Algérie

A l'heure de «l'immigration choisie» et des quotas professionnels Mekhloufi et Rouaï retournent en France



A l'heure des lois «Hortefeux» et des quotas migratoires par métiers, Rachid Mekhloufi et Amar Rouaï retournent en France. Le temps d'un colloque, le temps de rappeler que l'immigration maghrébine a été aussi une diaspora footballistique. Qui a contribué à forger le football hexagonal et à lui donner une visibilité internationale. Aux yeux de ceux qui les ont connus au plus fort de leur printemps, ils n'ont pas tellement changé. N'était-ce les rides, une somme de cheveux blancs et un léger surcroît de poids, ils sont toujours les mêmes. Vifs, joviaux, silhouettes dynamiques. Et, en dépit du poids du temps, porteurs d'une mémoire vivante, chargée de souvenirs. Rachid Mekhloufi (AS Saint-Etienne), Amar Rouaï (SO Angers) et le Marocain Hassen Akesbi (Nîmes Olympique) ont repris, ce week-end, le chemin de Marseille, une des villes témoins de leur riche carrière. A défaut de «faire parler» leurs pieds et de sacrifier à un énième «numéro» technique, ils ont fait jouer leur mémoire. Résultat final : près de quinze ans d'une vie footballistique exceptionnelle versée au crédit de l'Histoire des «foot» français et maghrébin. Septuagénaires, les «trois» y étaient non pas en déplacement, mais en pèlerinage mémoriel. Qui plus est dans une ville footballistique dans l'âme. Ils n'ont pas foulé le gazon du stade «Vélodrome» où ils avaient réalisé bien des coups. Pour tout «placement tactique», ils ont pris place à la tribune de l'Alcazar, lieu le plus visible du «Marseille culturel», sur la Cours Belzunce. Là où, fraîchement débarqués des paquebots, les Algériens et Maghrébins de la première génération d'immigrés se donnaient rendez-vous. Pendant deux jours, Mekhloufi, Rouaï et Akesbi ont livré le match le plus inédit de leur parcours. Pas de dribles, ni de «une-deux», aucune ouverture lumineuse, encore moins de buts. Pour autant, autant qu'une empoignade de Championnat ou de Coupe de France, le rendez-vous de l'Alcazar n'était pas dénué d'enjeu. A preuve, son intitulé générique : «Les footballeurs maghrébins de France au XXème siècle : itinéraires professionnels, identités complexes». Né d'une idée de Naïma Yahi, une jeune universitaire franco-algérienne travaillant sur les questions des migrations, le projet de colloque a été porté par «Génériques» et «We are football association». Ces deux associations s'activent, sans relâche, à cultiver deux pans mémoriels importants. La première, venue au monde en 1987, oeuvre à la préservation des vécus et imaginaires de l'immigration. La seconde, créée en 2005 à l'initiative d'universitaires, travaille sur l'histoire du foot. De colloque en publication, elle contribue à en faire un champ d'étude académique. «Génériques» et «We are football association» peuvent se targuer, à raison, d'être des précurseurs en la matière. D'avoir été les premiers à aborder l'immigration sous l'angle du sport. En quarante ans, le champ de la présence maghrébine en France a été labouré dans tous les sens. Qu'il s'agisse de ses dimensions politique, sociologique, économique, identitaire et culturelle, le vécu des Maghrébins, toutes générations confondues, a été passé au crible sous de multiples facettes. Mais de dimension sportive, il n'en a jamais été question. Ou très rarement, l'espace d'articles de presse ou le temps d'événements commémoratifs. Pour une première entrée en matière, les organisateurs ont battu le rappel d'une bonne vingtaine d'intervenants. Dans le registre footballistique, il y avait, outre Mekhloufi, Rouaï et Akesbi, les Algériens Mustapha Dahleb et Kader Ferhaoui, ex-sociétaires du Paris Saint-Germain et du FC Montpellier, le Tunisien Taoufik Belghit (AS Monaco). Côté académique, le panel avait de l'allure. «Génériques» et «We are football association» ont invité des auteurs de travaux réalisés ou en chantiers sur la thématique footballistique. Première à donner le coup d'envoi du match mémoriel, la communication de Claude Boli du Musée du sport (Université d'Evry) a commencé par le commencement. D'origine africaine, son auteur a évoqué la mémoire du Marocain Larbi Ben Barek, «première vedette maghrébine du football français». Surprenante carrière que celle de «La perle noire». Brève pour cause de Seconde Guerre mondiale, elle n'en a pas été moins «très médiatique». Ismaïl Bouchafra-Hennequin de l'Université de Franche-Comté (Est de la France) a capté l'attention du public par son exposé sur «le choix de la nationalité sportive». Au travers d'exemples nominatifs, il a expliqué les motivations qui président, chez les jeunes Franco-Maghrébins, au choix de la sélection nationale. Entre aspiration à une carrière internationale digne de ce nom et attachement au pays des origines, le coeur des jeunes footballeurs balance. Endosser le maillot bleu ou répondre à une convocation de l'équipe marocaine, algérienne ou tunisienne : à l'heure du choix, le «dilemme» est assurément difficile. Mais, de plus en plus, les Franco-Maghrébins de la 3ème génération d'immigrés optent pour la raison sportive à la raison de l'identité et du coeur. Les cas du Marseillais Samir Nasri et des Lyonnais Karim Benzemma et Haitam Ben Arfa sont révélateurs. Les deux premiers ont choisi l'équipe de France à celle du pays de leurs parents. Le troisième a jeté son dévolu sur le maillot bleu à la place de la tunique rouge tunisienne. «Arbitrée» par Stéphane Mourlane, vice-président de «We are football association», cette première table ronde sur les «modèles et diversités des footballeurs maghrébins en France» a été complétée par Paul Dietschy sur «les footballeurs marocains dans l'Hexagone et Faouzi Mahjoub sur «l'exportation difficile des joueurs tunisiens» de l'autre côté de la Méditerranée. Professeur à l'Université de Franche-Comté et membre fondateur de «We are football association», le premier a mis en lumière le profil élégamment technique des Marocains de France. De Larbi Ben Barek à Youssef Hadji (Nancy), ils se rejoignent sur une facette : quasiment tous, ils sont soit un milieu de terrain offensif, soit un attaquant. «Des joueurs talentueux, dotés d'une technique hors normes», note le conférencier. Témoin de la trajectoire du football maghrébin depuis la fin des années 1950 à aujourd'hui, le journaliste Mahjoub Faouzi a énuméré les raisons d'une fausse note dans la «France maghrébine du football» : l'absence tunisienne. A la différence de leurs voisins algériens et marocains, le nombre des footballeurs tunisiens ne dépasse pas les doigts des deux mains. Toutes périodes confondues. Quantitativement, les itinéraires des footballeurs tunisiens - notamment la génération du mondial argentin de 1998 - ont cheminé plus vers les pays du Golfe que vers la France et l'Europe. Longtemps, la limitation à deux du nombre de «pros» autorisés à jouer une Coupe d'Afrique des nations a dissuadé les Tunisiens à s'expatrier vers la rive nord. «La Fédération tunisienne était peu encline à les laisser partir au risque de les voir évincés d'une Coupe d'Afrique», rappelle le journaliste. Même interprétée sur le temps long, l'absence tunisienne ne s'explique pas aisément. Cela tient-il à une mentalité et une culture footballistique très tunisienne ? A un attachement aux clubs locaux, autrement mieux organisés que leurs homologues Algériens et Marocains ? Aux conditions sociales du jeune footballeur tunisien, «sans doute meilleures» que celles de ses vis-à-vis algérien et marocain ? Mahjoub Faouzi se livre, en guise d'explications possibles, à ces questions, mais sans y apporter de réponses. Temps fort du colloque, la seconde table ronde s'est attardée sur la «longue histoire» des footballeurs algériens en France. Très attendue, cette partie du colloque s'est déclinée en quatre communications. La première (Stanislas Frenkiel, Université de Paris XI) sous forme de panorama sur la présence footballistique algérienne dans l'Hexagone avant la création de l'équipe du FLN. La seconde (Naïma Yahi, Université de Paris VIII) s'est intéressée à l'entrée des footballeurs «français musulmans d'Algérie» dans la guerre d'Algérie. La troisième (Jean-Charles Scadnetti, Université de Nice) a remis en perspective l'apport décisif des Algériens de France - Dahleb, Kourichi, Mansouri et autres - dans la mémorable campagne du mondial espagnol (1982). La quatrième (Yvan Gastaut, Université de Nice) est revenu sur les raisons du «non-match» France-Algérie au Stade de France. Dense et fécond, l'échange l'a été de bout en bout de cette table ronde. Sans chercher à bousculer sa légendaire modestie, Mustapha Dahleb - l'homme au concours décisif dans la victoire contre l'Allemagne - a souligné à grands traits les mérites de la diaspora footballistique algérienne. Elle a servi avec un «talent inégalé» aussi bien les clubs français que l'équipe algérienne. Stanislas Frenkiel a évoqué «le désir de France» d'une génération de footballeurs qui, l'appel du FLN venu, ont troqué les maillots de leurs clubs pour le maillot de «l'Algérie combattante». Naïma Yahi a rappelé les «sacrifices» de footballeurs qui, promis à la célébrité internationale, ont fait le choix de la révolte footballistique. Quitte à se mettre au banc de la FIFA. Yves Gastaut a évoqué les «tourments de la double identité» tels qu'ils se sont manifestés le 6 octobre 2001 lors du premier match Algérie-France «A» depuis l'indépendance. Quelles qu'en soient les périodes, les cheminements, les fortunes, les «ruptures» (Equipe du FLN) ou «déchirures» (fin de carrière, retour au bercail), l'histoire du football maghrébin est indissociable de l'histoire du football français. «La première a été déterminante dans l'évolution de la seconde. Le football français ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans l'apport enrichissant de générations entières de joueurs maghrébins et de français d'origine maghrébine», professe Paul Dietschy de l'association «We are football association».


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)