Algérie

A FONDS PERDUS Les cœurs et les esprits, aussi



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De façon générale, une perception moderne des conflits entérine l'idée d'une sorte de gentlemen agreement, de conflits à la loyale.
Rien n'est moins vrai, et aucune période de l'Histoire ne fait exception à la soif de pouvoir de l'homme faite d'un concentré de passion et de sang. Un récent article de Max Boot remet les pendules à l'heure en matière de lutte anti-guérilla et autres mouvements subversifs(*). L'auteur rappelle que «pendant la majeure partie de l'existence, longue et sanglante, de notre espèce, la guerre a été principalement le fait de bandes plus ou moins organisées, indisciplinées, qui dédaignent la bataille ouverte au profit de raids furtifs et d'embuscades». En fait, la guerre conventionnelle est une invention relativement récente et un phénomène plutôt rare. La ligne de démarcation entre guerre régulière ou conventionnelle et irrégulière ou non-conventionnelle s'est accentuée avec l'irruption des armées permanentes nationales après «la guerre de Trente Ans» et leur généralisation ; processus qui va de pair avec l'éclosion des Etats-nations, laquelle a atteint son paroxysme dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L'Etat-nation a, de tous temps, été contesté par des soulèvements armés non conventionnels, à l'image des mouvements terroristes qui sévissent aujourd'hui dans nos contrées. Le principal enseignement que tire l'auteur de l'action des gouvernements ayant enregistré un grand succès contre les mouvements insurrectionnels et les ayant exterminés est le suivant : les insurrections n'ont pas été combattues comme dans des guerres conventionnelles ; le principe fondamental ici : «le minimum de feu.» Il juge nécessaire de rappeler que lorsque les Etats-Unis faisaient face à la guérilla au Vietnam, William Westmoreland, commandant des opérations américaines, avait formulé une réponse extrêmement classique attestant que les belligérants dépensaient beaucoup de puissance de feu et détruisaient de nombreuses vies sans pour autant être assurés de remporter la victoire. Depuis, les choses ont fondamentalement changé. La guerre froide et l'équilibre de la terreur sont derrière nous : «Depuis les années 1980, les souvenirs du colonialisme se sont émoussés, les excès des dirigeants post-coloniaux sont devenus plus apparents, l'opportunité du capitalisme est partout positivement reconsidérée, et les mouvements de gauche ont entamé leur déclin faute de soutiens extérieurs.» «La guérilla et le terrorisme ont tout simplement pris des formes différentes.» Le passage des motivations politiques aux alibis religieux est perçu comme «le produit de décennies, voire de siècles, de développement». En quoi le développement peut-il générer le fondamentalisme ' Prenant à son compte les enseignements de l'analyste Brian Jenkins, spécialiste du terrorisme des années 1970, il adhère à la thèse : «Le terrorisme, c'est du théâtre.... Les terroristes veulent beaucoup de gens qui regardent, pas beaucoup de morts.» En réaction, les Etats-Unis et leurs alliés ont développé une panoplie de moyens de défense qui reposent prioritairement sur le travail de police et de renseignement : «Les militaires ont, certes, joué un rôle important, mais rarement comme élément central en Afghanistan et en Irak — pays dont les gouvernements ont été renversés par les invasions américaines. Dans des Etats où les gouvernements fonctionnent peu ou prou, comme les Philippines et l'Arabie saoudite, le rôle américain a été limité à la formation, la livraison d'armes, le renseignement, et toute autre assistance pour aider les gouvernements à lutter contre les extrémistes.» Au-delà des efforts et du soutien de l'Occident contre Al-Qaïda, les protestations populaires au Moyen-Orient se sont révélées déterminantes contre les organisations terroristes. Même avant la mort d'Oussama ben Laden, en 2011, le Pew Global Attitudes Project, un organisme de sondage américain réputé, avait enregistré une forte baisse de la portion de population qui lui accordait sa «confiance» dans le monde arabe et musulman : entre 2003 et 2010, le chiffre est tombé de 46% à 18% au Pakistan, de 59 à 25% en Indonésie, et de 56 à 14% en Jordanie. Certes, d'autres groupes islamistes continuent de sévir en Afghanistan et au Pakistan, le Hamas contrôle la bande de Gaza, le Hezbollah reste très influent au Liban, les Shabab sont aux portes du pouvoir en Somalie, Boko Haram progresse au Nigeria, et deux groupes plus récents, Ansar Dine et le Mouvement pour l'unité et le jihad en Afrique de l'Ouest, avaient réussi à prendre le contrôle du nord du Mali avant d'y être chassés par l'armée française. Malgré la mort de Ben Laden et d'autres revers subis par Al-Qaïda, la guerre contre le terrorisme islamiste est loin d'être gagnée. Petites guerres, grandes leçons, conclut l'auteur. «La longue histoire de conflits de faible intensité révèle ce qu'une guérilla omniprésente peut faire subir comme revers et humiliations à des troupes régulières si son importance vient à être ignorée, ou négligée.» L'armée américaine admet sa fâcheuse maladresse d'avoir omis de s'adapter aux «petites guerres», en dépit de son expérience considérable de lutte contre les Amérindiens, les insurrectos philippins, le Vietcong, Al- Qaïda, les talibans, et de nombreux autres groupes, rebelles. «Pour éviter des calamités semblables à l'avenir, les soldats et les décideurs d'aujourd'hui doivent évaluer avec précision les forces et les faiblesses des insurgés». Il est important de ne pas sous-estimer, ni surestimer la puissance de la guérilla. Or, depuis que les fractions rebelles refusent de s'engager dans des face-à-face conventionnels, elles ont été systématiquement sous-estimées. Heureusement qu'après 1945, le sentiment populaire a évolué dans le bon sens, renvoyant des hommes de la guérilla l'image de «figures inhumaines». «La vérité se situe quelque part entre les deux : les insurgés ont perfectionné leur art militaire depuis 1945, mais ils perdent la plupart du temps. Leur succès grandissant est dû à la propagation de la technologie des communications et l'influence croissante de l'opinion publique. Ces deux facteurs ont sapé la volonté des Etats de s'engager dans des actions anti-insurrectionnelles prolongées, surtout en dehors de leur propre territoire, et ont renforcé la capacité des insurgés à survivre même après avoir subi des revers militaires.» Dans la lutte contre la rébellion, les tactiques conventionnelles ne fonctionnent pas. Pour les vaincre, les soldats doivent se concentrer non pas sur la guérilla, mais à sécuriser la population locale. Il s'agit de bien plus que de gagner «les cœurs et les esprits» — une expression inventée par Sire Henry Clinton, un général britannique durant la Révolution américaine, et popularisée par Sire Gerald Templer, un autre général, en Malaisie dans les années 1940 et 1950. La seule façon d'obtenir ce contrôle est de maintenir des troupes en garnison parmi les civils, 24 heures par jour, sept jours par semaine. Ce qui n'est possible «que si les forces de sécurité ont un certain degré de légitimité populaire», conclut l'auteur. La démocratie comme antidote durable du terrorisme.
A. B.
(*) Max Boot, The Evolution of Irregular War : Insurgents and Guerrillas From Akkadia to Afghanistan, Foreign Affairs, 5 janvier 2013.


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