Algérie

A FONDS PERDUS L'Iran en exemple !



ammarbelhimer@hotmail.fr
Une fois n'est pas coutume, la revue américaine Foreign Affairs, pourtant très proche du Département d'Etat, reconnaît aux autorités iraniennes une réussite indéniable dans leur lutte contre les filières de la drogue.
Pour un pays frontalier du premier réservoir mondial de pavot l'Afghanistan l'exploit ne pouvait pas passer inaperçu et toutes les polices du monde méditent aujourd'hui l'exemple iranien. Le modèle iranien. En Afghanistan, rappelle Amir A. Afkhami, l'auteur de l'étude, le trafic de stupéfiants a pour moteur une chaîne de corruptions qui va du policier à l'agriculteur, en passant par les intermédiaires, les passeurs et les barons de la drogue. C'est un pays où il est plus facile de «vendre des coquelicots que des diamants et de l'or. La plante y est tout aussi précieuse». Même la puissante OTAN ne peut que déplorer la persistance du trafic de stupéfiants qui représente, à ses yeux, «l'une des plus graves menaces pour la stabilité et la sécurité du pays sur le long terme». La coalition occidentale qui y traque, sans grand succès, les Talibans depuis l'attaque du 11 septembre a déjà dépensé plus de 6 milliards de dollars pour tenter de mettre un terme au commerce de la drogue. L'effort en direction des agriculteurs a porté principalement sur la promotion des cultures de substitution et le démantèlement des réseaux financiers illicites. En vain : l'Afghanistan reste le plus grand fournisseur mondial d'héroïne et la plaque tournante d'autres activités illégales. Pire : la production d'héroïne a été multipliée par quarante depuis l'intervention de l'OTAN, en 2001. Le chiffre est de Viktor Ivanov, directeur du service fédéral russe de contrôle des narcotiques, dans un discours tenu à Vienne le 11 mars 2013 à l'occasion de la 56e session de l'office de Nations-Unies contre la drogue et le crime. Au cours de la dernière décennie, la place de l'opium dans l'agriculture a fait un bond de 18%, passant de 131 000 à 154 000 hectares cultivés. Peu de temps avant l'intervention de l'OTAN, les Talibans avaient pris des mesures d'interdiction de l'opium, le déclarant contraire aux lois islamiques, et avaient réussi à faire tomber sensiblement le niveau de production. Celui-ci reprit de plus belle depuis l'intervention occidentale. Les Talibans ont, depuis, rétabli leur contrôle de la filière et Kaboul couvre désormais 90 % du marché mondial de l'héroïne dont une grande partie se retrouve dans les rues des grandes villes des Etats-Unis, de Russie et d'Europe. Aujourd'hui, environ 15 % du produit national afghan sont directement issus des exportations de drogue, dont le montant est estimé à quelque 2,4 milliards de dollars par an. De l'autre côté des frontières, les stupéfiants afghans causent plus de 10 000 décès par surdose d'héroïne par an «ce qui les rend beaucoup plus mortels que les munitions qui ont coûté la vie à environ 3 200 membres de la coalition depuis le début de la guerre». La Russie, pays frontalier de l'Afghanistan, a raison de s'inquiéter. Le partage de seringues chez les utilisateurs de drogues par voie intraveineuse a conduit à une explosion des infections de VIH au cœur de la Russie, dans les pays baltes et en Europe de l'Est. En Afghanistan même, une étude réalisée par l'Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime en 2010 mentionne que près d'un million d'Afghans âgés de 15 à 64 ans sont accros à la drogue (contre 860 000 en 2005). Huit pour cent de la population adulte afghane est ainsi dépendante de la drogue, un taux deux fois plus élevé que la moyenne mondiale. Et la situation ne cesse d'empirer. En effet, les Afghans consomment de plus en plus de drogues par voie intraveineuse. La consommation d'héroïne y a augmenté de 140 %, entre 2005 et 2010 seulement. Cela augmente le risque de maladies mortelles transmissibles par le sang, notamment le sida. L'auteur de l'étude invite le commandement américain en Afghanistan à se tourner vers d'autres modèles. L'Iran est donné en exemple à suivre. Ce pays a emprunté plusieurs voies avant de découvrir la bonne. Au cours d'une grande partie du XXe siècle, la stratégie adoptée pour lutter contre la toxicomanie était semblable à celle du voisin afghan ; elle consistait à détruire les récoltes. Au début des années 1970, les autorités mettent l'accent sur la prévention et le traitement, avec des résultats prometteurs. La révolution islamique de 1979 instaure la tolérance zéro. Le régime fait valoir une nouvelle perception du problème : la consommation de drogues n'est plus un problème médical ou de santé publique, mais une faille morale inadmissible, à combattre par des mesures répressives, comme l'emprisonnement et le châtiment physique. Les trafiquants de drogue et les contrebandiers sont carrément considérés comme «en guerre contre Dieu» et exécutés. À la fin des années 1980, le gouvernement envoie des milliers de toxicomanes dans des camps, pour se désintoxiquer et expier leur péché par le travail forcé. Ces mesures sociales draconiennes contre les consommateurs et les revendeurs de drogue ont été jumelées à des opérations de même envergure pour cadenasser la frontière avec l'Afghanistan. Si à la fin des années 1980, environ 50 % de la production de drogue transitait par le territoire iranien alors inondé d'opium afghan, d'héroïne et de morphine il en va autrement aujourd'hui. Téhéran a construit, depuis le début des années 1990, plus de 260 kilomètres de défenses fixes — y compris des barrages en béton qui contrôlent les cols de montagnes, des talus anti-véhicules, des tranchées, des champs de mines, des forts et des tours de montagne. Ces ouvrages de contrôle ont coûté plus de 80 millions de dollars. En frais de fonctionnement, on recense, à la fin des années 1990, plus de 100 000 policiers, soldats de l'armée et de la Garde révolutionnaire déployés dans les opérations antidrogues. Mais les voies célestes ont été impuissantes à juguler le fléau. En dépit d'une augmentation des prises et des saisies multipliées par huit en 1999 comparativement à ce qu'elles étaient en 1990 le déferlement de la production afghane (elle est passée d'environ 1 500 à 4 500 tonnes) a accru le nombre de consommateurs de drogues par voie intraveineuse, allant jusqu'à transformer les camps de désintoxication en «épicentres de la consommation de drogue dans lesquels les gens apprennent à s'injecter de l'héroïne et à partager des aiguilles infectées», avec pour conséquence la prolifération du sida. Ces reculs ont induit un revirement total dans l'approche de Téhéran. A la démarche répressive succède la prévention. En 2002, plus de 50 % du budget de contrôle des drogues ont été consacrés à des campagnes préventives de santé publique, principalement la publicité et l'éducation. Des centres mobiles de traitement et des cliniques recourant à l'abstinence ont été ouverts à Téhéran et dans les provinces et les organisations non gouvernementales autorisées à joindre leurs efforts à l'œuvre commune de prévention et de traitement. Le gouvernement a même entrepris de soutenir implicitement les programmes d'échange de seringues, allant jusqu'à encourager la distribution de seringues propres dans le système pénitentiaire iranien. Ce faisant, l'Iran vise non seulement à stopper l'épidémie de VIH/sida, mais aussi à réduire la demande de stupéfiants illicites et à insérer les consommateurs de drogue dans le tissu économique et social. Autant de mesures qui ont commencé à porter leurs fruits : le nombre de nouveaux cas de VIH parmi les consommateurs de drogues injectables est tombé de 3 111 en 2004 à 1 585 en 2010. Une tendance particulièrement marquée chez la population carcérale qui a connu une baisse de la prévalence du VIH en son sein de 7,92 % en 1998 à 1,51 % en 2007. En outre, des améliorations ont été observées dans l'espérance de vie des toxicomanes et leur bien-être psychologique, associés à une réduction globale de la consommation illicite de drogues.
A. B.
(*) Amir A. Afkhami, How Iran Won the War on Drugs : Lessons for Fighting the Afghan Narcotics Trade, Foreign Affairs, April 2, 2013. http://www.foreignaffairs.com/


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