9e Festival international du cinéma d’Alger du film engagé : Corruption, calvaire des réfugiés syriens et Mattei le « Juste » à l’affiche
Le 9e Festival international du cinéma d’Alger, dédié au film engagé (Fica), s’est poursuivi mercredi et jeudi derniers avec la projection de longs et courts métrages de fiction et de documentaires abordant des thèmes où la condition humaine est au de mise à travers des sujets liés aux questions de la corruption, des réfugiées syriens, des apatrides sahraouis et le devoir de mémoire pour les «Justes » qui ont soutenu la guerre d’indépendance de l’Algérie.
La compétition dans la catégorie long métrage de fiction s’est poursuivie jeudi dernier, avec la projection en avant-première du film «Le droit chemin », une exploration des rouages de la spéculation foncière et immobilière et de la corruption vue à partir d’Alger, réalisé par Okacha Touita. Le film relate l’histoire de Lyes, un jeune cadre dans le secteur de l’urbanisme, campé par Mehdi Ramdani, qui gravit les échelons de l’administration en charge de plusieurs dossiers de constructions dans la capitale tout en menant une vie ordinaire de jeune algérien sans histoires, vivant avec sa mère, sa sœur et ses neveux.
Dans sa vie professionnelle, Lyes est en quelque sorte coaché par un vieil ami de son défunt père, joué par Ahmed Benaïssa, ayant occupé un poste similaire et qui tente de prévenir le jeune cadre des risques qu’il encourt en engageant sa signature dans des dossiers louches. Dans son travail, Lyes est chargé de régulariser un dossier de promotion immobilière et de projet hôtelier qui doit être construit sur un parc naturel classé. Il rencontre un journaliste enquêtant sur ce dossier et qui éveille les soupçons de ce cadre sur des irrégularités concernant l’attribution du marché et l’octroi des autorisations de construction dans une zone protégée. Lyes continue de gravir les échelons alors que son directeur, en arrêt maladie, lui a délégué les signatures pour ce dossier en lui promettant de lui trouver un studio dans les nouvelles résidences. Très vite le jeune cadre se retrouve en prison pour avoir signé des documents à la place de son directeur et pour avoir reçu de l’argent en contrepartie.
Sur le site du festival le réalisateur algérien explique sur la genèse de son œuvre que « j’ai lu un livre, il y a longtemps de cela, d’un auteur indonésien dont le titre était ‘’Corruption’’, tout simplement. L’auteur ne parle pas directement des pots-de-vin, mais il le fait transmettre de manière subtile et ingénieuse. C’est à partir de là que j’ai commencé à réfléchir à la thématique de la corruption qui a atteint en Algérie des proportions alarmantes, ça a commencé en 1962 et ça va de pire en pis. » Ajoutant que « la corruption est introduite dans le tissu de la société, ce n’est plus des cas isolés, c’est devenu hélas une pratique courante, quotidienne».
Focus sur le chemin de croix des réfugiés syriens
Dans le cadre de la compétition dans la catégorie documentaire, a été projeté jeudi dernier, le documentaire « THF » du réalisateur algéro-brésilien Karim Aïnouz, sur les souffrances des réfugiés syriens qui ont fui la guerre. Sorti en 2017, THF, acronyme de Tempelhof, un aéroport allemand désaffecté, décrit en 97 mn le vécu des Syriens qui subissent doublement les souffrances causées par la guerre en Syrie et le déchirement du fait de l’exil. Karim Aïnouz se focalise dans cette coproduction franco-germano-brésilienne, sur la réalité amère à laquelle sont confrontés les Syriens réfugiés en Allemagne, où ils sont accueillis dans un aéroport fermé qui sert aujourd’hui d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile.
Appuyé de témoignages de réfugiés, le documentaire donne un aperçu sur les conditions d’accueil réservées aux hôtes de cette structure désaffectée, jadis pièce maîtresse du programme hitlérien de réarmement. L’aéroport, de par sa symbolique historique, a servi de décor pour le réalisateur qui « a fait de ce lieu un «protagoniste» à part entière, symbolisant une forme de détention à laquelle sont soumis ces réfugiés qui se retrouvent dans cet aéroport séparé du monde » souligne l’APS. Le film porte, d’autre part, un regard sur l’accompagnement des réfugiés dans leurs démarches pour l’obtention de statut de réfugié.
Lumière sur Enrico Mattéi, le « Juste » italien
La veille, un autre documentaire avait fortement marqué l’esprit des cinéphiles, il s’agit en l’occurrence du documentaire « Enrico Mattéi et la révolution algérienne » réalisé par Ali Fateh Ayadi, projeté, dans le cadre du Festival international du cinéma d’Alger. Le documentaire brosse le portrait d’Enrico Mattéi, ancien résistant, anticolonialiste et fondateur de l’industrie pétrolière italienne.
Il retrace son parcours, notamment son engagement pour la cause algérienne. En effet, le documentaire revient sur ses liens avec les membres du GPRA, son précieux soutien à la lutte de Libération nationale. Enrico Mattéi est ainsi décrit comme un personnage à part entière, exceptionnel, charismatique, car il a su rallier la classe politique italienne à la cause algérienne. Cet ami de l’Algérie et sympathisant de son indépendance meurt, en octobre 1962, dans un crash d’avion en Lombardie en Italie , victime d’un attentat.
Dans un entretien accordé sur le site officiel du Fica, le réalisateur affirme qu’il a réalisé le documentaire « par devoir de mémoire. C’est contre l’oubli. C’est pour que les jeunes générations sachent que des Européens dont Enrico Mattéi, ont aidé et soutenu la cause algérienne. Ce documentaire se veut ainsi un grand hommage à Enrico Mattéi et à son engagement pour l’indépendance de l’Algérie. » Il est également rappelé que ce documentaire rejoint un autre documentaire qu’il a déjà réalisé et qui a pour titre « Ces justes qui ont choisi l’Algérie ». A ce propos, le réalisateur estime qu’« en tant qu’Algérien, il faut rendre hommage à tous ces gens-là. Ils sont présents dans tous mes documentaires. D’ailleurs mon travail s’organise autour de cela. Dans « Ces justes qui ont choisi l’Algérie », Enrico Mattéi n’y est pas parce que j’avais en tête un film sur ce personnage.
Je lui ai donc fait un documentaire à part » Ali Fateh Ayadi, met également en exergue dans cet entretien le grand apport du soutien de l’Italie à la cause algérienne durant la guerre de Libération nationale.
Estimant également que la politique de l’Italie envers l’Algérie était courageuse parce que, à cette époque-là, c’était difficile de soutenir un peuple en guerre, sachant que l’Italie était considérée, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme un pays vaincu.
«Freeman» réflexion sur le sens profond de la liberté
«Freemaen » de la cinéaste suisse Anne-Frédérique Widmann a également été projeté mercredi dernier dans le cadre de la compétition du 9e Fica dans la catégorie documentaire. Le film relate le quotidien douloureux de Kenneth Reams, un détenu afro-américain condamné à mort dans une prison à l’Arkansas aux Etats-Unis. Accusé à tort selon ses avocats, il devient ainsi le plus jeune détenu de l’Arkansas. Lors du procès, onze procureurs blancs et un afro-américain le condamnent à mort dans une prison de haute sécurité.
En prison il développe une sensibilité à l’art, se met à dessiner, à peindre et à fabriquer des objets de haute facture en utilisant les modestes moyens à sa disposition. Son succès lui donne une notoriété internationale, ses œuvres sont exposées dans un prestigieux temple à Londres, en présence d’Isabelle, sa copine française qui continue de le soutenir. Dans le documentaire, la parole est donnée à sa famille proche, à son avocat considéré comme le meilleur du système judiciaire pénal américain, à des anciens détenus l’ayant connu dans les geôles à travers un road-movie entre Montpellier et l’Arkansas, en passant par Londres et d’autres villes des Etats-Unis. Le film apporte une profonde réflexion sur la notion de liberté et une ode à la vie à travers une note d’espoir dans des conditions extrêmes. Le parcours de Kenneth Reams a été le noyau de la création d’une association baptisée « Who Decides », qui soutient les condamnés à mort et œuvre pour abolir le jugement du héros de ce documentaire.
«Bidoun hawiya », la problématique des apatrides sahraouis
« Bidoun Hawiya » est un court métrage de la réalisatrice sahraouie Nayat Ahmed Abdesalama, où elle aborde la problématique complexe des apatrides de la République arabe sahraouie démocratique. Riche de témoignages recueillis au niveau des camps de réfugiée et en Europe cette œuvre poignante est le fruit de quatre ans de recherches.
Nayat Ahmed Abdesalam espère à travers ce court métrage contribuer à faire connaitre la gravité du statut d’Apartide (personnes dépourvue de nationalité légale). En soulignant que « Certes, ça nous donne la liberté de circulation et de travail, mais dans l’avenir, cette situation pourrait nous être nocive en cas de référendum. Il y a une clause dans le statut d’Apatride qui oblige à renoncer à la nationalité sahraouie au cas de souhait de porter la nationalité espagnole, une arme à double tranchant que l’Espagne pourrait utiliser si elle aide le Maroc. » La réalisatrice, confie, également sur le site du Fica, qu’elle a rencontré d’énormes entraves pour le présenter dans les festivals internationaux, notamment espagnols.
Juste un seul festival espagnol a programmé son film, aux Iles canari. Mon film a été projeté à la 13e édition du Festival cinémas d’Afrique à Lausanne, au FiSahara et au Fica et dont elle remercie les organisateurs « dévoués à la justesse de notre cause depuis ses débuts ». Au final , elle espère que « Bidoun Hawiya connaîtra plus de visibilité dans d’autres pays, pour faire connaître la légitime lutte identitaire du peuple sahraoui pour recouvrir sa souveraineté ».
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Posté Le : 08/12/2018
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Sihem Bounabi
Source : reporters.dz