Algérie

À La Marsa



Il est midi en ce 25 juillet 2011, jour anniversaire de la proclamation de la République tunisienne (c'est elle qui, en 1957, a mis fin à la monarchie des Beys). La petite plage de la corniche de La Marsa au nord de Tunis est quasiment déserte. Deux ou trois parasols battu par le vent, une petite buvette dont le propriétaire, « Monsieur crunch » pour les intimes, attend désespérément quelques acheteurs d'eau minérale, de biscuits salés ou de crèmes glacées, une grand-mère qui lit un polar et des gamins concentrés sur l'étude de bulots accrochés aux rochers à fleur d'eau : voilà pour l'affluence du jour. Rien à voir avec celle des années précédentes. Le vieux vendeur de cacahuètes et de « glibètes », homme fier venu de Tataouine a même remballé sa corbeille et s'apprête à rentrer dans sa ville natale pour y passer le ramadan. Et, signe qui ne trompe pas, les petits frimeurs qui, raquettes de « beach » à la main, investissaient en masses bruyantes le bord de mer pour - croyaient-ils - impressionner de jeunes donzelles peroxydées à coups de revers, d'ahanements forcés et de postures ridicules empruntées à Federer ou Nadal, ont abandonné l'endroit.

Une sourde inquiétude semble peser sur le lieu comme sur le pays. C'est la sensation que quelque chose se prépare dont personne ne sait si elle sera bonne ou mauvaise. Moments à la fois agréables et difficiles, comme si le temps venait d'être suspendu pour quelques heures ou quelques semaines en attendant les élections du 23 octobre prochain. Il ne s'agit pas de prémonition angoissée mais juste l'incapacité à discerner ce qui est en passe de remplacer l'ordre ancien. Comme c'est souvent le cas, l'état du ciel permet au chroniqueur ici présent de proposer une image qui résume au mieux la situation. La lumière d'été est vive, blanche, mais on dirait qu'une touche de chartreuse lui confère un zeste de mélancolie.

Et puis, il y a ces nuages qui glissent depuis le sud-est vers le nord et dont on peut se demander s'ils ne sont pas là pour rappeler qu'une guerre à l'issue de plus en plus incertaine se déroule à deux ou trois milliers de kilomètres de là.

Dieu merci, le soir venu permet de renouer avec la Tunisie festive et bonhomme. Avec la nuit, La Marsa vit et pulse. Le Petit Salem, glacier incontournable, est bondé comme le sont les cafés du saf-saf et les deux ou trois pizzerias du coin. Sur la promenade du front de mer, les étals, dont certains se déploient à même le sol, sont partout. Chinoiseries en tous genres venues de containers dont il se dit qu'ils auraient appartenu «à la famille», livres religieux hier interdits, colifichets et bijoux fantaisistes vendus par des Mourides sénégalais chassés de Libye et enfin, chose qui intrigue nombre de Tunisiens, de nombreux vendeurs d'amandes vertes importées des Etats-Unis bien meilleur marché que la production locale (voilà un effet insidieux du libre-échange).

De son côté, le centre commercial du Zéphyr est toujours aussi fréquenté. Signe de ces temps emprunts de « dégagisme », de revendications sociales et de couvre-feu plus ou moins implicite, le supermarché, une enseigne française, ne ferme plus à minuit mais à vingt-deux heures. Parfois, une (petite) bagarre éclate. On tend l'oreille. Chacun a le verbe dégage à la bouche. Jadis omniprésente, la police prend son temps pour venir mettre fin à la querelle à propos d'une monnaie mal rendue.

Et les touristes ? Ils sont là, bien moins nombreux que les années précédentes, mais présents tout de même. Des Français, heureux d'avoir fait la bonne affaire de leur vie. Et comment donc ! Des hôtels peu remplis, des plages pour eux tous seuls, pas de bagarre matinale à la piscine pour réserver ses transats et du rab en veux-tu en voilà au dîner du soir.           Que demander de plus pour monsieur et madame Durand ? Il y a bien sûr les Libyens. Près de sept cent mille soit autant que pour toute l'année 2010. Belles voitures climatisées et des liasses de dollars en poche mais profil bas tout de même à l'heure où la Tunisie n'en peut plus de soutenir pratiquement à elle seule le poids financiers des réfugiés à la frontière sud.     A cela s'ajoute la contrebande de produits, subventionnés ou non, qui, par camions entiers, prennent la route de la Libye et provoquent la hausse locale des prix. Eau, farine, huile, sucre, ciment : le pays voisin a besoin de tout, les exportateurs tunisiens font de gros bénéfices mais le consommateur râle, lui qui se demande s'il va joindre les deux bouts pendant le ramadan. Contrebande et pénurie… Inattendu spectacle en Tunisie que celui de rayonnages de supermarchés privés de packs d'eau minérale. Et les Algériens ? Disons-le sans ambages, c'est la grosse déception de l'été. Trop peu nombreux, présence fantomatique.      

Hammamet, Nabel, Sousse, Sfax et Monastir se demandent où sont passés ces grands dépensiers qui atténuaient le manque à gagner dévastateur du all-inclusive propres aux cargaisons humaines de charters européens. En Tunisie, on en veut à la presse algérienne d'avoir relayé en boucle des informations non fondées sur l'enlèvement d'une jeune mariée algérienne en lune de miel à Sousse. On y voit la main des « services algériens » ou alors celle des « bénalistes et trabelsistes » qui cherchent à déstabiliser le pays et à faire fuir les touristes. Bien sûr, on comprend aussi les réticences de ces voisins-frères qui ont sauvé le tourisme tunisien depuis plusieurs années.     On admet qu'ils n'aient pas envie de se frotter à ces salafistes qui pointent le bout du nez et qui leur ont tant empoisonné la vie chez eux. Mais tout de même… Les Tunisiens ont du mal à ne pas penser que l'absence de ces touristes est liée à ce sentiment de malaise voir de jalousie que l'on a vu naître en Algérie quand les manifestants de Tunis ou de Sidi Bouzid criaient « révolution » en affrontant les balles pour chasser le tyran. Et à La Marsa comme à Hammamet ou ailleurs, flotte ce regret selon lequel les touristes algériens ont finalement raté ce qui aurait pu être pour eux les meilleures vacances de la décennie en Tunisie…








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