Algérie

5e année primaire : De l’évaluation à l’examen



Publié le 23.02.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Ahmed Tessa, pédagogue, auteur

Avant d’aborder les décisions prises en cette année scolaire 2022/23, il y a lieu d’insister sur une mesure préjudiciable à nos enfants et qui remonte au tout début de la réforme (2002-2003). Il s’agit de la suppression d’une année scolaire du cycle primaire. Ce cycle passe à 5 années, au lieu de six (6) auparavant. À l’époque, les observateurs avisés attendaient du ministère qu’il présentât de solides arguments pédagogiques. Or, le seul argument officiel était le suivant : «cette suppression s’explique par la généralisation du préscolaire (enfants âgés de 5 ans) et l’augmentation d’une année au cycle moyen (4 ans au lieu de 3).» Seulement, deux décennies après, cette généralisation du préscolaire n’est pas atteinte – preuve s’il en est, le recours insuffisant et problématique à plus d’un titre aux crèches, écoles privées et classes coraniques des mosquées. De plus, l’école algérienne n’a pas de traditions concernant la pédagogie du préscolaire. Cette dernière est spécifique. Elle est différente de celle du primaire du point de vue contenu du programme, des méthodes, des activités de préapprentissage dispensées, de la ventilation des horaires, de la disposition des enfants dans le local-classe, de l’effectif… sans parler de l’absence d’éducatrices ou d’éducateurs formés selon les exigences de cette pédagogie spécifique. Nous devons savoir que l’université, via nos ENS, n’a pas vocation à en former. Ainsi et malheureusement, en lieu et place d’une classe de préscolaire, nous avons pratiquement des classes de cycle primaire. Le local d’une classe de préscolaire est bondé d’élèves assis par paire, sur deux ou trois rangées de tables. Inévitablement, le passage à une durée de 5 ans du cycle primaire a un impact négatif sur les capacités d’apprentissage des enfants, aggravées qu’elles sont par la lourdeur d’un programme initialement prévu pour une durée de 6 ans — inflation de matières, de livres et de cahiers. C’est aussi sur le plan morphologique que cette suppression a des répercussions négatives. Aggravée par l’absence de séances d’EPS – en nombre et en qualité –, la morphologie de l’enfant qui accède en 1re année du moyen est celle d’un écolier. On trouve même des collégiens de 1re AM dont les pieds ne touchent pas terre quand ils sont à leur table. L’enfant traînera cette immaturité physiologique jusqu’à l’entrée à l’université. Et dire qu’en sus de ces impacts négatifs générés par cette soustraction d’une année au cycle primaire, le MEN avait réintroduit l’examen de 6e. C’était lors de l’année scolaire 2005/06. Là aussi, l’argument officiel a de quoi étonner : «avec cet examen, les enseignants ne pourront plus gonfler les notes et admettre en 1re AM des élèves mal préparés ; ainsi, les parents se mobiliseront pour s’intéresser à la scolarité de leurs enfants.»
L’impact de cette décision (l’examen de 5eAP) ne s’est pas fait attendre. D’abord au niveau du climat et de l’ambiance au sein des familles et des écoles : angoisse, stress, peur/panique de l’échec… Ah ! la belle aubaine pour les marchands de cours clandestins. Jusque-là, cette «drogue», véritable phénomène social, ne s’adressait qu’aux collégiens et lycéens... voire aux étudiants. Voilà que la gangrène de ce commerce immoral se met à toucher jusqu’aux écoliers de 1re année primaire… et ce, depuis cette année où l’examen de sixième a été réintroduit — en 2005-06. Le maintien de la durée de 5 ans pour le cycle primaire est devenu source de parasitage de toutes les mesures prises ultérieurement – fussent-elles pertinentes sur le plan pédagogique.
Clarification
En juillet 2015, le MEN avait organisé la 1re Conférence nationale d’évaluation de la réforme (de 2002). Ce qui signifie que pendant 13 ans – de 2002 à 2015 – l’école algérienne «réformée» a navigué à vue, sans boussole et sans pilotage. Parmi les nombreuses recommandations qui ont sanctionné les travaux d’ateliers de cette conférence nationale, figure la suppression de l’examen de fin de cycle primaire (l’ex-sixième). C’est en 2020, que cette recommandation s’est vu transformée en décision. Les parents ainsi que l’opinion publique se sont réjouis de cette suppression. Et ce n’est que justice ! Pour cette année scolaire 2022-23, le MEN annonce la mise en place d’une évaluation nationale des acquis des élèves de 5e année primaire. Et le discours officiel stipule clairement qu’il ne s’agit pas de conditionner le passage en 1re année de collège aux résultats de cette évaluation nationale des acquis des élèves : que cette évaluation n’est pas un examen.
Une belle idée saluée par la famille éducative. La douche froide viendra à la lecture de la circulaire «portant modalités de cette évaluation» Ainsi, obligation est faite aux élèves de 5e AP de s’inscrire sur la plateforme numérique en respectant une date-butoir. Le MEN a fixé les dates de cette évaluation nationale et annoncé la délivrance d’un diplôme après la proclamation des résultats. Or, qui dit diplôme et inscription obligatoire, dit forcément examen ! À l’analyse, la rédaction de cette circulaire porte, en toile de fond, l’esprit de l’examen. Déjà, des parents commencent à se poser des questions : «et si cette évaluation n’était qu’un examen caché ?» À moins d’octroyer à tous les élèves de 5e AP le fameux diplôme qui devrait clôturer cette évaluation nationale pour dire que ce n’est pas un examen. Dans ce cas de figure, l’examen et le diplôme n’ont pas lieu d’être. Et quid de cette évaluation ? Un examen final se confond-il avec l’évaluation pédagogique ? Quelle est la différence ? Si l’examen sert à trier, donc à éliminer, les élèves avec le cortège de frustrations qui s’ensuit, l’évaluation, elle, sert de bouée de sauvetage aux élèves en difficulté. Excepté l’évaluation sommative dont le but est purement administratif ; quelle que soit sa forme – diagnostique ou formative/formatrice – l’évaluation a pour finalité essentielle de remettre à niveau les élèves en difficulté, de les motiver et de les rendre résilients face aux dures contraintes des apprentissages.
Contrairement à l’examen, l’évaluation n’est pas un concept discriminant et sélectif. C’est un concept qui façonne la pédagogie de la réussite pour tous. Et ce n’est point de l’utopie : cette pédagogie existe bel et bien. Il s’agit de changer de paradigme pédagogique : se débarrasser de celui, archaïque, du paradigme de l’enseignement pour embrasser le paradigme de l’apprentissage. La Finlande et les pays scandinaves l’ont adopté avec la réussite qu’on leur connaît de nos jours. Les élèves finlandais ne rencontrent le système de notation qu’à l’âge de 13 ans. Les griefs retenus contre la formule des examens scolaires sont d’ordre pédagogique mais aussi idéologique. Pour les pédagogues progressistes, l’examen de fin de cycle est l’instrument de sélection/filtre social par excellence. Certes, aux yeux des parents et des élèves, il présente un semblant d’égalité des chances, alors qu’en réalité, c’est tout le contraire. Il est le tribunal/juge qui valide… l’inégalité des chances et des moyens. Durant tout le XXe siècle, d’illustres pédagogues et des psychologues n’ont eu de cesse de dénoncer les dérives de l’examen/filtre social.
Revenons à l’évaluation nationale des acquis des élèves de 5eAP. De quels acquis s’agit-il? Des connaissances accumulées avec la bénédiction du couple infernal en vogue dans nos classes : «bachotage de l’enseignant/parcœurisme de l’élève» ? Ou est-ce une évaluation diagnostique pour vérifier si les élèves possèdent les pré-requis de l’entrée en 1re AM et ce, dans les apprentissages instrumentaux (langues, mathématiques, sciences) ? Dans le premier cas, ce serait une perte de temps, puisque, en théorie, les trois compositions trimestrielles suffisent à elles seules à contrôler le niveau de connaissance (acquis) accumulées. Apparemment, cette option n’a pas été retenue. Reste l’évaluation diagnostique des acquis. Or, selon la circulaire ministérielle, on apprend que d’autres matières telles que l’histoire, la géographie, l’éducation civique et l’éducation islamique – celles «dédiées à la mémorisation» par le logiciel pédagogique actuel – sont ajoutées à celles liées aux apprentissages instrumentaux (langues arabe et français, mathématiques et sciences). N’est-ce pas une surcharge pour les élèves ? La preuve est que ces matières de mémorisation ne participent pas aux évaluations internationales des acquis des élèves telles que PISA et TIMSS.* Celles-ci ciblent uniquement les disciplines instrumentales, les langues, les mathématiques et les sciences. Par ailleurs, ces acquis ne sauraient être évalués que si, et seulement si, on tient compte des pré-requis de l’entrée en 1re AM. Dans ces conditions, les épreuves doivent être rédigées en collaboration avec les inspecteurs et enseignants du collège. Cela demande le temps nécessaire pour élaborer le listing des capacités (et des connaissances) requises, ensuite rédiger les épreuves ainsi que les grilles d’évaluation. Le plus dur est l’élaboration du listing des capacités requises. Cela requiert deux qualités : avoir une grande expérience dans la pratique de la classe de 1re AM et une maîtrise du programme disciplinaire pour bien cibler les prérequis. Admettons que cette évaluation diagnostique nationale se fasse à l’aune des prérequis qui auront été préalablement bien définis. Y aura-t-il des séances de remise à niveau pour les élèves «jugés» défaillants dans telle ou telle épreuve ? Pour qu’elles soient efficaces, ces séances nécessitent une approche méthodologique différente de celle qui a prévalu durant l’année scolaire de 5eAP. Il faudrait donc former les enseignants à cette (éventuelle) nouvelle méthode. On peut aller plus loin encore pour rendre ces séances de remise à niveau efficaces : même la correction des épreuves doit se distinguer de celle en usage habituellement. Résumons le processus de toute évaluation diagnostique. Il se décline en trois grandes phases étalées dans un temps plus ou moins long :
- la phase préparatoire (listing des capacités et connaissances ou prérequis, coordination inter-cycle pour la confection des épreuves) ;
- la phase de la formation des enseignants de 5eAP à la méthode de correction et à la gestion des séances de remise à niveau ;
- la remise à niveau proprement dite dans les salles de classe habituelles (correction collective et individuelle) ;
- et, accessoirement, une autre évaluation diagnostique (dite de validation) individualisée en classe. Afin de mettre les élèves sur la même «ligne de départ»… de cette course à obstacles qu’est la scolarité.
Rappel historique
Du XIXe à la mi-XXe siècle, l’école française cultivait «l’examinite» à foison : jusqu’à sept (7) examens. Pas pour des raisons pédagogiques, ce serait le comble, mais selon un choix idéologique assumé de reproduction des classes sociales.
Le remplacement de cet examen de 5eAP par une «évaluation nationale des acquis des élèves» a des airs de ce qui se fait en France. En effet, le MEN français a remplacé l’examen de 6e par une évaluation nationale… sur la base des prérequis de l’entrée au collège. Ce type d’évaluation des acquis se fait à chaque rentrée de septembre : au CP (cours préparatoire), au CE1 (cours élémentaire 1re année), en 6e (ou 1re année de collège) et en seconde de lycée. Ce type d’évaluation se fait sur support numérique via une plateforme, et ses préparatifs étalés sur une année (banque d’épreuves disciplinaires – formation – remise à niveau – tirage des épreuves…). Il y a lieu de signaler que les notes obtenues par les élèves français restent anonymes et ne sont connues que de l’administration et du professeur qui les transmettent à la famille. Le but final de ces évaluations consiste en un accompagnement individualisé des élèves défaillants par leur professeur. Ainsi, celui-ci est appelé à adapter son enseignement en fonction des déficits de chaque élève. Les autorités scolaires françaises ne se contentent pas de cette évaluation en interne. Ces dernières sont complétées – pour être comparées – par les évaluations internationales, notamment celles de PISA et TIMSS. Et la comparaison n’est pas réjouissante.
Beaucoup de pédagogues et de parents critiquent cette façon d’agir. Selon eux, ces évaluations nécessitent autant de gros investissement de temps et d’énergie qu’un examen national. Elles reproduisent le même état d’esprit auprès des élèves candidats (aux examens) et des parents : pression, stress, angoisse…
Et ces critiques sont fondées ! Pour la simple raison que le système scolaire français actuel n’arrive pas à se débarrasser du logiciel «inégalitariste» créé par l’aristocratie au XIXe siècle : former une vraie élite minoritaire au détriment d’une majorité avec un niveau moyen par rapport aux normes internationales. Ce système scolaire français inégalitaire se retrouve débusqué autant par ces évaluations diagnostiques nationales que par les évaluations internationales où la France décroche la dernière place en Europe. En septembre 2022, les TV de ce pays diffusent et commentent des rapports officiels qui mentionnent la faiblesse des performances des élèves qui entrent en 1re année de collège «jusqu’à 25% d’entre eux ne savent ni lire ni calculer». Tout comme dans les pays qui imitent le système scolaire français, les évaluations nationales, telles qu’elles sont gérées, ainsi que les examens scolaires passent sous silence un des fondamentaux de la pédagogie moderne : l’évaluation est un acte pédagogique intimement lié aux apprentissages… quotidiens. C’est de la sorte que l’enseignant pourra connaître au mieux ses élèves, les remettre à niveau si besoin — et ainsi traquer les germes de l’échec scolaire. Ne pas les laisser (ces germes) s’accumuler jusqu’à la fin du trimestre ou à la fin du cycle : là, il sera trop tard pour la majorité des élèves en difficulté. Seulement, l’évaluation/acte quotidien ne peut se déployer que dans une stratégie pédagogique alimentée par les progrès de la psychologie, de la pédagogie novatrice, de la chronobiologie et des neurosciences. En somme, cela revient à mettre à plat le logiciel pédagogique source d’échec scolaire. Ce changement de logiciel ou de paradigme s’avère vital pour l’avenir de notre école, de notre université… de notre société.
P.S : En plus du diplôme pour les lauréats de cette évaluation des acquis, le ministère de l’Éducation nationale algérien va délivrer «un carnet de santé pédagogique» (sic !!). Un carnet, synthèse de l’évaluation des acquis, est une bonne idée, mais pourquoi le qualifier de santé pédagogique ? Ceux qui auraient échoué seraient-ils des élèves en mauvaise santé… pédagogique?
* PISA = Programme international du suivi des acquis des élèves.
TIMSS = Évaluation internationale des compétences en mathématiques et en sciences. Elle se tient tous les 4 ans et les pays s’inscrivent pour y faire participer leurs élèves (fin de 4e année primaire).
A. T. 




mais pourquoi allez chercher ailleur alors que nous avons des savents et des chercheurs tels benbadis et benabi!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
bouzouita mohamed tayeb - fonctionnaire - mila, Algérie

27/04/2023 - 553494

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