Le dramaturge tunisien Lotfi Achour s'empare d'un fait réel pour résumer dans son film «Les Enfants Rouges» les horreurs et les traumatismes de la décennie noire qui nous hantent encore. Tanit d'or aux JCC
Comment raconter «la décennie noire» et ses profonds traumatismes ? Comment représenter les horreurs indicibles ? Quelles mises en scène possibles pour rejouer les scènes de massacres ? Comment une Å“uvre artistique peut-elle prendre en charge la représentation d'une tragédie et d'un traumatisme collectifs ?
La question est d'actualité. Des romans et des films ont essayé de sonder par tous les moyens et tous les genres possibles cette terrifiante décennie qui nous hante encore, mais jusqu'au film de Lotfi Achour, «Les Enfants Rouges», aucune Å“uvre artistique ou littéraire n'est parvenue à nous convaincre totalement.
Ce film modeste et puissant à la fois tombe à pic pour dégonfler les polémiques indignes et neutraliser les récupérations ignobles qui ont marqué cette rentrée culturelle placée sous le signe des ruptures profondes et des guerres idéologiques déguisées. Autrement dit, et pour aller droit au but, le film «Les Enfants Rouges» du tunisien Lotfi Achour est l'antidote autant inespéré qu'efficace au roman «Houris» de Kamel Daoud.
Raconter l'horreur du point de vue de celles et ceux qui l'ont subie sans jamais être tenté par une quelconque récupération pour affirmer ses convictions, aussi honorables soient-elles, ou pour servir ses petites ambitions.
Avoir de la compassion pour les victimes sans sombrer dans une forme de paternalisme.
Rendre la parole à celles et ceux qui ont été meurtris et condamnés au silence plutôt que de prendre la parole en leur nom pour un dérisoire titre de gloire éphémère.
L'Å“uvre artistique la plus emblématique sur cette décennie de terreur n'est donc pour le moment ni un film algérien ni un roman français, et c'est peut-être mieux ainsi. «Les Enfants Rouges», film tunisien vient rappeler à juste titre que la décennie noire et les horreurs commises par les jihadistes n'ont connu ni limites ni frontières.
Adapté d'un fait réel, le film de Lotfi Achour raconte la pire des tragédies de cette époque de crimes abominables. Alors qu'ils font paître leur troupeau dans une montagne tunisienne, deux jeunes bergers sont attaqués par des jihadistes. Nizar, 16 ans, est décapité tandis que son cousin Achraf, 14 ans, est contraint de rapporter sa tête en guise un message macabre à sa famille.
Le choix du metteur en scène Lotfi Achour est de focaliser sur les villageois confrontés à cette terrible épreuve. Les jihadistes sont tenus hors-champ, ainsi que les services de sécurité et les journalistes dépêchés sur place. Dramaturge avec plus d'une vingtaine de créations théâtrales à son actif, principalement en France, Lotfi Achour réussit dans son premier long-métrage de cinéma «Les Enfants Rouges» d'inscrire une bonne fois pour toutes «la décennie noire» dans la grande histoire des tragédies méditerranéennes.
Comme souvent dans une tragédie grecque, L'Å“uvre sensible et inspirée de Lotfi Achour est une plongée onirique dans la psyché blésée des protagonistes. En l'occurrence ici à celle d'un enfant confronté tout à la fois à l'éveil des sens et à l'horreur des hommes, et à son incroyable capacité à surmonter le trauma. Mise en scène impeccable, aussi bien au niveau de l'image, des mouvements de caméra, que de la direction des comédiens non professionnels. Les larmes qu'on n'arrive pas à retenir devant ce grand film viennent rappeler que nos cicatrices sont encore ouvertes et qu'il va falloir vivre avec, pour conserver le peu d'humanité qui nous tient encore en vie.
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Posté par : presse-algerie
Ecrit par : l'Histoire
Source : www.lequotidien-oran.com