Algérie

A contre-jour



«On n’arrête pas Voltaire !», s’était écrié le général de Gaulle, au mois de mai 1968, lorsqu’on lui suggéra de mettre fin aux agissements du philosophe Jean Paul Sartre (1905-1980) dans le Quartier Latin, lors de la révolte estudiantine à Paris. Un comportement, on ne peut plus éclairé, pour un responsable de formation militaire et de comportement militariste. Le grand journaliste égyptien, Mohamed Hassanin Heikal, ex-directeur du journal Al-Ahram, dans les années cinquante et soixante du siècle dernier, vient, dans un livre-interview, nous donner un aperçu sur les relations du président Nasser (1918-1970) avec les intellectuels de son pays depuis 1948 jusqu’à sa mort. On y apprend que Nasser, bien qu’appartenant à la classe militaire lui aussi, était, à quelques différences près, tout aussi éclairé et tranchant que le général de Gaulle. Ainsi, avait-il pris la ferme décision de donner toute la latitude possible et imaginable au romancier Nadjib Mahfoud (1911-2006) pour qu’il s’exprime en toute liberté. Celui-ci, sous contrat avec Al-Ahram, venait de commencer la publication, en feuilleton, de son roman, Bavardage sur le Nil, dans lequel il prenait à partie l’Union socialiste arabe, parti alors au pouvoir en Egypte. Mais, au bout de deux ou trois parutions, le quotidien, sur injonction de l’un des responsables politiques du «Raïs», en arrêta net la publication. En lecteur assidu de Mahfoud, le président Nasser, à la suite d’un Conseil des ministres, s’enquit de la situation et prit la décision qui s’imposait en faveur du romancier. Nasser avait déjà eu, en 1959, le mérite de soutenir Mahfoud lorsque son grand roman, Les enfants de notre quartier, avait été sévèrement critiqué par Al-Azhar, et pour lequel il avait été taxé de mécréant. En vérité, les relations entre le «Raïs» et le monde des intellectuels égyptiens ont toujours été très fortes et bien soutenues, aussi bien avec ceux qui s’étaient affirmés depuis les années vingt comme Taha Hussein (1889-1973), Abbas Al-Akkad (1889-1973) et Toufiq Al-Hakim (1898-1987), qu’avec ceux qu’on appelle les intellectuels d’après la révolution de 1952. Selon Heikal, la grande cantatrice, Oum Kelthoum (1905-1975), jouissait également d’un statut à part dans le nouveau système politique qui avait balayé le roi Farouk. Heikal, chargé en 1948 de couvrir la situation guerrière en Palestine, pour le journal Al-Akhbar, avait connu le président Nasser à la suite de la bataille de Felloudja durant laquelle ce dernier s’était vaillamment comporté. Il en devint une espèce de confident et de conseiller politique au point que Nasser lui dit une fois : «Tu devrais tout écrire un jour sur nos relations, car je sens que ma vie ne sera pas longue sur cette terre !» Heikal assure aussi, dans son livre-interview, que Nasser était un grand lecteur des classiques de la littérature égyptienne et de certains livres de la littérature anglaise. Pour étayer son propos et montrer son grand respect pour son président qu’il appelait toujours par son petit nom, Djamel, il répète à volonté tout au long de son ouvrage leurs commentaires communs sur tel écrit ou tel autre, et surtout cette question qui revenait sans cesse sur les lèvres de Nasser avant le déclenchement de la révolution de 1952 : «As-tu lu Histoire de deux villes de Charles Dickens '» En fait, les dictateurs éclairés, faut-il le rappeler, ne sont pas légion. C’est du moins ce que l’histoire nous apprend depuis la basse antiquité jusqu’à nos jours, avec une constance remarquable.
  toyour1@yahoo.fr
 


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