Algérie

5 heures pour juger Djemaï



Moins de cinq heures de temps ont suffi pour juger l'ancien secrétaire général du FLN, Mohamed Djemaï, pour une affaire très différente de celles des autres personnalités arrêtées qui défilent depuis de longs mois devant le tribunal de Sidi-M'hamed.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les chefs d'accusation qu'énumère la juge à l'ouverture de la séance confirment immédiatement toutes les informations qui circulent depuis quelques jours : les lourdes charges qui pesaient sur le prévenu ont été annulées suite à la présentation de preuves irréfutables. La veille, l'un de ses avocats s'était d'ailleurs déjà attelé à fournir aux journalistes toutes les explications voulues.
Mohamed Djemaï était précédemment poursuivi pour deux faits distincts : humiliation d'un journaliste durant l'exercice de sa fonction et mauvaise utilisation de sa fonction. C'est le dernier chef d'inculpation qui a motivé, en 2019, la lettre adressée à l'APN par le ministère de la Justice pour le retrait de l'immunité parlementaire de l'ex-secrétaire général du FLN. Djemaï est soupçonné de destruction de documents officiels contenant des informations liées à la corruption. Les termes utilisés à cette époque font état d'«une perte de dossier».
Le mis en cause finit par renoncer à son immunité parlementaire, il est placé sous mandat de dépôt peu de temps après, en septembre 2019. Sa défense explique que le fameux dossier est finalement retrouvé dans les mois qui suivent. Il est complet. La charge n'a plus lieu d'être. L'accusation qui demeure est celle d'humiliation d'un journaliste durant l'exercice de sa fonction. Le journaliste en question n'est autre que Saïd Bouokba, chroniqueur arabophone bien connu, auteur d'une plainte déposée en 2016 contre Mohamed Djemaï. Ce dernier est accusé de lui avoir adressé un sms dont le contenu est jugé menaçant, une pression exercée à l'encontre du journaliste pour ses écrits critiques à son égard.
Face à la juge qui l'interroge, l'ex-secrétaire général du FLN nie tous les faits qui lui sont reprochés. «J'ai passé 72 jours en prison pour des raisons que j'ignore», dit-il avant de répondre aux questions de la juge qui lui demande de s'expliquer. «Ce SMS a été envoyé le 9 mai 2016, il ne s'agissait en aucun cas d'une menace en réaction à l'un de ses écrits me concernant et portant atteinte à ma réputation. Je lui ai adressé un message disant qu'il y a un Dieu au-dessus de tous et que nos chemins s'arrêtaient là.» La juge lui demande alors à qui appartenait la puce du téléphone utilisé pour l'envoi de ce message. «Cette puce est au nom de mon chauffeur personnel, dit-il, auparavant elle appartenait à mon épouse, j'ai fait une déclaration sur l'honneur attestant qu'il n'y avait ni insulte ni humiliation dans mon écrit, cette affaire s'est déroulée en 2016, j'ai livré mon témoignage à la police, je croyais que l'affaire avait été clôturée, mais elle a été réactivée en 2019, la victime n'est jamais venue au tribunal ni ailleurs, son but était de me nuire, de me causer du tort sans plus.» Mohamed Djemaï tient aussi à rappeler au tribunal qu'il avait renoncé volontairement à son immunité parlementaire, mais la juge l'interrompt et lui lance : «Vous avez renoncé à l'immunité par contrainte ou pour protéger votre épouse, vous savez que cette dernière s'est présentée devant le procureur de Sidi-M'hamed..., pourquoi n'avez vous pas déposé plainte '» «Au début, répond le prévenu, elle ignorait l'affaire du journaliste, c'était inutile car je n'avais pas donné suite à l'affaire, j'étais député, j'étais très occupé, je n'ai pas pris d'avocat parce que je pensais que l'affaire était terminée après mon témoignage chez la police.»
La juge lui demande s'il avait sollicité l'aide du procureur ou d'une quelconque autre partie dans ce dossier, ce que réfute Djemaï. Le procureur pose à son tour une question : «Combien d'articles ce journaliste a-t-il écrits à votre sujet '» Réponse : «De 2016 à 2019, 32 articles ont été rédigés par le même journaliste, ces écrits portaient atteinte à ma réputation, d'autres médias parlaient de moi, me critiquaient mais pas de cette façon.»
Nouvelle question du procureur : «Avez-vous fait un droit de réponse '» Le prévenu fait signe que non. Sa femme, Bouakkaz Amira, est à son tour appelée à la barre en qualité de témoin. Placée sous mandat de dépôt à la même période que celle de son mari, elle a vu les charges retenues à son encontre abandonnées après la cessation des poursuites pour destruction de documents officiels à l'encontre de son époux. La cour l'interroge au sujet de la puce : «J'étais encore fiancée, dit-elle, quand Djemaï m'a demandé d'acheter une puce, elle était en mon nom puis je l'ai cédée au chauffeur en régularisant l'opération de manière légale.» Son témoignage s'arrête là. Elle est invitée à reprendre sa place pour quitter le tribunal si elle le désire.
Une discussion s'engage entre la défense du prévenu, les avocats de la partie adverse et le tribunal. L'affaire est considérée comme étant «banale» et prendra fin en cas de retrait de la plainte de la victime. L'avocat annonce que la victime renonce à sa plainte et s'acquitte sur-le-champ de la procédure nécessaire.
Le procureur de la République prend alors la parole pour expliquer que cette affaire n'a rien à voir avec la corruption, mais qu'elle vise à protéger les journalistes durant l'exercice de leur métier. «Si chaque journaliste qui écrit reçoit un sms de ce genre ce n'est pas simple», dit-il. Après un court réquisitoire, il annonce la peine demandée : trois ans de prison et une amende de 500 000 DA.
A. C.


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