Publié le 10.07.2024 dans le Quotidien l’Expression
Pendant plus de 30 ans, la réalité du pays a suscité chez les acteurs de la vie sociopolitique une focalisation de l'intérêt sur des sujets précis de nature politique, sécuritaire et économique. Ni la situation démographique, avec son évolution passée, sa situation actuelle et ses perspectives, ni le thème du peuplement avec la structure de la population, l'urbanisation et la croissance urbaine n'ont retenu réellement l'attention hors des cercles académiques ou des organismes concernés. Il en est de même des implications spatiales de ce thème qui est un aspect important de la pensée économique. Aucun de ces éléments n'a trouvé de place dans la panoplie des arguments de nos politiciens. Pourtant, c'est la population, son devenir et son bonheur qui sont érigés comme finalité de toute politique. A ce titre, le rôle des gouvernants a toujours été de produire des lois et de les faire appliquer, de garantir les droits et de veiller à l'accomplissement des devoirs, d'assurer les besoins basiques de la collectivité et de promouvoir un environnement propice à une bonne qualité de vie de ses membres. C'est donc la population qui est l'alpha et l'oméga, le principe et la fin d'une bonne gouvernance. Aussi l'horizon de la réflexion et de l'action des acteurs nécessite-t-il d'être élargi au problème démographique et à sa relation avec l'espace géographique dans notre pays. C'est d'autant plus évident que la population algérienne serait passée de 11,7 millions d'habitants en 1962 à 46,2 millions en 2024, soit en moyenne une hausse de près de 600000. Elle atteindrait 47,4 millions en 2030 et 59.7 millions en 2050 (ONS). C'est un rythme révélateur de sa jeunesse, et donc des tensions en termes d'éducation, formation, travail... À cette problématique se greffe une double contrainte: celle de la concentration du peuplement sur la bande côtière et celle de la limitation de la Surface agricole utile qui ne représenterait aujourd'hui que 0,20 ha par habitant. En effet, au recensement de 1987 déjà, 65% des habitants sont concentrés sur 4% du territoire, au nord du pays, là où se trouve l'essentiel du potentiel agricole (environ 8 millions d'hectares de SAU) et hydraulique (89% des écoulements des eaux). Pour le reste, le quart de la population occupe les Hauts-Plateaux, soit 9% de l'espace géographique, tandis qu'avec 87% du territoire, le Sud n'en accueille que de 10% (MEAT). S'il découle des données de la géographie, un tel déséquilibre est aussi une conséquence de la colonisation. Quoi qu'il en soit, les pouvoirs publics en ont pris conscience dès l'indépendance et ont mis en oeuvre une politique soutenue dite de l'équilibre régional. «L'Algérie doit avoir un seul et même visage. Il ne faut pas qu'il y ait une région civilisée et une autre arriérée, une région touchée par le progrès et une autre dont les habitants ne mangent pas à leur faim (...) La Révolution doit revenir aux sources, à ces régions déshéritées, aux montagnes, aux villages et aux déserts.» (H. Boumediene, 1965 et 1966.) Cette démarche a été réaffirmée par la Charte nationale de 1986 à travers le concept d'aménagement du territoire qui a vu le jour outre-Méditerranée en 1947. Elle a débouché sur une réelle recomposition du territoire national où des équipements et des infrastructures modernes qui ont surgi partout ont métamorphosé le pays. Mais avec la crise financière de la fin des années 1980 et la tragédie de la décennie 1990, la politique d'aménagement du territoire s'éclipse. Dans l'urgence, les pouvoirs publics ont dû se consacrer principalement à la sécurité et aux contraintes du rééchelonnement de la dette. A partir des années 2000, la remontée des prix du pétrole et le retour de la paix civile ont induit une reprise remarquable des réalisations de projets d'équipement. D'abord empirique, cette reprise a fini par susciter une relance de l'idée initiale au moyen d'un schéma stratégique dédié à la modernisation et au rééquilibrage du territoire. Élaboré avec beaucoup de rationalité et approuvé par une loi du 29 juin 2010 dans le sillage des études antérieures, notamment «Demain l'Algérie» et «Algérie 2005», le SNAT est un scénario prospectif qui vise à impulser une politique de long terme, traduisant une démarche de rejet du «laisser-faire» libéral et d'harmonisation des préoccupations nationales et locales du développement. Ayant posé un diagnostic et tracé des objectifs, il ouvre aux pouvoirs publics de larges perspectives d'applications concrètes. De ce point de vue, l'État se voit assigner un double rôle: 1- un rôle d'aménageur et donc d'acteur principal; 2- un rôle d'instigateur et donc d'animateur d'acteurs secondaires. En tant qu'aménageur, il aura à mettre en oeuvre des politiques prioritaires articulées sur la déconcentration industrielle, le rééquilibrage du réseau urbain, la protection, l'aménagement et la valorisation du patrimoine naturel (agricole, forestier, hydrique, touristique, de montagne, du littoral...) et culturel. En tant qu'animateur, il aura à mettre en avant des acteurs locaux (wilayas, communes, associations, entreprises...) dans le cadre de dispositifs et de schémas intercommunaux, interwilayas, voire régionaux. Ainsi, l'aménagement du territoire pourra-t-il figurer parmi les dossiers phares de la période 2024-2029.
(*) Membre du Conseil de la Nation
Hachemi Djiar
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Posté Le : 11/07/2024
Posté par : rachids