Algérie

A fond perdus



A fond perdus
ammarbelhimer@hotmail.fr«Comment “la guerre contre le terrorisme” est devenue une guerre contre la Constitution '» C'est la question que se pose le journaliste américain Peter Van Buren, dans une brillante analyse parue dans The Nation(*). Pour lui, la classe politique qui veille aux destinées de la première puissance mondiale et du reste de l'humanité a évincé le Premier Amendement, et impuissants que nous sommes «nous les avons laissé faire». Du coup, ce sont les mythes fondateurs de la nation américaine – et, au-delà , du modèle démocratique de gouvernance dominant – qui se trouvent ainsi réduits à néant. Ce qui, dans l'histoire de cette jeune nation, s'apparente à une troisième grande époque : le post-constitutionnalisme.Au cours de la première époque, celle des années coloniales, «un exécutif unitaire, le roi d'Angleterre, décidait, sans freins et sans contrepoids, n'autorisant aucune liberté d'expression». La vie privée connaissait de flagrantes violations et la propriété était fréquemment pillée en vertu du Stamp Act de 1765 par lequel les hommes du roi procédaient, comme bon leur semblait, au recouvrement des taxes imposées par la loi.La seconde époque est celle des principes des Lumières, avec une rébellion armée contre les abus du roi ; le résultat avait été un nouveau pays (modèle) et une nouvelle Constitution (référence).En plus du corps de la Constitution qui trace ce que le gouvernement de la nouvelle nation peut faire, il a été par ailleurs jugé nécessaire de recenser ce qu'il ne pouvait pas faire : c'est le but attribué à la Déclaration des droits.«Le Congrès ne fera aucune loi pour empêcher l'établissement d'une religion, interdire le libre exercice d'une religion ou pour limiter la liberté d'expression, de la presse et des droits des citoyens de se réunir pacifiquement et pour adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparations des torts subis.»Le Premier Amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique fait partie des dix amendements ratifiés en 1791 et connus collectivement comme la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Il interdit ainsi au Congrès des États-Unis d'adopter des lois limitant la liberté de religion et d'expression, la liberté de la presse ou le droit à s'«assembler pacifiquement». Pour Thomas Jefferson, des citoyens informés restent «une condition vitale pour notre survie en tant que peuple libre».Les Pères fondateurs n'étaient cependant pas parfaits ; «ils avaient ignoré les droits des femmes et des Amérindiens, ils n'avaient pas aboli l'institution de l'esclavage, le péché originel de notre nation et il nous faudra de longues années, et beaucoup de sang, pour commencer à corriger ces erreurs».Au final, pendant plus de deux siècles, le sens de la Déclaration des droits a été généralement élargi, les principes fondamentaux qui ont guidé l'Amérique ont été maintenus en dépit de la guerre civile, des deux guerres mondiales, des dépressions et des crises.«Aujourd'hui, nous sommes en train de patauger dans les eaux peu profondes d'une troisième à're où le gouvernement abandonne les idées de base – celles de la Déclaration des droits, ndlr – qui ont vu notre nation affronter, à travers les siècles, des défis bien plus redoutables que le terrorisme», déplore Peter Van Buren.Le nouvel Etat policier, né des décombres des tours du World Trade Center, se trouve dans la position du roi d'Angleterre de la première époque. De nombreux exemples tendent à le prouver. Il s'agit notamment des représailles subies par Tom Drake pour avoir révélé les premières actions de la NSA pour parfaire ses outils d'espionnage sur les Américains, Edward Snowden pour avoir établi que le gouvernement américain place ses citoyens sous une surveillance permanente, Chelsea Manning pour avoir illustré les crimes de guerre en Irak, John Kiriakou pour avoir reconnu l'existence de la torture chez son ancien employeur de la CIA, ou encore Robert MacLean pour avoir éventré des malversations au sein de la Transportation Safety Administration. Dans chaque cas, la menace de prison n'a pas tardé à faire surface, en vertu de l'Espionage Act, une loi anticonstitutionnelle élaborée au milieu de la Première Guerre mondiale et ressuscitée par l'administration Obama (comme en «temps de guerre») pour faire taire et punir les dénonciateurs.L'administration Obama a déjà inculpé six personnes en vertu de cette loi.La question que pose Peter Van Buren est alors : «Comment une loi conçue il y a près de 100 ans pour arrêter les espions allemands en temps de guerre est devenue un outil pour réduire au silence les quelques Américains prêts à tout risquer pour exercer leurs droits du premier amendement ' Depuis quand la liberté d'expression est-elle un crime '»La première manifestation de ce tour de vis est une accentuation de la répression policière et, plus pernicieusement, un retour de l'autocensure. Ainsi, selon une enquête effectuée auprès des journalistes américains le pourcentage d'entre eux qui approuvent l'utilisation occasionnelle de documents confidentiels sans autorisation a considérablement diminué, passant de 81,8 % en 1992 à 57,7 % en 2013.Quel peut être alors l'avenir immédiat des libertés ' Peut-on s'attendre à des mouvements de balancier, familiers à l'Amérique» pour changer l'ordre actuel des choses 'L'histoire américaine ne manque pas de précédents où le texte constitutionnel avait été mis entre parenthèses, «mais aucun n'est vraiment comparable à la situation actuelle».La guerre civile avait duré cinq ans, les camps d'internement japonais de la Seconde Guerre mondiale avaient été fermés au bout de trois ans et l'épisode du sénateur McCarthy et sa chasse aux sorcières a duré quatre ans avant de s'achever dans la honte. A contrario, «l'après-11 septembre» a vraiment la peau dure.Près de treize ans après les attentats du 11 septembre, l'Amérique se considère toujours «en temps de guerre», autorisant l'enlèvement, la torture, la surveillance illégale et emprisonnement au large, avec la détention illimitée sans inculpation ni procès. Barack Obama participe pleinement de cette entreprise qui a substitué l'Islam au communisme comme ennemi d'Etat.A. B.(*) Peter Van Buren, How the «War on Terror» Became a War on the Constitution, The Nation, 16 juin 2014. http://www.thenation.com/article/180245/




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)