Algérie

A boire et à manger



A boire et à manger
«Permettre au mécanisme du marché d'être l'unique directeur du sort des êtres humains et de leur environnement naturel aurait pour résultat la démolition de la société.» Karl Polanyi
Il ne faut pas rechercher ailleurs les causes de nos déboires. A force de récolter des échecs et des déceptions, il arrive que l'on trouve un moment de lucidité pour dire que la crise qui frappe l'économie mondiale n'est pas totalement responsable de celle qui nous frappe. Autant dire que ce sont les tremblements de terre qui causent les morts: ce ne sont pas les séismes qui tuent mais les mauvaises constructions. Comme on peut dire que c'est la faute au réchauffement de la planète si notre environnement se détériore de jour en jour! Il est vrai que des tempêtes de plus en plus violentes causent des dégâts considérables dans des espaces géographiques réputés tempérés, des pics de température jamais atteints, des chutes de pluie intempestives entraînant des inondations destructrices, la baisse des nappes phréatiques dans l'ouest de l'Europe, des inondations en son centre. Enfin, bref, la nature perd le nord et les pays du Sud peuvent ajouter à la longue liste des maux qui les accablent, les petits caprices d'El Nino. Si notre pays, méditerranéen par excellence, et saharien par-dessus le marché, est habitué aux situations extrêmes (ce qui, entre parenthèses, a façonné admirablement le caractère de l'indigène en lui donnant une overdose de fatalisme dont il ne se départira pas quoi qu'il advienne), il n'a pas réussi, par contre, à produire les solutions diverses qui peuvent s'appliquer aux maux qui le frappent.
Prenons par exemple, le problème des pénuries récurrentes, comme celle de la pomme de terre, tubercule qui, par la force des choses, est devenu le plat de résistance du pauvre (le sandwich-frites, cela ne s'invente pas), eh bien, épisodiquement, elle revient en vedette dans les préoccupations des ménagères. Sa rareté paraît programmée en fonction des événements qui rythment la vie quotidienne: quand tout va bien (façon de le dire), quand la situation sécuritaire s'améliore, il n'y a pas mieux qu'une petite pénurie de produit de première nécessité pour focaliser l'attention des consommateurs. Si les pénuries sont prévisibles, il faut reconnaître qu'on ne fait rien pour y remédier à temps: préparer des stocks ou favoriser une production qui s'essouffle. Au moment même où tout le monde crie au miracle du secteur agricole privatisé et libéralisé, quand tout le monde salue la résurrection d'une production maraîchère, voilà que de mystérieuses maladies s'attaquent à l'aliment de base du prolétaire: quand ce n'est pas la sécheresse, ce sont les insectes qui entrent en scène.
Il y a toujours un facteur exogène pour fournir un alibi à ceux dont
l'unique tâche est de distribuer des subventions ou des autorisations d'importation. Alors, comment ne pas s'étonner de l'absence de structure de lutte contre ce phénomène et la défaillance des institutions chargées d'acheter des produits phytosanitaires pour lutter contre ces épidémies' Ensuite, comment peut-on expliquer qu'au moment même où les prix des produits alimentaires connaissent une forte augmentation sur le marché caniculaire où les mercuriales sont absentes, on ressort, à la vue de tous, des lots de marchandises qui ont hiberné dans les congélateurs. Ce qui est vrai pour la pomme de terre ou les pois chiches qui ont atteint la barre des 300 dinars, l'est aussi pour la viande de la vache sacrée dont le problème va se reposer à l'occasion du mois sacré.
L'année dernière, beaucoup de bouchers ont, nous dit-on, écoulé de la viande importée au prix de la viande locale. Je ne parle pas de ceux qui ont consommé de l'âne «à l'insu de leur plein gré» ou de ceux qui vendent du «frik» contrefait! Mais que voulez-vous, les voies de la distribution sont impénétrables et seuls les mandataires patentés peuvent vous dire qui tire les ficelles de quoi, afin que les ficelles ne soient pas tirées au moment venu. Car dans toute situation anormale qui défie le bon sens et la raison, il y a à boire et à manger.


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