Algérie

A Beni Ilmane, l'histoire s'est arretée en 1957 Actualité : les autres articles



A Beni Ilmane, l'histoire s'est arretée en 1957                                    Actualité : les autres articles
Sur les hauteurs de M'sila, un village historique se bat avec ses démons. Sans ressource et dénigrés par leurs compatriotes, les habitants sont fatalistes face à l'état du pays, cinquante ans après l'indépendance.
A une cinquantaine de kilomètres au nord de M'sila, la route noire serpente au milieu de la steppe. L'herbe jaunie par le soleil est parsemée de petits bosquets verts. A l'horizon, les Hauts-Plateaux. Entre les deux, quelques grands poteaux électriques et une station-service. Au milieu de ce vide, la ville de Beni Ilmane, 15 000 habitants. A côté des vieilles maisons en pierre, il y a encore de grandes tentes, souvenirs du tremblement de terre qui a ravagé la région en 2010. A l'époque, plusieurs ministres avaient fait le déplacement et promis que l'aide de l'Etat serait à la hauteur. Des dizaines de chantiers ont été lancés. «Nous avons reçu 450 milliards de centimes, répartis sur deux communes, pour tout réhabiliter», détaille le président de l'APC de Beni Ilmane, Messaoud Ouail.
Les sept écoles ont été rénovées. Mais les travaux de la polyclinique sont à l'arrêt. Le chantier de la mosquée Omar Ben Abdelaziz est bloqué par un problème de contrôle des normes. Pour les grands projets de la ville, c'est la même paralysie. Un barrage devait permettre d'irriguer tous les terrains agricoles, mais les ouvriers ne travaillent plus, le bureau d'études réclame plus d'argent. On a construit une maison de jeunes, mais il n'y a personne de qualifié pour y travailler. Quant au gaz de ville, seule la moitié de la population y a accès.Dans ces conditions, le cinquantenaire de l'indépendance du pays paraît bien dérisoire. Hier, pour la fête nationale, les habitants avaient assisté à la finale du tournoi de football interquartiers. Les élèves, qui ont réussi leur examen du BEM ou du bac, ont reçu un prix.
«C'est normal, nous sommes en Algérie, il faut fêter le 5 Juillet», explique Nahar Mouftah, né à Beni Ilmane il y a quarante ans. Mais la comparaison s'arrête là. Sur les hauteurs de la commune, Ali Djadja, ancien président de l'APC, est formel : «Cette grande fête du cinquantenaire est une bonne chose pour l'Algérie et les Algériens. Surtout pour les martyrs. Mais pas pour nous.» Il a des yeux marron, en amande, les rides qui les entourent donnent un air souriant à son visage. Mais ses mots sont graves : «Tout ce qu'a promis Bouteflika, il n'y a rien ici.» Ali Djadja évoque alors le massacre de Melouza, qui a eu lieu en 1957, dans la commune actuelle de Beni Ilmane. A cette époque, plus de 300 hommes du village ont été emmenés dans la mosquée de la mechta Kasbah, où ils ont été tous torturés, égorgés et massacrés à coups de pioche ou de hache par des membres du FLN qui reprochaient aux habitants leur soutien au MNA. Quelques jours plus tard, Bellounis, responsable des troupes du MNA, s'est rallié à l'armée française.
Vrais guerriers
Cet épisode vaut, aujourd'hui encore, aux habitants de Beni Ilmane une réputation de harkis. «Au CEM, au lycée, au service national, si quelqu'un remarque que vous êtes de Beni Ilmane, il vous traite de harki», soupire Ali Djadja. Ces remarques sont vécues comme une injustice dans toute la ville. «Avant 1957, il n'y avait aucun harki à Beni Ilmane. Aucun Français. Aucun garde-champêtre. Nous étions de vrais guerriers. Quelques-uns étaient des messalistes, mais la plupart des habitants étaient des gens pauvres qui n'avaient aucune idée de la guerre», plaide ce professeur d'arabe de 56 ans, qui s'offusque de l'accumulation de contrevérités historiques. «Il faut faire une enquête et prendre en compte les récits des habitants survivants. Comment expliquez-vous qu'en mai 1957, il n'y a pas eu d'accrochage alors qu'il y avait des blindés français dans toute la région, des hélicoptères qui survolaient le village et trois sections du FLN ' Comment expliquez-vous que l'armée française a invité les journalistes internationaux dans la région la veille du massacre '»
Ali Djadja a beaucoup de questions, mais peu de réponses. Mais il est en colère, surtout contre les habitants de Ouanougha, la commune voisine, qui considèrent ceux de Beni Ilmane comme des traîtres. Au sommet de la montagne, au bout d'un sentier escarpé, les ruines de la mechta Kasbah sont toujours là, au milieu des chardons. La vieille mosquée sert de tombeau collectif. Dans certaines tombes, les ossements sont encore apparents. Plus bas, au bord de la route, trois jeunes hommes remplissent des jerricans d'une source d'eau. «Il y a un point noir dans l'histoire de Beni Ilmane», lance Zikri, 28 ans. Vêtu d'un tee-shirt, d'un pantacourt et d'une paire de tongs vertes, le jeune homme roux a obtenu une licence en sciences politiques en 2008. Depuis, c'est le chômage, comme les 85% des jeunes de la ville. Alors le cinquantenaire ' «On n'en entend pas parler. On ne reçoit même pas les journaux», explique-t-il.
A côté, Fouad et Bilal acquiescent. Les deux amis sont en première année à l'université de M'sila. «La vie ici ' C'est une souffrance. On n'a pas où aller, on n'a rien à faire. Il y a bien un stade, mais il faut réserver plusieurs jours à l'avance. Mon père n'a pas de ressource. Alors pendant mes vacances, je viens remplir les bidons d'eau, raconte Bilal dépité, pour nous, l'histoire s'est arrêtée en 1957 !»


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