Algérie

8 MARS 2015


8 MARS 2015
Parler du combat des femmes en cette veille du 8 Mars ne peut faire l'économie de victoires enregistrées mais ne peut en même temps aussi, occulter le retour en force dans la société de tous ceux qui ont pour projet l'enfermement de la femme, son bâillonnement et son exclusion de tout champ public.En cette veille du 8 Mars – Journée internationale de la femme – l'effervescence a été à son comble. L'Assemblée nationale a débattu depuis lundi et vient de voter un projet de loi portant amendement du code pénal, renforçant la lutte contre la violence faite aux femmes. L'on ne connaît cependant pas encore les amendements apportés à ce texte. L'objectif pour le Président qui a fait de cette question une promesse électorale est certainement de présenter cette nouvelle loi, dans un discours qui sera peut-être lu en son nom (comme tous ses discours depuis deux ans) et qu'il présentera comme un cadeau, une décision avant-gardiste du chef de l'Etat et la traduction de la clairvoyance que seul Bouteflika a toujours eue vis-à-vis de cette question.L'on oubliera naturellement au passage, d'évoquer ou même de mentionner simplement que ce projet de loi est le fruit d'une lutte inlassable, depuis des années, de nombreuses associations féministes ou de mouvements de la société civile, mobilisés au quotidien et pas seulement à l'occasion du 8 Mars et qui n'ont cessé de faire pression.Le texte d'envoi de Bouteflika (s'il en fait un, bien sûr) aux femmes algériennes, ne mentionnera sûrement pas aussi l'état de désastre absolu révélé par les statistiques officielles relatives au phénomène de violence à l'encontre des femmes dans notre pays. Pour la seule année 2012, les statistiques fournies par les services de police et de gendarmerie révèlent que 260 femmes ont perdu la vie suite à des violences et qu'en outre 8 500 femmes ont subi des violences.Ces chiffres ne peuvent rendre compte totalement de la réalité quand on sait qu'il ne s'agit là que de faits ayant fait l'objet de plaintes déposées auprès des services de sécurité. Le chiffre est sûrement nettement plus élevé sachant toutes les pressions exercées sur la femme pour ne pas déposer plainte. Plus récemment, en 2014, et sur seulement neuf mois, 6 950 cas de femmes victimes de violence ont été enregistrés, dont 5 630 cas de violence physique ; 1 805 pour mauvais traitements ; 208 ont subi des violences sexuelles et enfin 71 ont fait l'objet de harcèlement sexuel. Comment ne pas s'alarmer devant la recrudescence de ce fléau ' C'est ce qui a été fait par nombre d'associations qui ont interpellé les autorités pour mettre un frein et légiférer sur ce phénomène. C'est l'objet de cet amendement du code pénal qui prévoit des sanctions contre l'époux coupable de violence et des sanctions en cas d'abandon de l'épouse enceinte ou non et contre l'époux tentant de priver l'épouse de ses biens.Deux autres types de violences feront l'objet de sanctions : les agressions sexuelles qui verront leurs auteurs frappés de sanctions aggravées, si le prévenu est «un parent de la victime ou si celle-ci est mineure, handicapée ou enceinte».Les agressions contre la femme dans la rue et les violences qui attentent dans les lieux publics à sa dignité relèvent également du dispositif de sanctions.Mais, car il y a un mais, tout le nouveau dispositif vient se heurter à une disposition insidieusement inscrite et qui vient annihiler l'ensemble de la construction : «l'abandon des poursuites en cas de pardon de l'épouse». Autrement dit le législateur encourage indirectement l'épouse à se rétracter et ouvre ainsi un boulevard à tout l'environnement notamment familial (et parfois juridictionnel) pour que la victime lâche prise. C'est là un art de haute facture, consistant à tenter de contenter les uns, ceux qui se battent depuis des lustres contre les actes de violence contre la femme et les autres, tous les autres qui, pour argument contre ce projet, ont brandi la Charia, seule source de droit lorsqu'il s'agit du sexe féminin. Tout le paradoxe niche aujourd'hui dans ce double discours qui voit un ministre, celui de la justice, qui donnait l'impression de défendre âprement le projet contre la violence faite aux femmes, mais qui, dans le même moment, au lieu de mettre sur la table la condition désastreuse faite à l'être humain qu'est la femme et les pratiques ancestrales condamnables lorsqu'il s'agit de violences, a choisi de convoquer les textes sacrés, le Coran en l'occurrence pour appuyer ses arguments. Tous ceux et toutes celles qui furent nombreux à s'élever contre ce texte, ont justement brandi ce texte sacré pour crier au danger que créera l'application de ce texte sur l'unité de la cellule familiale et rappelé que le mari se doit d'être obéi, la femme se devant obéissance à son époux, les coups qu'elle pourrait recevoir n'étant qu'une consigne dictée par le Prophète, l'essentiel étant que cette violence ne laisse pas de traces.De traces, il en restera en tout cas de ces joutes parlementaires de la semaine dernière qui prouvent, s'il en était besoin, l'état dans lequel notre société a été plongée et la régression (loin d'être féconde) dans laquelle nous avons été précipités. Comment pouvait-il en être autrement, lorsque la réconciliation nationale a ouvert la porte à tout : le retour en force de ceux qui n'ont jamais caché leur haine de toutes les femmes, y compris celles qu'ils cadenassent dans leurs maisons ; les discours incendiaires distillés tous les soirs sur des chaînes privées par des salafistes devenus des tribuns pour lancer des SOS contre la «dépravation» de la société ; le retour à la religion dans beaucoup de discours publics même lorsque le sujet n'a aucun rapport, le nouveau statut de «personnalités nationales» accordé à ceux qui n'ont jamais renié leurs crimes pendant la décennie noire”'toute cette intrusion et ce retour en force dans la société algérienne d'éléments rétrogrades, d'obscurantistes, de militants islamistes et de certains terroristes ne sont pas sans conséquences sur les comportements. Toutefois, elle n'altérera en rien ni ne participera à l'abandon par les femmes et des hommes – faut-il le rappeler – de la poursuite de leur combat qui se confond avec le combat pour l'instauration de la démocratie sans lequel aucune lutte, aucun combat ne peut aboutir totalement et atteindre ses objectifs.


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