Algérie

A FONDS PERDUS L'Amérique parviendra-t-elle à endiguer l'islamisme '



ambelhimer@hotmail.com
Après l'Union soviétique, l'extrémisme islamique subit un retour en force de la vieille théorie du containment (d'endiguement) destinée à le contenir, après avoir échoué à l'affronter, en attendant qu'il disparaisse de lui-même, victime de ses excès. C'est la lecture de la politique extérieure des Etats-Unis que suggère une biographie de l'artisan de l'une des orientations majeures de cette doctrine politique qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle : George F. Kennan.
Ce dernier est, en effet, le père de la doctrine de l'endiguement qu'il explicita le 22 février 1946 dans le Long Télégramme à destination du secrétaire d'Etat James F. Byrnes. George F. Kennan est ancien chef d'état-major du département d'Etat à la planification des politiques (eh oui, le capitalisme, ce n'est pas que le marché !) sous le mandat du président Harry Truman. A ce titre, il contribua directement et activement au remodelage du monde après la Seconde Guerre mondiale. Il fut, notamment, l'artisan de la politique du containment (d'isolement de l'Union soviétique) et joua un rôle central dans la mise au point du plan Marshall. Ses prises de position anticipèrent également les dangers de la division de l'Allemagne et de la course aux armements. On doit à John Lewis Gaddis, historien à l'université de Yale qui a publié dix livres de référence sur la guerre froide, une biographie magistrale de Kennan récemment parue sous le titre : George F. Kennan : An American Life, biographie réalisée à partir d'entretiens intimes avec lui et de documents et notes personnelles inédits dont la dernière livraison de Foreign Affairs nous livre une fiche de lecture exhaustive(*). L'Amérique doit à son digne serviteur un sens aigu de l'anticipation. En 1940, il prédit avec précision la date d'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Allemagne et combien de temps elle prendrait ; à l'été 1950, il mit en garde contre le risque de consentir trop de pouvoirs au général Douglas MacArthur en Corée ; en 1966, il appela à un retrait du Vietnam «dans la dignité». L'homme semble bien différent lorsqu'il livre son intimité à Gaddis : «Il y a des moments où je me vois un peu veule, un peu enfantin, petit homme futile.» Certains attribuent ce mépris de soi à ses fréquentes maladies, d'autres à une sorte de perfectionnisme : il a consacré chaque instant de sa vie à réfléchir à la meilleure façon de faire pour lui-même et pour servir son pays. Kennan avait deux longueurs d'avance sur ses contemporains : la première se rapportait au containment qu'il conceptualisa en 1947 dans un article paru dans Foreign Affairs. L'idée nouvelle soutenait qu'il y a un juste milieu entre la diplomatie et la guerre et que si la première échoue la seconde n'est pas inévitable. Les Etats-Unis n'avaient alors pas à chasser les communistes du pouvoir à Moscou ou ailleurs, et ils n'avaient pas besoin de se déployer en Europe de l'Est. Il suffisait d'attendre que l'ordre soviétique disparaisse de sa belle mort. Cette éventualité a été inspirée à George Kennan par l'Histoire de l'effondrement de l'Empire romain qu'aucune guerre ne pouvait vaincre mais qui fut rongé par la corruption et la décadence morale. Parmi ses citations favorites : «Rien n'est plus contraire à la nature que la tentative de tenir dans l'obéissance des provinces lointaines.» Les anticipations de Kennan ont accouché du contraire : la guerre froide et cela lui procura, paraît-il, beaucoup de peine. Autre longueur d'avance de Kennan : un sens monumental, quoique peu original, du réalisme, consistant à exprimer un scepticisme souligné quant à la compétence des Etats-Unis à décider des affaires étrangères. Compte tenu de cette incompétence (dont la meilleure illustration est le recours systématique à la politique de la canonnière), il lui semblait plus recommandé de limiter leur engagement. En 2002, à l'approche du conflit irakien, il était alors bien inspiré pour déclarer : «La guerre a une dynamique propre et elle vous transporte loin de toutes les intentions raisonnées quand vous y entrez. Aujourd'hui, si nous nous engageons en Irak, comme le président voudrait le faire, vous savez où vous commencez. Vous ne savez jamais où vous finirez.» La biographie met en lumière une autre attitude particulièrement intéressante et inédite : la distance que met Kennan avec sa propre nation : «Kennan est né aux Etats- Unis, il a servi son gouvernement et il pouvait mourir nourri de gloire. Mais il considérait ce pays avec les yeux d'un visiteur mécontent.» S'agissant de la complexité de la vie, Kennan exprime la frustration que lui procure sa «parenté» avec John F. Kennedy, et son animosité envers Ronald Reagan : «Le premier l'avait nommé comme ambassadeur en Yougoslavie, mais avait ignoré toutes ses recommandations. Reagan n'a jamais fait appel à ses compétences, mais ils partageaient la même répulsion envers la course aux armements.» A bien y réfléchir, la politique étrangère de l'administration de Barack Obama ressemble étrangement aux préconisations de George Kennan, soutient l'auteur de la biographie. Au titre des similitudes, il y a le retrait progressif d'Afghanistan et d'Irak. Kennan l'aurait soutenu de toutes ses forces. Il aurait cependant combiné ce retrait avec des actions militaires ciblées car, malgré son côté libéral, Kennan «se souciait peu des subtilités du droit international et n'avait pas peur de la magie noire». Il a, à ce titre, aidé à concevoir des opérations secrètes de la CIA et à planifier certaines des frasques de l'agence. Plus fondamentalement, la similitude tient au constat que «l'administration Obama est passée d'une politique destinée à étouffer le terrorisme islamique à une autre ligne qui essaie de le contenir. L'objectif déclaré n'est plus de débarrasser le monde d'Al-Qaïda, mais de limiter les dégâts qu'il peut occasionner. Les Etats-Unis ne cherchent plus à écraser les talibans mais à leur parler». Ce faisant, ils auront réussi la transition de l'islamisme insurrectionnel à l'islamisme institutionnel. Les discours d'Obama et Kennan sur la nécessité de débarrasser le monde des armes nucléaires se font également écho. De même que Kennan aurait préféré l'humilité de l'actuel président à l'arrogance de George W. Bush ou encore de Bill Clinton.
A. B.
(*) Nicholas Thompson, Ideas Man, The Legacy of Goerge F. Kennan, Foreign Affairs, 6 décembre 2011.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)