Algérie

45 ans entre frustrations, paresse et crispations



En 2007, notre fleuron industriel, notre mamelle nourricière, au Sheraton d'Oran, convie son personnel - de la femme de ménage aux directeurs généraux - à un « meeting » à coup d'images-choc, de courts-métrages concis où, entre autres, Belloumi joue à la vedette, comme Agoumi. Ni prise de parole, ni participation. Pas de blablabla, pas de conscientisation. Ce qui est projeté suffit. A la fin 2006, dans un de nos meilleurs lycées, à Alger, une consoeur propose de « célébrer » le 1er Novembre dans une « oeuvre picturale » individuelle. A la remise des « travaux », une surprise : la grande majorité a reproduit des manifestants. Des manifestants islamistes (barbus et moutahajibate) portant le drapeau national et une ou deux banderoles. Ce qui est dessiné suffit.  A Alger, les rues sont tenues. A Alger, certains quartiers sont quadrillés, non par des militants de l'Alliance présidentielle. A Oran, si délaissée aux bandes mafieuses jusqu'au coeur de la ville (avec ses artères grouillantes où les insultes putassières gisent à profusion), il n'y a rien de tel, hélas ! A Oran, le quadrillage islamiste aurait été un « moindre mal ». Et l'Etat ? Autres traits plus généraux : dans 4 millions de véhicules - notre parc automobile - il y a 4 millions de bâtons, cannes, manches, barres de fer, etc... ; dans nos villes, les « surveillants de trottoir » comme les gardiens de parking sont munis de matraques et rackettent à chaque arrêt et stationnement. Nos services de sécurité laissent faire (même si la Loi interdit le port d'arme). Car, c'est entendu : c'est pour notre bien !  La logique autoritaire dont les Algériens voulaient se débarrasser (et espéraient la voir substituée par de l'Autorité) est donc partout. Cette logique est à l'oeuvre ici non pas dans les contenus : ce qui est transmis aux personnels de Sonatrach, ce qui est enseigné en Histoire, ce qui gangrène l'espace public.  La logique autoritaire est dans la forme. Dans le déni de l'Autre. Dans le premier cas, d'en haut, un « message » est formaté pour nos travailleurs et nos cadres : ni débriefés, ni sollicités. Dans le deuxième, nos lycéens gomment carrément des acteurs de l'histoire (que pourtant tant de photos, de reportages, de témoignages diffusés et rediffusés exhibent). Et dans les autres cas, le laisser-aller, laisser-faire se déploie. Aller, par exemple, déposer une plainte pour menaces avec arme blanche; « nous n'interviendrons que si les coups et blessures ou meurtre sont constatables », vous répondra-t-on ! De toute part, l'anarchie des comportements, moeurs et attitudes assoient au quotidien l'oppressante indifférence au sort des autres, la non-assistance à personne en danger, la corrosive détestation du prochain. Alors dans l'ersatz de tout semblant d'ordre, nous nous accrochons. La logique autoritaire se fonde toujours sur la résignation des peuples.  De ces traits de plume peut-on résumer nos 45 ans d'indépendance ? Pourrait-on se suffire d'un no-comment des consultings pétrodollarisés ? D'un étouffement face au télescopage dans nos mémoires ? D'un dépôt de bilan civique ? Incriminerons-nous les managers, les enseignants et les décideurs ?  Bien plus facilement, nous pointerons l'abandon : 1°) du système de communication 2°) du système éducatif ou 3°) de notre vie quotidienne aux méandres :  - de la pensée unique,  - du programme (présidentiel) unique où chacun s'accroche comme à un rameau dans cette Algérie ivre de cette manne du Ciel (les hydrocarbures),  - et du parti unique ou l'approchant : l'Alliance présidentielle, ce corps de 3 en 1 à l'Exécutif censé être insufflé par l'âme - unicité de la pensée - et l'esprit (programme du Président ?) de la Révolution.  C'est là un tout pétri. Mais de dogmatisme. Dont est issue la logique autoritaire. Car au dogmatisme matriciel du national -populisme du XXème siècle — et qui, au nom du socialisme (donc pour notre Bien), a fait tant de ravages bien avant que les ¾ des Algériens naissent — se sont arrimés :  - l'islamo-obscurantiste (et ses assassinats, ses meurtres, ses endoctrinements, ses quadrillages : quand nos barbus atteindront le milliardième de l'intelligence du Hizbollah libanais nous en discuterons !);  - et le libéralo-providentialiste avec ses « nous ne sommes pas assez intelligents » et ses « nous ne sommes pas prêts » (aux privatisations, aux réformes monétaires et financières, à la lutte contre le banditisme, l'insécurité, la corruption, à l'ouverture du champ audiovisuel, à..., à...).  Dans ces dogmatismes, il n'y a qu'UNE VERITE. La leur. Eux qui savent tout et se donnent le droit de ne rien faire pour endiguer l'exil à l'étranger des dizaines de milliers de diplômés dans toutes les disciplines, de mettre aux placards ou à la retraite d'autres milliers de cadres...  Eux qui pensent pour nous. Et à notre présent. Et à notre avenir. Et à notre au-delà. Eux qui nous enjoignent d'y réfléchir, dans notre petit coin. Et de les suivre. Pour notre Bien. De nos enfants ou petits-enfants. A notre dernier soupir ou dernière Chahada. Ou de s'exiler : sur les chaînes satellitaires ou sur une barque ou sur un avion.  Au terme de 45 années d'indépendance, « ils » enguirlandent la culture d'entreprise de grimoires faisant fi de ce qui leur a été légué, « ils » enguenoncent (sic) les acteurs de notre histoire d'atours venus d'ailleurs, « ils » engourdissent nos mains de gourdins. « Ils » nous envoient, paraît-il, des « messages ». Mais « ils » nous interdisent l'interrogation. Au nom de la liberté. De se conformer aux standards internationaux de l'économie de marché. De se conformer aux canons de la Sunna. Niet de cogestion. Niet de haïk. Niet d'algérianité.  Après 45 ans, les frustrations se sont accumulées poussant à la paresse et charriant des crispations. Car des Algériens se croient plus Algériens que d'autres. Des façons différentes d'être algérien, de penser algérien, de vivre l'Algérie sont mal-vues. De ces façons qu'on nous jalouse dans le monde musulman : car enrichissant notre vivre-ensemble de couleurs de l'amour de la patrie et de la liberté. De ces façons si citadines où les choix individuels priment sur le carcan des communautarismes (à teinte ethnique, régionale, idéologico-politique ou religieuse). De ces façons qui se conjuguent à plus d'autonomie. A plus de responsabilité. Et à plus de non-conformisme : par rapport à certaines traditions dont le haïk était hier le symbole. Ce haïk a été chassé de nos rues, de nos armoires, de nos présents aux mariées, comment dire à nos lycéens que nos grands-mères, nos mères, nos tantes en étaient fières et que nous avons préféré pour nos femmes et filles le choix d'un plus, le choix d'une identité toute d'indépendance : à l'échelle de chaque personne, pour tout projet de vie individuel ?  La logique autoritaire a essaimé pendant Bouteflika. Elle est née avant. Et le problème est dans cette angoisse toute féminine : est-ce que le « pendant » d'avant restera après ? « Pendant » 45 autres années ? *Economiste


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