Algérie

46E ANNIVERSAIRE DE LA FÊTE DE L’INDÉPENDANCE


La diversion d’un drapeau par foyer
Tenir aux traditions ce n’est pas pieusement conserver les cendres, c’est ajouter au feu toujours de nouvelles bûches. Nous sommes le 3 juillet 2008: cela fait 46 ans que le peuple algérien a voté prenant en main son destin. La jeunesse actuelle qui ne connaît pas cette époque dans sa dimension mythique n’a retenu que les scories de l’histoire. Faisant dans la fuite en avant, certains font dans la diversion en proposant aux foyers de mettre un drapeau à leur fenêtre le 5 juillet, voulant de ce fait donner l’illusion d’une adhésion de la société à son pays. Cette idée copiée et mal copiée sur les ménages américains n’a pas de fondement. Il est tragique de manipuler des symboles pour des opérations sans lendemain. L’affaire du drapeau est lourde de sens, l’un des derniers repères identitaires se «marchandise». Ce n’est pas l’Etat qui décide de la réhabilitation de ce symbole mais des particuliers pour des raisons que seuls eux connaissent, d’instrumentaliser ce repère et, chose tragique, ce sont des opérateurs commerciaux, qui vont, par procuration, élaborer des drapeaux qui seront jetés aux orties une fois que la fête s’arrête, galvaudant ainsi une icône pour laquelle sont morts pieusement des millions d’Algériennes et d’Algériens à travers l’histoire.Petit retour en arrière: l’Algérie millénaire a vu le passage de huit civilisations différentes. Parmi elles, seule la civilisation musulmane a fait corps avec le peuple algérien au point que l’Islam et la langue arabe font partie du patrimoine du pays. Notre histoire est riche et les jeunes gagneraient à la connaître. Connaît-on Massinissa, Syphax, Jugurtha? Personne ne se souvient qu’avant la Kahina, il y eut Roba la Berbère qui se battit contre les Romains à l’ouest du pays. Sans être exhaustif, on ne peut faire l’impasse que les différentes dynasties dans ce qu’était à l’époque le Maghreb, des Aghlabides, des Fatimides, des Rostomides, des Almourabitines, et Almouahidines, de la Régence avec le charismatique Kheireddine Barberousse, de l’Emir Abdelkader et des différentes femmes illustres qui se sont distinguées dans le combat contre le colonialisme.La longue nuitAu sortir de la guerre de Libération, c’est, on l’aura compris, un pays économiquement et culturellement exsangue qui tente de prendre en main sa destinée. Les blessures et les humiliations de 132 ans de colonisation ne furent rien à côté des blessures morales et de l’errance identitaire, culturelle et religieuse subie par le peuple algérien. C’est en fait, une véritable poudrière psychologique que le pouvoir colonial nous a «pieusement léguée». Deux projets de société s’affrontèrent et s’affrontent, encore, de nos jours. Celui qui puise ses références dans le «siècle dit des lumières» et par voie de conséquence, la tentation d’une laïcité inadaptée à la société algérienne. L’autre, revendiqué par des Algériens formés en Orient et qui n’ont pas pu accéder à l’école coloniale en Algérie, est celui qui s’arrime à la sphère du Moyen-Orient, à la langue arabe, et d’une certaine façon, s’intronisant le dépositaire exclusif de la religion. De ce fait, l’énorme tribut payé par la fine fleur de ce pays a été graduellement banalisé. La jeunesse algérienne actuelle (75% n’ont pas connu le colonialisme), n’a pas été élevée dans le culte de son histoire trois fois millénaire. Comment la déchéance est-elle venue? L’aura de la révolution algérienne s’est ternie.Ce capital mondial de sympathie a été dilapidé sur l’autel des ambitions de toutes sortes. Souvenons-nous de la phrase prophétique de Larbi Ben Mhidi: «Lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer les places. Ce sera une lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà. Oui j’aimerais mieux mourir au combat avant la fin.»(1).Cependant, le désarroi identitaire n’est pas une spécificité des Algériens. Partout dans le monde, l’errance identitaire est exacerbée, notamment par des stratégies mises en oeuvre par les pays occidentaux pour «atomiser» les peuples, exacerber les particularités, au besoin, la stratégie du rapport Lugano, consiste à exacerber les particularités identitaires. Les victimes doivent passer plus de temps à se demander ce qu’ils sont qu’à se mettre réellement au travail. Nous ne savons toujours pas comment prendre à temps les virages que l’évolution mondiale nous impose, nous sommes souvent en retard d’une décision ou souvent, aussi quand nous en prenons une, elle n’est pas bonne et notre orgueil «mal placé» nous interdit de nous réarticuler, de nous redéployer dans un environnement qui a le tournis. Talleyrand disait que «pour rester dans son parti, il faut changer plusieurs fois d’opinion». Nous lui opposons notre proverbe du terroir: «Ma’za oua laoue Tarate». Naturellement, nous devons avoir un minimum de principes, ce que d’aucuns appellent des «thaouabet» et qui doivent faire l’objet de consensus plutôt que d’une incantation dont seuls les gardiens du Temple auraient la garde...Il faut que le peuple algérien se réapproprie ses symboles.(2)Après les errements de 1962-1965, la période Boumediene vit l’édification du pays. Cependant, il faut reconnaître que l’Algérie a pendant cette période fait des efforts dans le domaine de la mise en place d’un tissu industriel, d’une gratuité de l’enseignement, d’un enseignement universitaire avec des milliers d’étudiants (60.000 étudiants en 1978 contre moins d’un millier en 1962). Après la mort de Boumediene, Chadli Bendjedid devient président en février 1979. Profitant d’une période euphorique des cours du pétrole (le baril coûtait 40$ US et le dollar valait dix francs) en 1981, chaque Algérien était autorisé à exporter des devises. De plus, une véritable gabegie et débauche de la devise s’est emparé du pouvoir: un programme anti-pénurie faisait découvrir à l’Algérien sans faire d’effort, le goût du luxe, les «fromages étrangers» et les richesses de la société de consommation. Il faut cependant reconnaître que certains acquis sont à mettre à l’actif du pouvoir en dehors de l’investissement quantitatif pour le système éducatif, les réseaux routiers ont été modernisés. La chute des prix du pétrole à partir de 1986 a contraint le pouvoir à s’endetter de plus en plus pour pouvoir maintenir artificiellement sous perfusion le régime et donc acheter la paix sociale. L’Algérien malmené dans son ego et dans sa vie de tous les jours découvrait brutalement la flambée des prix, l’inflation quand la rente pétrolière n’était plus là pour le perfuser, habitué qu’il était à des modes de consommation qui n’étaient pas le fruit de l’effort. Le pouvoir, qui achetait la paix sociale à coups de subventions, n’avait pas en fait de projet de société crédible. Ce furent les événements d’Octobre. Face à cela, le pouvoir décrète l’état de siège.A tous les détracteurs, qu´il suffise de retenir les données objectives suivantes: de 1965 à 1978, date de la mort de Boumediène. l´Algérie a engrangé, en 13 années, l´équivalent de 22 milliards de dollars. Ce qui a permis d´asseoir une industrie chimique, une industrie mécanique, une industrie sidérurgique. 30 ans après, il ne nous reste que l´outil de raffinage (22,5 millions de tonnes) et pétrochimique. C’était l’époque, et sans verser dans la nostalgie, où chaque dollar reçu était investi pour permettre à l’Algérie de rejoindre le peloton des pays développés. Depuis 1979, l´Algérie a engrangé près de 400 milliards de dollars dont 54 milliards de dollars pour la seule année 2007. Qu´avons-nous fait qui marque effectivement la période? Il semblerait que l’Algérie dispose d’un matelas de 120 milliards de dollars qui fondent comme neige au soleil du fait de la détérioration du dollar, le taux de chômage est élevé, il y a de plus en plus de «harraga» tentés par l’aventure de l’émigration. Voilà résumé en trois phrases, la situation actuelle.On sait que le programme quinquennal 2004-2009 complémentaire de soutien à la croissance, doté de 60 milliards de dollars, vise, selon les orientations du Président, à l’amélioration des conditions de vie, le développement des infrastructures de base, le soutien au développement économique, la modernisation du service public et le développement des nouvelles technologies de communication. Où sont les emplois pérennes promis et qui devaient permettre la mise en route de la machine économique? Les rares emplois visibles sont ceux générés par les showrooms des voitures importées pour 2,5 milliards de dollars, sans aucune création de richesse. Les emplois créés par les dollars de la rente algérienne l’ont été pour les travailleurs en Chine, au Japon, en Corée, en France, en Turquie...La société hors jeuLà comme ailleurs, il n’y a pas de plan directeur et cette ambition est orpheline du fait que la société ne participe pas. Il n’y a pas de cap mobilisateur, il y a au plus des logiques sectorielles. On est encore au stade de l’oukase de l’imposition par le haut de décision qui, on l’aura compris, n’ayant pas l’adhésion du plus grand nombre, n’a pas d’impact réel sur le developpement du pays. A titre d’exemple, la politique énergétique algérienne est à créer. Au moment où de par le monde chaque calorie disponible est bien utilisée, dans notre pays, la production débridée nous donne l’illusion de l’aisance, chacun gaspille à qui mieux mieux, avec cette mentalité de «Anta’e al bailek», traduction: «je peux donc couler la baraque». Au moment où dans les pays industrialisés, tout est fait pour rationaliser la consommation d’énergie dans tous les secteurs, en Algérie, nos députés «imposent» de garder les prix du diesel bas, obligeant le recours à l’importation. Nous ne pouvons continuer avec des prix de l’essence 7 à 8 fois moins cher qu’en Europe, des prix de l’électricité bradée, donnant l’illusion que l’énergie est un fluide gratuit. La stratégie énergétique n’est pas du ressort unique du ministère de l’Energie et des Mines mais doit concerner tous les départements ministériels. Ce cap tracé à titre d’exemple, outre le fait qu’il nous oblige à bouger et à tordre le coup à cette mentalité paresseuse de rentier, donnera à n’en point douter une espérance à ce pays. Les jeunes par millions et les diplômés par centaines de milliers ne se sentent pas concernés par le fonctionnement des gouvernements plus isolés que jamais dans leur tour d’ivoire, voire leur morgue, pendant que l’Algérie d’en bas voit passer avec amertume le train du progrès. Nous aurons peut-être une autoroute, des logements, un aéroport, mais nous serons toujours à l’origine concernant la sédimentation du savoir et du savoir-faire. Qu’avons-nous à présenter à cette jeunesse quand la rente ne sera plus là? Qu’on se le dise rouler, en voiture, voire en 4x4, et accrocher un portable à son oreille n’est pas un signe de développement, mais celui d’une fuite en avant, du m’as-tu-vu qui prolonge notre fonctionnement soporifique qui peut, à Dieu ne plaise, déboucher sur des lendemains qui déchantent. L’Algérie n’ayant plus de rente, ayant perdu son savoir- et son savoir faire, verra son bazar fermé, avec, on l’aura compris, la fermeture des banques privées, des dizaines de showrooms des concessionnaires de voitures, des opérateurs téléphoniques, généreux pour sponsoriser l’achat de drapeaux qui n’auront plus de devises à exporter, A bien des égards, il y a une panne d’imagination pour un gouvernement qui gère le pays porté par une inertie et d’une façon linéaire. Le pays est plus que jamais dépendant des hydrocarbures, nous n’exportons que pour moins de deux milliards dollars hors hydrocarbures. Et là encore, il faut comprendre que nous exportons du minerai, des phosphates, des métaux non ferreux, des dattes et du vin. En clair, nous exportons les fruits de la terre du sol et du sous-sol! Où est la création de richesse? Quand on pense que l’Inde exporte l’équivalent de 10 milliards de dollars en logiciels, une production immatérielle! Voilà donc une utopie généreuse qui est celle de développer le pays hors hydrocarbures réduite à néant.Le pays n’a jamais eu autant de ressources matérielles et pourtant la société algérienne semble s’installer dans les temps morts. On l’aura compris, l’une des inerties structurelles du pays est le fonds de commerce engendré par la révolution à travers les «descendants des ayants des droits» qui se sont autoproclamés «famille révolutionnaire», au point que le budget du ministère des Moudjahidine est une fois et demie supérieur à celui de l’Enseignement supérieur! Il faut bien un jour que ce gouvernement nous explique ses clés de décodage! A titre d’exemple, la nouvelle directive européenne plus coercitve que jamais, annonce à travers la mise en place de la carte bleue, son intention de tarir les élites du Sud par le concept de l’immigration choisie. L’hemorragie de la fine fleur du pays, notamment des grandes écoles, est un sujet à méditer. A quoi sert de former et d’avoir de jeunes diplômés pétillants si, en définitive, c’est l’Europe et l’Amérique du Nord qui en profitent? C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que cette Union pour la Méditerranée me parait être un traquenard sans aucune retombée pour le pays En définitive, devant les mutations rapides du monde, nous y sommes loin, nous peinons à entrer dans la modernité, si ce n’est par des méthodes d’effraction qui ne sont pas basées sur une analyse objective des apports et des contraintes. Plus de quarante ans après 1962, l’utopie de l’indépendance est loin derrière nous. Nous sommes pratiquement revenus à la case départ, de la dépendance, sauf que maintenant nous avons plusieurs tutelles. L’un des chantiers les plus nobles et prioritaires est celui de la reconstruction de l’école en acceptant un vrai débat pour enfin savoir quels sont les enjeux à proposer au peuple en lui disant la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Une société apaisée pourra alors, se protéger culturellement, pourra aller vers le progrès avec l’assentiment de tous ses fils. Alors, alors seulement le peuple se remettra au travail, réhabilitant ainsi les valeurs, inculquant dans ce monde plus volatil que jamais, la valeur du travail bien fait, des traditions non ankylosantes mais qui, bien comprises permettront de libérer l’Algérienne et l’Algérien en lui donnant des réflexes de vainqueur. A la jeunesse, seule vraie rente de ce pays, et qui a perdu ses illusions, nous devons redonner l’espoir qu’il y a une sortie de tunnel possible. Un cap multidimensionnel fruit d’un consensus social, permettra de réveiller le pays, il permettra à n’en point douter à l’Algérienne et à l’Algérien de donner la pleine mesure de leurs talents.(*) Ecole nationale polytechnique1.Larbi Ben M’hidi, cité par Yves Courrières. Les fils de la Toussaint. Editions Fayard. (1972)2.Chems Eddine Chitour, Algérie d’hier, d’aujourd’hui de toujours: le Quotidien d’Oran. 5 Juillet 2002
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)