Algérie

A FONDS PERDUS La main de l'étranger



ambelhimer@hotmail.com
«La main de l'étranger» qui figure en bonne position dans le lexique politique des régimes les plus répressifs a fini par susciter doute et répulsion. Le manque de crédibilité de ceux qui l'utilisent le plus lui est, malheureusement, souvent fatal. Pourtant, l'expression recouvre une réalité tangible.
Dans une étude récente sur les fondations philanthropiques américaines, l'universitaire français Nicolas Truffinet(*) met en exergue leur force de frappe terrifiante, portée par des budgets colossaux qui dépassent parfois ceux des Etats. Une organisation intergouvernementale très en vue, comme l'Unesco, ayant en charge de nombreuses activités dans les domaines de la culture et de l'éducation, a un budget cinq fois moindre que celui de la fondation Gates, par exemple. Avec l'effondrement du bloc socialiste, les fondations font dans la pédagogie de la «démocratie» pour promouvoir le modèle libéral là où il n'avait pas droit de cité ou pour achever ce qui reste de l'ancien système, comme l'atteste leur implication en Serbie lors des manifestations anti- Milosevic ou, plus tard, à l'occasion des révolutions (des Roses, des Tulipes, de l'Orange des Jasmins '). A l'occasion d'élections, présumées frauduleuses (et c'est malheureusement souvent le cas !), elles mettent en œuvre un monitoring, expression qui désigne un système de surveillance des élections par des observateurs délégués par des mouvements locaux acquis à la cause — comme Otpor (Résistance) en Serbie — et des organisations internationales, comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et des organisations non gouvernementales étrangères, comme le National Democratic Institute (NDI - présidé par Mme Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères sous la présidence Clinton ) ou l'International Republican Institute (IRI). Leur Bible : From Dictatorship to Democracy : a Conceptual Framework for Liberation, un manuel de lutte nonviolente écrit par Gene Sharp dix ans auparavant à l'occasion du renversement des régimes communistes. Leur instructeur : Freedom House, une ONG américaine. Leur bailleur de fonds : l'Open Society Institute (OSI), une autre ONG américaine, attachée à l'homme d'affaires George Soros. Ce dernier finance les opposants au régime communiste dans les pays d'Europe de l'Est et pourvoit aux besoins de Radio Free Europe/Radio Liberty, instrument de la CIA créée en 1949. En 1984, George Soros crée sa première fondation à Budapest (Hongrie) afin de tisser une toile synchronisée d'institutions, anciennes et nouvelles, aux côtés de l'OSI, en Europe de l'Est et ailleurs. Les programmes de santé publique ou de développement relativement consensuels, la lutte contre les violences faites aux enfants ou le financement de bibliothèques pour les aider à maintenir leurs activités sont de la poudre aux yeux. Derrière ces nobles missions humanitaires sont menées d'autres activités plus directement politiques, axées sur la démocratie et les droits de l'homme (lutte contre la corruption et les atteintes aux droits), la promotion de l'économie de marché et du libéralisme, de médias indépendants et, dès le début des années 1990, l'entrée dans l'Union européenne. Le maillage est de plus en plus serré. L'OSI, le financier, va jusqu'à reprendre une petite fondation héritée de la guerre froide — la Fondation pour une entraide intellectuelle européenne (FEIE), créée en 1956 pour soutenir les intellectuels «non-conformistes », marxistes mais critiques visà- vis de la soviétisation des pays de l'Est, avant de fonder l'Université d'Europe centrale (CEU) à Budapest en 1991, pour former un nouveau corps de dirigeants pour la région — «des privatiseurs et des démocratiseurs », issus des dissidents de l'opposition pour succéder aux vieux bureaucrates staliniens. La Banque mondiale y est étroitement associée. «Une grande partie de ce que nous faisons aujourd'hui, la CIA le faisait clandestinement il y a vingt-cinq ans», avoue Allen Weinstein, historien et premier président du National Endowment for Democracy, dans un entretien au Washington Post. Et il faut le croire. La fondation dont il avait la charge, la National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie - NED) a été fondée en 1983 à l'initiative du président Ronald Reagan. Malgré son statut de fondation privée, l'essentiel de ses fonds provient du Département d'Etat (son budget figure dans son chapitre consacré à l'Agence pour le développement international — US Agency for International Development — USAID) et le Congrès est chargé chaque année de voter le financement et la reconduction des subventions. Ses financements proviennent également d'institutions officielles du Royaume- Uni et de l'Australie, dont les services secrets sont associés en amont à sa gestion. Outre les financements publics, la NED reçoit des dons de trois associations, elles-mêmes indirectement financées par contrats fédéraux : la Smith Richardson Foundation, la John M. Olin Foundation et la Lynde and Harry Bradley Foundation. L'usage de ses fonds ne laisse planer aucun doute sur les connexions entre elle et le complexe militaroindustriel des Etats-Unis qui s'en est servi pour financer des anti-sandinistes au Nicaragua et assurer la victoire de Violeta Chamorro en 1990, aider Solidarnosc, ou soutenir les anticastristes. Ses autres prouesses sont connues : la Charte des 77 en Tchécoslovaquie, et Otpor en Serbie. Elle se félicite d'avoir créé de toutes pièces la radio B92 ou le quotidien Oslobodjenje en ex-Yougoslavie et une kyrielle d'autres nouveaux médias prétendument indépendants en Irak occupé. Même la prestigieuse Transparency International est fortement soupçonnée d'ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises multinationales en accusant de corruption les gouvernements qui leur résistent. La filiation de cette ONG au National Endowment for Democracy conforte cette thèse. Les conflits les plus récents, notamment en Libye, révèlent une autre réalité amère pour les ONG. Sami Makki, auteur de «Militarisation de l'humanitaire, privatisation du militaire»(**) expliquait que «la prolifération du mercenariat entrepreneurial occidental dans ce pays (NDLR : l'Irak) est le résultat d'une politique délibérée d'expérimentation de nouvelles formes d'intervention». Il recense de nombreuses sociétés militaires privées engagées dans «un important travail de lobbying pour se présenter comme des partenaires fiables dans les opérations de paix. Et c'est en repoussant constamment les limites de l'externalisation de fonctions que se fait jour la privatisation des opérations de paix. Au risque d'approfondir la confusion qui existe déjà entre aide au développement, aide humanitaire et opérations militaires ». Plus globalement, l'auteur dévoile la subordination des organisations humanitaires aux armées dans les zones de conflit qui tend à faire disparaître les frontières entre le public et le privé, le civil et le militaire, l'entreprise et l'Etat. Il s'appesantit sur le cas des organisations humanitaires, notamment évangélistes, instrumentalisées pour prendre leur part dans le combat contre «le terrorisme islamiste » qui sert désormais de couverture à toutes les ingérences.
A. B.
(*) Nicolas Truffinet, Géopolitique des fondations philanthropiques américaines, 21 juillet 2011, Truffinet/Diploweb.com
(**) Sami Makki, Militarisation de l'humanitaire, privatisation du militaire, CIRPES, 300 pages.


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