Algérie

5 Octobre 88 : une réhabilitation paraphée par le Hirak



Après les immenses marches du Hirak, comment doit-on apprécier dorénavant l'insurrection du 5 Octobre 88 ' N'avait-elle été qu'une suite d'émeutes urbaines alimentées par une jeunesse en colère ou, au contraire, eut-elle lieu à la suite d'une résolution arrêtée par des caciques pour déstabiliser l'appareil d'Etat ' Autrement dit, un complot ourdi par des réseaux hostiles au régime de l'époque en lui imputant, non seulement la clochardisation galopante qui humiliait la société, mais surtout l'absence pesante de libertés d'expression dont la grande officine de la censure avait pour étiquette le parti unique et son « article 120 ».Etonnamment, ni les écrits factuels publiés à chaud ni les travaux réalisés plus tard sur la base de témoignages sérieux ne furent en mesure de trancher parmi de nombreuses hypothèses. Une confusion de thèses qui allaient l'assimiler à une sorte de « chouannerie » vouée à l'extinction sans conséquences notables.
Trente et une années plus tard, un autre raz-de-marée humain reprenait à l'identique les vieux mots d'ordre gardés précieusement dans les mémoires. Ce fut ainsi d'ailleurs que le rendez-vous du 22 février 2019 parvint, dans un premier temps, à conquérir toutes les rues du pays et, par la suite, à destituer un pouvoir moribond sans que l'on se soit contenté de cette seule révocation comme unique objectif. Or, c'était cet étrange coup d'arrêt qui suscita en partie la désillusion parmi les plus actifs des marcheurs. Un désenchantement que seules certaines personnalités historiques eurent l'intuition que celui-ci allait affecter l'optimisme des manifestants. Et pour cause, celles-ci avaient eu souvenir de ce qu'il advint du « 5 Octobre ». Ce fut justement une mise en garde émanant de l'héroïne Djamila Bouhired qui jeta le trouble dans les petits carrés de marcheurs. « ... Ne les laissez pas vous voler les fruits de votre résistance », insistait-elle. Or, l'exemple cité dans le contexte était significatif, certes, mais probablement insuffisant en termes de similitude entre les deux moments. En effet, alors que le 5 Octobre pâtissait d'une certaine interprétation surchargée de soupçons quant à l'origine de son déclenchement, il n'en a pas été de même lors du déclenchement de Février 2019. À l'opacité qui enveloppa l'insurrection de 88, l'on pouvait opposer la clarté du Hirak qui, après la destitution de l'oligarque, exigeait la dissolution du système et une constituante, seules solutions susceptibles de réinventer une nouvelle Algérie.
Toute la différence réside justement dans les signifiants sous-tendant chacune des révoltes. Octobre 88 en était dramatiquement démuni s'agissant des « accusations et des revendications ». Un déficit qui avait fait en sorte qu'il soit perçu comme une boîte de Pandore où était dissimulés quelques secrets à ne jamais livrer sur la place publique. Sans leaders ni porte-parole, les révoltés de l'automne 88 ne se reconnurent guère dans les promesses officielles. D'autant plus que le Président Chadli, devenu bon samaritain, décida unilatéralement d'amender sa gouvernance. C'est de la sorte qu'au nom d'un réalisme prétendument conciliateur, il fut décidé de réaménager l'ancien régime en injectant une dose de pluralisme mais avec un « Parlement » aux ordres. Grâce donc à un agrégat de familles politiques formellement opposées doctrinalement, l'on imagina un nouveau pouvoir d'Etat ayant la particularité d'être identique... à l'ancien. De fait, des islamistes « fréquentables » et des néo-novembristes feront à leur tour jonction avec la vieille garde de l'ex-parti unique afin de reconstituer la tutelle de l'exécutif. Insidieusement, la pensée unique ressuscitait à travers un appareillage protéiforme avec des sous-traitants différenciés et sur le modèle original de la « Koutla ». À savoir celle constituée par les FLN, RND et Hamas.
L'aboutissement de cette révolution copernicienne, c'est-à-dire le retour à l'idéologie centrale, n'a pu être possible qu'à la suite des multiples « ravalements » de la Constitution (1989 Chadli, 1996 Zeroual, 2008 et 2016 Bouteflika). Or, le retour à la plénitude du contrôle de l'Etat entre les seules mains d'un Président avait justement profité largement au dernier d'entre eux. Celui qui, dans le domaine de la manipulation des concepts, n'avait pas son pareil. À ce propos, après sa première réélection, Bouteflika n'hésita pas à mettre en accusation la « démocratie à l'algérienne ». Se revendiquant d'une « démocratie des valeurs », (sic) qu'il opposait à celle des « structures » (re-sic), il avait mis injustement à l'index l'existence même des partis qu'il trouvait à la fois pagailleurs et nuisibles à la promotion des libertés publiques comme ce fut le cas, disait-il, des concessions faites aux agitateurs d'Octobre 88 ! En schématisant à peine ce qu'il entendait par « démocratie des valeurs », l'on comprend qu'il allait imposer aux acteurs politiques la discipline du consensus si chère à la doctrine du parti unique.
Hostile par archaïsme culturel, il fut, justement, le premier à enterrer publiquement cette date en tant que vecteur du changement. Pour étayer son réquisitoire, il abordera la question dans le même sens que certains chroniqueurs ayant commenté à chaud les événements, en qualifiant littéralement de « délinquance collective » le comportement de la foule. Convaincu que cette violence n'avait pas pour souche une quelconque aspiration aux libertés, il se demandait alors pour quelle raison l'on avait vite fait d'une simple explosion sociale un élément « déterminant » à l'avantage de l'aspiration aux réformes. C'était, pensait-il en substance, « un moment d'errement qui aurait laissé, après son passage et ses dégâts, un tissu de pseudo-partis sans ancrage ni doctrines alternatives à la praxis du système ».
Déclassifié par conséquent de son rôle dans l'Histoire, le 5 Octobre avait cessé alors d'être considéré comme le tournant nécessaire à toute réflexion sur le devenir de l'Etat. En l'enterrant trop tôt, le pouvoir voulait surtout priver les générations montantes d'une référence. Certes, il réussira à moitié puisqu'il avait fallu attendre trente et une années avant le surgissement du Hirak qui allait mettre un terme à la politique de l'amnésie.
B. H.


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