Algérie

A FONDS PERDUS



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Notre confrère Mohamed Boussoumah, professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Alger, demeure incontestablement la référence incontournable pour qui s'intéresse de près ou de loin à l'une de ses matières de prédilection : le droit constitutionnel.
Nous avons déjà eu l'occasion de rendre compte, ici même, de l'apport théorique majeur de sa dernière publication, La parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998, paru à l'OPU en 2005. Cette fois-ci, il s'attarde sur un moment particulier de cette même période : l'année 1996, pour ausculter, dans ses moindres soubresauts, l'opération constituante qu'elle a connue (*). Dans le long, tumultueux et interminable processus de consolidation de l'Etat algérien, pas moins de huit Constitutions ont vu le jour, plus précisément «quatre Constitutions formelles précédées chacune d'une Constitution matérielle». Toutes ces Constitutions formelles sont «d'essence crisique, elles sont la conséquence directe de crise politique ou sociale ; ce sont des chartes de sorties de crise», ajoute le professeur Boussoumah ; ce qui lui fait dire que «l'instabilité constitutionnelle a tendance à s'ériger en règle de gouvernance». Les textes fondamentaux de notre pays ont pour caractéristique commune d'avoir été «préparés par un cénacle, un petit cercle fermé, donc de manière autoritaire», même si certains d'entre eux, notamment les derniers, ont été soumis à large référendum précédé de débats plus ou moins contradictoires. Ainsi, «si le peuple fut consulté lors du référendum d'approbation de la Constitution, ses représentants furent marginalisés en 1963 et exclus carrément en 1989». La période 1992-1996 a ceci de particulier qu'elle donne encore lieu à une double lecture : l'une officielle, dans le prolongement de la crise de l'hiver 1992, met l'accent sur «l'existence d'une prétendue lacune de la Constitution dont l'article 84 n'a pas envisagé la conjonction de la vacance de la présidence de la République par démission et celle de l'APN par dissolution entre deux tours de scrutin législatif, le 26 décembre 1991 et 16 janvier 1992» ; l'autre officieuse anticipe sur les risques que faisait encourir au pays l'arrivée au pouvoir de la mouvance islamiste radicale incarnée par l'ex-FIS. «La doctrine politique et juridique, en défendant ou en ralliant l'idée fausse, le postulat erroné de lacune constitutionnelle induisant un «vide» institutionnel, raisonnait sur la base de prémisse inexacte imaginée artificiellement de toutes pièces pour justifier l'impossibilité de poursuivre le processus électoral du fait que le président de la République, chargé de veiller à la régularité des élections, s'est retiré de ses fonctions librement. » «En fait, le vrai motif de la révision de la Constitution se situe ailleurs. Comment éviter qu'un parti, en l'occurrence le FIS, qui prône ouvertement la souveraineté d'Allah, donc hostile viscéralement à la démocratie et à la souveraineté du peuple, s'empare des rênes du pouvoir légalement par les urnes '» La précision ne comporte donc pas d'adhésion à la poursuite du processus électoral en question. L'auteur ne s'appesantit pas sur cette dernière éventualité et apporte un commentaire critique qui, sans pour autant plaider pour une poursuite du processus électoral, n'approuve pas la démission du président de la République Chadli Bendjedid qui avait, à ses yeux, le devoir impérieux de préserver coûte que coûte la continuité des institutions et de l'Etat, de veiller à la bonne marche des rouages étatiques, de ne pas les bloquer délibérément ou de les gripper ; bref, de demeurer à son poste. En la matière, sa compétence n'est pas totalement libre pour pouvoir abandonner le navire en pleine tempête. Sa compétence est liée en vertu de l'esprit et de la lettre de la norme suprême, plus spécialement au regard de l'article 67 alinéa 2 l'érigeant «en garant de la Constitution» et de l'article 73 l'engageant solennellement sous serment «(…) de défendre la Constitution, de respecter les instituions et les lois de la République». La sentence ne se fait pas attendre : «Dans l'hypothèse d'une telle survenance, ce serait un cas de haute trahison, de forfaiture, passible de la haute cour de justice.» La remarque ne vaut pas seulement pour le président Chadli Bendjedid. Derrière cette critique se profile en filigrane la rareté de profils accomplis d'hommes d'Etat dans le sérail politique national. Notre système politique, hérité du parti unique, est beaucoup moins enclin à enfanter des Allende que des Saddam Hussein. Revenant à l'objet de son ouvrage, l'auteur évolue au plus près de l'actualité, dont il ne néglige aucun détail, pour s'attarder sur trois grands moments forts de l'opération constituante de 1996 : le chantier inachevé du HCE de révision de la Constitution (envisagé dans le cadre du dialogue), la relance de ce même chantier par le président de la République (et les services présidentiels dans le cadre d'un dialogue national recadré) et son parachèvement (dans des commissions spécialisées et la conférence de l'entente nationale, avant son approbation populaire le 28 novembre 1996). Le mot de la fin est revenu à une commission constitutionnelle, préparatoire à la réunion de la conférence de l'entente nationale, et aux arbitrages du chef de l'Etat qui, fort de la légitimité acquise par son élection le 16 novembre 1995, «tint, contre vents et marées, à formaliser le processus de révision». Les conseils des ministres et du gouvernement furent exclus du processus. Ce qui fait dire à l'auteur que «le travail gouvernemental et l'éthique politique sont bafoués pour la circonstance. Le caractère autoritaire de l'opération ressort davantage ainsi. Approuvé par le peuple le 28 novembre 1996 après une campagne référendaire peu excitante, le projet de Constitution fut promulgué par le président de la République le 7 décembre 1996 en tant que loi fondamentale du pays». La conclusion coule de source : «Œuvre exclusive du pouvoir incarné par le président de la République, l'élaboration de la Constitution ne fut pas démocratique, même si le peuple y participa lors de sa phase finale. Sa nature est donc autoritaire.» A cela, il y a deux raisons majeures : «Elle ne fut pas l'œuvre d'une Assemblée constituante comme celle de 1963 (...) Et encore moins l'ouvrage d'un pouvoir constituant dérivé.» La conférence de l'entente nationale ne peut prétendre à la qualité de «pouvoir constituant dérivé» parce qu'elle n'a pas reçu de texte rédigé en forme d'articles pour en débattre au plan du fond et de la forme. Elle ne fut convoquée que pour entériner le processus de révision. Pour l'essentiel, «le cachet autoritaire du processus d'élaboration de la Constitution prédétermine la nature peu démocratique du système politique fondé sur le présidentialisme absolu (c'est l'auteur qui le souligne en italiques ndlr)». Néanmoins, tout n'est pas complètement blanc ou noir, sous le ciel d'Algérie : «La Constitution de 1996 comme celle de 1989 renferment les ingrédients indispensables à l'instauration du gouvernement démocratique et de liberté politique. Sans être exhaustif, on citera pêle-mêle la séparation des pouvoirs, la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, le gouvernement représentatif, le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois, etc. Malheureusement, la présence de ces ingrédients «ne servit pas de levain et de levier à l'instauration de la démocratie». Une raison à cela : «Le jeu politique fut biaisé, notamment par le climat d'insécurité régnant dans le pays.» «C'est dans la paix seulement que se développent le commerce et les villes», dit l'adage millénaire. On pourrait lui ajouter «la démocratie aussi».
A. B.
(*) Mohamed Boussoumah, L'opération constituante de 1996, Office des publications universitaires, Alger 2012, 261 pages.




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