affaires du pays... c'est un exemple de droiture pour nos
cadres et notre jeunesse ».
Par respect au
mort, Abdelkader Bensalah reconnaissait en lui: «Un grand défenseur de la
mémoire nationale ». Le président du Conseil de la Nation, qui lui a rendu
hommage dans un message de condoléances adressé à la famille du défunt, avait
souligné que sa vie a été marquée par «des étapes saillantes dans la défense de
la mémoire nationale ». «Notre frère et moudjahid Bachir Boumaza a été rappelé
auprès de son Créateur après avoir consacré sa vie à la lutte pour la cause
nationale qu'il a menée depuis son jeune âge à côté des militants d'avant-garde
du Mouvement national. Il fut traqué et emprisonné avant de s'enfuir des geôles
françaises pour rejoindre la lutte en quête de liberté et de dignité ».
Je retiens les
propos du Président de la République, par lesquelles je conclus sur ces
témoignages de sympathie, et je m'interroge: Seront-ils encore effectifs? Il
avait dit : «Les nobles missions du défunt ne l'ont guère empêché d'accomplir
son devoir de militer au sein de la société civile à travers une association
nationale qu'il a fondée et présidée pour défendre le droit du peuple algérien
à l'indemnisation pour les crimes contre l'humanité commis à son encontre lors
des massacres de Mai 1945, jetant ainsi un jalon important dans l'édifice de
sauvegarde de la mémoire collective de la Nation contre l'oubli». Le défunt «se
distinguait aussi par ses positions franches dans la défense des causes justes
de la Nation arabe», ajoute le message. A l'unanimité, ils lui reconnaissent un
parcours exceptionnel, une droiture exemplaire, une abnégation et
l'accomplissement admirable et l'acquittement de sa mission tant sur le plan de
la mémoire que pour d'édification du dernier monument du parachèvement de la
démocratie. Même si celle-ci demeure encore virtuelle. Défenseur de la mémoire,
«il avait jeté un jalon important dans l'édification de sauvegarde de la
mémoire collective », disait le Président de la République. Notamment contre
l'oubli et l'amnésie.
Autant de
qualités à traduire dans les faits pour accomplir l'Å“uvre inachevée de cet
homme exemplaire. Ces legs qui pèsent lourdement aujourd'hui face aux
malversations de la mémoire et des politiques travesties, honoreront-ils leurs
propos en nous concédant le droit d'y parvenir ?
Mes lamentations…
Concédez-moi
cette dégression. Le refoulement est souvent nécessaire à la paix des âmes. Il
faut se confesser à Dieu. Grâce à Lui, on doit à Si El Bachir notre ascension.
Du moins ceux qui tournoyaient autour de la Fondation sans pour autant lui
rendre justice. Il faut lui reconnaître ses vertus d'homme généreux qui n'a, à
aucun moment, hésité à permettre à certains d'accéder au panthéon de la classe
politique. A des positions honorables dans le but n'était autre que de se
consacrer au devoir de mémoire. Non pour s'en défaire. Le message n'a pas été
perçu. Ceux du moins indignes qui, en retour, lui ont tourné le dos quand il en
avait besoin. Ces transfuges qui continuent à sévir là ou on leur ouvre des
brèches de tribunes à investir. Les partisans du slogan : «Mort le Roi, vive le
Roi ». Ils réserveront le même sort à tous leurs bienfaiteurs. Méfiez-vous
Monsieur le Président, ils sont nombreux qui s'agglutinent autour de votre
entourage pour tirer profit de votre bienveillance. Ils vous soutiennent sans
pour autant savoir pourquoi. Sont-ils capables d'être critiques envers votre
gestion. Ont-ils eu l'audace d'éplucher correctement votre programme pour
apporter leurs correctifs, tant sur le plan de la méthode que sur le plan de la
démarche. Rien de tout cela. C'est le sort accordé à notre défunt. Il a été
critique, juste et impartial. C'est un homme et tous les hommes sont
faillibles.
Il a toujours
était là quand on avait besoin de lui. Il ne nous a jamais abandonnés. Par
devoir de mémoire, loyal, il a tenu même à marquer son éclipse temporaire.
Notre modeste apport ne l'enrichira sûrement pas là où il est, il n'en a pas
besoin. Une pensée, une prière, une évocation intercéderont peut-être auprès du
Tout-Puissant pour qu'Il l'accueille parmi les siens dans Son Vaste Paradis.
C'est notre prière permanente.
* Président de la
Fondation du 8 Mai 1945
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Posté Le : 11/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Boukherissa Kheiredine*
Source : www.lequotidien-oran.com