Algérie

24 Février : Double commémoration pour quel bilan '



Cette double commémoration est célébrée chaque année voilà plus de 47 ans, mais dès qu'un brouillard apparaît dans la conduite stratégique de la politique énergique, on ne rate pas l'occasion de le mettre sur le dos de ce processus qui a demandé d'abord une vigilance, puis une mobilisation et enfin un énorme sacrifice des travailleurs.Si feu le président Boumediène a choisi cette date pour annoncer la nationalisation des hydrocarbures en 1971, c'est qu'il comptait réussir son entreprise avec les cadres et les ouvriers du secteur. C'est ainsi que depuis pratiquement le début des années 1980, de nombreuses voix, fortement affectées par l'actualité, tentent en vain d'imputer l'échec d'asseoir une politique pétrolière et gazière en Algérie à la nationalisation qu'ils qualifient de hâtive, émotionnelle et coïncide avec la montée du nationalisme dans les pays pétroliers sans tenir compte de son impact économique sur leur développement.
Cette manière d'analyser un événement passé en s'appuyant sur les données du présent a conduit au dérapage qu'on connaît. Une restructuration organique et financière de Sonatrach en tant qu'instrument de l'Etat au nom du gigantisme pour le regretter amèrement quelques années plus tard. Sa coïncidence avec la commémoration de la date de création de l'UGTA se justifie amplement, car sans le mouvement et la volonté ouvrière, ce processus n'aurait pas réussi.
Plus tard, sur proposition de feu Abdelhak Benhamouda au ministre de l'Energie actuellement dans l'Exécutif et validé par le président Zeroual, on a donné à Sonatrach un statut de grand groupe pétrolier pour rassembler autour de lui les sociétés ainsi déstructurées afin d'en faire de plus compétitives et redresser ainsi les erreurs du passé. Cette équipe, pour protéger ce groupe des convoitises, le verrouille pour rendre son unique action inaliénable, insaisissable et incessible par décret présidentiel 98-48 du 11 février 1998.
Chakib Khelil, et maintenant d'autres après lui sont venus pour pervertir les objectifs de ce décret pour tenter de déverrouiller le groupe et ouvrir son capital aux entreprise américaines si ce n'est encore une fois une très forte contestation populaire pour contraindre les pouvoirs publics de revenir sur leur décision. Ramener donc la nationalisation à son contexte historique, même s'il faudrait le rabâcher chaque année, contribuerait sans doute à mieux comprendre sa portée et surtout à situer les responsabilités des uns et des autres face aux affaires de corruption qui gangrènent ce mastodonte de la nation. Quelles sont les circonstances de cette nationalisation ' Quels étaient ses objectifs ' Enfin, ont-ils été atteints ' Qu'en est-il à présent, quarante-sept ans après cet événement historique '
1- Des circonstances historiques de la nationalisation des hydrocarbures
La nationalisation n'était pas spécifique à l'Algérie, mais elle est apparue avec la prise de conscience de certains pays qui se sont rendu compte de l'exploitation de leurs richesses par les grandes firmes multinationales. Il y a eu le Mexique en 1938, puis l'Iran de Mossadegh en 1951. Elle n'est pas non plus la conception d'une équipe au pouvoir mais largement explicitée dans les documents doctrinaux(1). Il s'agissait en fait de récupérer les ressources naturelles et contrôler les instruments de régulation de l'économie. Le Code pétrolier saharien (CPS), qui était le seul cadre institutionnel avant l'indépendance, s'est trouvé modifié par les Accords d'Evian en 1962 dans sa partie consacrée aux hydrocarbures dans un sens encore plus favorable aux intérêts français et vient ainsi altérer le transfert de la souveraineté au profit de l'Algérie.
En dépit de l'accord algéro- français de 1965, plusieurs contradictions ont été relevées dans le comportement des sociétés exploitantes : insuffisance des investissements d'exploration ; gonflement artificiel des charges d'exploitation dans le seul but de réduire la marge qui revient à l'Algérie et rapatriement insuffisant du chiffre d'affaires réalisé par le groupe ELF, etc. Plusieurs mois de négociation ont confirmé la position de la France de refuser l'alignement du pétrole algérien sur le régime fiscal pratiqué par les pays de l'OPEP et de se conformer à un contrôle de gisement par l'Algérie. Plus tard, le général de Gaulle révélera cette stratégie de man?uvres dilatoire dans ses mémoires(2). C'est donc avec la souveraineté nationale et le libre exercice de disposer de ses richesses qu'il fallait peser les conséquences de la nationalisation du 24 Février 1971.
Elle consistait en fait : de récupérer 51% des intérêts français dans la production du brut ; nationaliser la totalité des réserves gazières et celle de tous les moyens de transport. La réaction française était violente mais prévisible : les compagnies ont essayé entre autres de faire un embargo sur le pétrole algérien en le déclarant «rouge». Il ne s'agit pas ici de déclencher la symbolique des années 1970, mais juste souligner le caractère combatif de ce processus qui a exigé pour se concrétiser un acte de grand courage et une mobilisation très importante, d'où son lien indéfectible avec l'organisation syndicale «d'antan», bien entendu.
2- Sonatrach est bureaucratique car elle ne peut pas l'être autrement
L'entreprise Sonatrach et ses tentacules parapétroliers ont été créés par une poignée d'ingénieurs algériens après l'indépendance pour agir au nom de l'Etat dans le secteur des hydrocarbures. Son objectif est d'exploiter les richesses fossiles pour mettre des capitaux à la disposition du développement des autres secteurs qui devront prendre la relève de cette ressource tarissable. En plus, l'Etat lui a assigné, à titre exceptionnel, la mission de former les cadres capables de faire fonctionner les installations pétrolières sans continuer à recourir à l'assistance étrangère.
Durant ses cinquante-cinq ans d'existence, Sonatrach aurait alimenté les caisses de l'Etat d'un montant de plus de 1000 milliards de dollars, dont 80% durant la période 2000-2013(3). Le ministre de l'Energie et des Mines de l'époque estime que rien que le secteur pétrolier aurait absorbé 800 milliards de dollars de la nationalisation à l'arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999(4). Elle a permis également d'importantes réserves de change(5) de 56 à plus de 190 milliards de dollars en 2013. Tout cela pour quel résultat ' Même si la démarche économique entreprise après l'indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable(6), il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédé sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l'économie nationale et l'a rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs.
L'échec du modèle de développement des années 1970 n'est pas d'ordre humain. De nombreuses analyses, parfois même scientifiques(7) imputent l'échec, nous citons, «est justifié par le manque de main-d'?uvre qualifiée», en outre le manque des procédés techniques avancés, citons aussi le protectionnisme de l'Etat algérien à cette époque comme une contrainte sachant que «le secteur industriel consomme son capital puisqu'il ne dégage pas de ressources suffisantes pour assurer son renouvellement». C'est incontestablement prendre un raccourci en l'analysant de la sorte, car son initiateur a bien précisé dans son discours tenu à Annaba qu'«il ne servait à rien de monter un tissu industriel si on ne forme pas le facteur humain capable de le prendre en charge»(8). Il faut préciser pour mémoire que l'Etat, par le biais de sa société nationale, n'a pas lésiné sur les moyens pour d'abord former les cadres, et plus tard les mettre à niveau aussi bien en Algérie qu'à l'étranger.
On peut estimer dans le cas le plus pessimiste le montant au 1/20 des dépenses totales de l'entreprise depuis sa création en 1963. Environ 40 milliards de dollars ont été consentis pour les formations longues, moyennes et courtes et ceci sans compter les bourses accordées par certains pays étrangers.
Rien que les associés, dans le cadre de la recherche/production (ARP) et à chaque contrat passé, ont réservé près de 1% du montant contractuel pour la formation. Tout cela pour quel résultat ' Les derniers scandales ont montré que les cadres dirigeants n'ont aucune culture managériale, ils obéissent les yeux fermés, mais la bouche ouverte. Son schéma motivationnel n'a pas réussi à consolider le savoir et le savoir-faire. Non seulement Sonatrach voit, impuissante, ses différentes structures se vider de ses compétences, mais les investissements consentis pour rehausser l'Institut algérien du pétrole (IAP), qui lui a été confié par l'Etat en 1999 au rang de pôle d'excellence, s'est avéré un échec incontestable(9).
3- La diversification sans créativité humaine restera un vain mot
Il faut dire d'emblée que l'alibi d'un pays jeune, indépendant depuis 56 ans, ne tient plus, car de nombreuses nations qui ont démarré leur industrialisation dans les mêmes circonstances parfois moins favorables et durant la même période ont réussi à faire décoller leurs économies pour devenir aujourd'hui émergents : les deux Corées par exemple, la Turquie, l'Inde, le Mexique, pour ne citer que ceux-là. Bien avant eux, le Japon dans les années 60'. Ces pays ont un point commun : celui de miser sur les ressources humaines et notamment leurs diasporas qui ont forgé une créativité à l'extérieur de leurs pays d'origine où ils étaient assistés. La fuite des cerveaux, le «brain drain», est un phénomène qui est souvent évoqué en Algérie, en particulier pendant ces périodes de crise et de restriction budgétaire dans la recherche publique.
Brandie comme une menace, il est difficile d'en mesurer la réalité pour notre pays, alors que le «brain drain» touche sans conteste de nombreux pays de la planète, mais dès que ces pays retrouvent les pistes de la croissance, ils se retournent en premier lieu sur les ressources humaines perdues avant bien d'autres facteurs. Il faut rappeler d'abord que les pays de l'UE quand ils étaient à 15 «produisaient» 600 000 diplômés scientifiques par an (de la licence au doctorat), les USA 370 000 et le Japon 230 000. Au niveau du doctorat en sciences (tous domaines confondus), l'UE décerne 5,5 doctorats pour 10 000 habitants (classe d'âge 25-34 ans) chaque année, les USA 4,1, le Japon 2,7 et la France 6,5. L'Europe a donc un fort potentiel de main-d'?uvre scientifique que l'on ne retrouve pas dans l'emploi scientifique : il y a 5,7 chercheurs pour 1000 actifs dans l'UE (7 en France), 8 aux USA et 9,1 au Japon.
L'Algérie a l'avantage de fournir près de 200 000 diplômés chaque année et, plus avantageux encore, une population jeune à plus de 60%, mais n'en fait aucun calcul de ces richesses qui moisissent dans l'environnement. A la fin des années 1980 et à titre d'exemple, «l'Inde, le Brésil et la Turquie offraient à leurs citoyens non résidents pour un retour au pays des soutiens financiers sans pareil pour séduire des entrepreneurs à ??success story'' venus en particulier d'Allemagne, G.B. et USA et maîtrisant un savoir-faire. Résultat probant : où se placent-ils aujourd'hui ces pays dans le classement mondial '»(10)

Par Reghis Rabah
Consultant, économiste pétrolier

Renvois :
1)- Programme de Tripoli et la charte d'Alger
2)- Dans ses mémoires de l'espoir, le général écrivait : «Pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en ?uvre et celle de nos bases d'expérimentation de nos bombes et nos fusées, nous sommes en mesure quoi qu'il en arrive à instituer
3) Lire l'article de Ali Titouche paru dans El Watan le 15 janvier 2014 sous le titre «Sonatrach, otage de la politique»
4)- Déclaration du ministre de l'Energie et des Mines au forum d'El Moudjahid en février 2013
5)- Gouverneur de la Banque d'Algérie devant l'APN en décembre 2013.
6) - Lire les détails dans notre contribution parue dans le quotidien El Watan du 15 septembre 2012
7)- A Froukh, S. Touami «La perspective des hydrocarbures dans l'économie algérienne», revue algérienne de l'économie et finances n°07 d'avril 2017
8)- Discours du président H. Boumediène lors de la pose de la première pierre du pôle d'ammoniac de Annaba
9)- Lire l'article paru dans le Soir d'Algérie du 19/09/2011
10)- Lire l'article du Dr Lies Goumiri paru dans le Matin d'Algérie sous le titre «L'Algérie a besoin d'une stratégie industrielle globale et cohérente» le 9/02/2018.


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