Algérie

A l'école



Me voici sous la voûte du préau, assis bien sagement sur un petit banc aux pieds métalliques arqués, entouré d'hommes et de femmes s'embrassant, se présentant ou se racontant leurs vacances respectives. Ici, la mère du petit François, là-bas, celle de Mounir, à côté, le père et le grand-père de Bao Zhen, derrière, les parents de Salomon qui font connaissance avec ceux d'Aminata. Ça parle, ça piaille. A l'extérieur, la lumière de septembre se pose doucement sur les feuilles des pruniers. «L'heure des papas, des mamans et des nounous», c'est-à-dire la sortie des classes, est passée depuis longtemps et le gros de la marmaille est parti.      A l'exception de quelques mioches turbulents, ne restent que les parents, tous conviés à la traditionnelle réunion d'information de rentrée. Oreilles tendues, quelques stylos décapuchonnés, de rares carnets qui s'ouvrent, c'est la directrice qui vient d'imposer le silence et qui commence à parler. Mon regard cherche la pendule puis s'échappe par les portes vitrées. Vieux réflexes... La cour déserte est tentante. Sortir pour chasser ce relent d'angoisse qui vient de s'échapper de la nasse. L'école... L'attente de la sonnerie, les compositions, les devoirs, mauvaises notes et punitions, le classement puis les bulletins, les partiels, les mémoires, jurys et soutenances. Soupir. Reprendre son sang-froid, expirer lentement, se concentrer. J'essaie d'accrocher le fil de la présentation. Il est question du respect des horaires, surtout ceux du matin. Recommandation classique. La voix se fait soudain plus ferme. Hors de question, avertit-elle, que les poussettes encombrent le hall. «Je ne peux tout de même pas laisser mon bébé à l'extérieur quand j'accompagne sa grande soeur dans la classe», proteste une maman en pantacourt et tongs argentées. Murmures dans l'assemblée. De ferme, le ton de la directrice devient presque sévère. «Le personnel qui se tient à la porte d'entrée n'est pas là pour surveiller les poussettes et encore moins les bébés qui s'y trouvent. Prenez-le dans vos bras» Approbation quasi générale. La dame en tongs hausse les épaules. Nouvelle question. Une autre maman. Habillement plus classique mais, dirais-je sans faire injure à la correction, même culot. «Le soir, je n'ai pas le temps de lire le cahier de correspondance. Pourquoi ne pas photocopier vos notes d'informations en grand format et les afficher à l'entrée de l'école ?» Réprobation et agacements. L'autre insiste. «Des photocopies, c'est pas la mer à boire !» Un brouhaha excédé la fait taire. Parfois, la foule sait être intelligente. Je réalise alors que je connais l'animale. Je l'avais repérée, il y a quelques années, lorsqu'elle s'en était prise aux éducatrices d'une crèche. «Je n'aime pas trop que vous donniez du papier et des feutres à mon fils, avait-elle protesté. C'est la meilleure manière de lui apprendre à gribouiller sur les murs...». Sans commentaire. Remarquez, cela vaut le «pourquoi ne leur donnez-vous pas de travail à faire à la maison ?» lancé, lors de la même réunion, par un quadra dynamique, sûrement inquiet de voir son fils de deux ans inoccupé et menacé d'être distancé dans la féroce course à l'excellence. Travailler tôt pour, plus tard, travailler plus... Fin de la première partie. On quitte le préau et direction la classe des titous. Cette fois, c'est, selon le cas, la maîtresse ou le maître qui parle. Objectifs, règles, programme de la journée, projet pédagogique, sorties éducatives (musées et pique-niques), coopérative scolaire qui a besoin d'argent mais à qui personne n'est obligé d'en donner car l'école de la République, c'est l'école de la République. Puis vient le temps des questions. Un grand moment. Cas classique: le père, ou, plus encore la mère (n'y voyez aucun signe de misogynie de ma part), qui, stratégie de gros sabots, en profite surtout pour parler - longuement -de son rejeton. Exemple: «Carl ceci», «Carl cela» sans oublier que Carl «aime beaucoup être encouragé», autrement dit «tu as intérêt à t'occuper de mon fils parce que, de toutes les façons, tu vas m'avoir sur le dos pendant toute l'année.» Autre question. «Vous les instits, zavez t'jours besoin de papier non ? Ça vous intéresse des listings ? J'en ai un max», interroge un père qui, jusque-là, semblait s'ennuyer ferme. Impossible de le faire taire. Je ne comprends pas tout ce qu'il dit mais c'est un festival. «L'gamin, l'en a rien à battre que ce soit du papier déjà imprimé, non ?». A ma gauche, une mère me demande en chuchotant «parlez-vous le Fadela Amara ?» J'éclate de rire. Oui, je le reconnais. L'école, avait du bon lorsqu'il s'agissait de moquer les autres. Que de cancres harcelés, que de bonnes volontés traumatisées, que de fayots brimés mais, ceci expliquant cela, que de coups reçus et que d'ennemis faits. «J'entends encore un seul bruit, et je quitte la classe» avait menacé une enseignante de langue française. Propulsée à la manière d'une bille, par le pouce et le majeur, la pièce de vingt centimes avait effectué un vol parabolique parfait et lui était tombée sur la tête. Scandale. Vingt-six ans plus tard, j'en ris encore sans remord. Revenons à la classe car, comme à chaque réunion, vient l'instant de la question inoubliable. Celle qui restera dans tous les esprits et qui collera comme une sangsue à la peau de son auteur. «J'aimerais que vous leur appreniez à faire ce qui est nécessaire dans les toilettes», ordonne une mère en jean et sandales à grosses semelles (en fait, l'ordre était plus trivial mais, cette chronique étant parfois lue à l'heure du thé et du kalbelouz, j'ai préféré en édulcorer l'énoncé). L'institutrice est abasourdie tout comme la majorité des parents présents. On se regarde, incrédules, certains soupirent bruyamment tandis que d'autres ricanent. Mais la dame insiste et devient même agressive: «Ma fille passe plus de temps avec vous qu'avec moi. C'est à vous de lui apprendre à être propre !». C'en est trop. Je m'éclipse en hochant la tête. Quelques jours plus tard, sans surprise, je tomberai sur elle en train de distribuer les prospectus d'une association de parents d'élèves...


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