Comment envisager une altérité dans un monde en crise et dans une société où l'identité est perçue dans son sens littéral ' Comment se réaliser et s'épanouir quand le regard de l'Autre peut devenir à tout moment un instrument d'intrusion et de punition ' Autant de questionnements qui ont animé la séance de samedi des 1res Journées philosophiques d'Alger.Initié par l'essayiste Razika Adnani et les éditions Labter en collaboration avec le ministère de la Culture, cet événement, premier du genre à Alger, s'est ouvert samedi au palais de la culture Mufdi-Zakaria sous le thème «Autrui». Parmi les intervenants de cette première journée, l'universitaire et écrivain Mohamed-Lakhdar Maougal a intitulé sa conférence «Je suis un étranger», référence directe au roman-phare d'Albert Camus. Selon lui, ce texte demande à être relu à la lumière des «constellations discursives» telles que définies par Michel Foucault : prendre en considération ses dimensions anthropologique, historique, philosophique et psychanalytique. Publié en 1942, L'étranger est un «roman-essai né de la crise dont les deux personnages (l'Arabe et Meursault) représentent deux facettes de l'étrangeté et symbolisent la mort de l'humanisme». Albert Camus, influencé par le philosophe allemand Osman Spengler, auteur de Le déclin de l'Occident, décrit ainsi à travers ses personnages la naissance d'un monde inhumain avec la Seconde Guerre mondiale qui n'est autre que le «résultat des confrontations brutales des nationalismes, lesquels engendrent systématiquement le fascisme». Or, le philosophe bulgare Tzvetan Todorov qui s'est intéressé à l'œuvre de Camus nuance ce constat en distinguant entre nationalisme chauvin et celui né au cœur des mouvements d'indépendance. Maougal estime que ce dernier, contrairement à Camus, prend compte du réel social. L'intervenant cite également la philosophe Julia Kristeva, auteure de Etrangers à nous-mêmes (1990), qui apporte un troisième pilier au concept d'altérité en évoquant le rôle de l'inconscient et en soulignant que l'individu peut aussi être étranger à lui-même et se poser comme tel au sein de la société. Une quatrième dimension sera ajoutée par Jean Baudrillard qui prend en compte la mutation de la communauté européenne et mondiale après la chute du mur du Berlin et la naissance du post-modernisme où l'alliance entre la communication et le marché donnera naissance à la société de consommation. Mohamed-Lakhdar Maougal conclut alors avec cette interrogation : Quelle est donc la finalité de l'humanité ' Trouver son bonheur ou plonger définitivement dans l'asservissement 'Pour sa part, Razika Adnani, professeur à l'université populaire de Caen et auteure de plusieurs ouvrages, axe son intervention sur le thème «Autrui ou l'œil indiscret». La problématique du jugement et de l'intrusion mutuels entre individus au sein d'une communauté est disséquée de manière didactique, voire scolaire, en commençant par souligner l'importance cruciale de ce regard extérieur qui constitue la raison d'être de la prise de conscience de soi et de la connaissance du monde qui nous entoure. Or, la souffrance survient quand ce regard s'immisce dans la sphère privée. Cette dernière est définie de manière faussée dans certaines sociétés comme en Algérie où «le privé est synonyme de tout ce qui est dissimulé. Tout ce qui n'est pas caché ne fait donc plus partie de l'espace privé».Autrui s'arroge donc le droit de non seulement juger mais surtout essayer de changer, voire intervenir de manière agressive, dans la façon d'être de son semblable au sein de ce qu'il considère comme un espace public.Or, précise Mme Adnani, le privé consiste tout simplement en «ce qu'on ne souhaite pas partager avec l'autre» ; mais l'œil indiscret ne respecte pas cette limite et devient donc omniprésent par le biais de la surveillance mutuelle.L'intervenant distingue néanmoins entre «l'œil intrusif et furtif de celui qui regarde autrui avec curiosité tout en sachant qu'il n'en a pas le droit» et «l'œil intrusif et insistant de celui qui pense avoir le droit, voire le devoir de s'immiscer dans la vie de l'autre en s'appropriant des valeurs morales supérieures aux siennes».Ce viol de l'espace privé et ce vol des instants intimes sont d'autant plus généralisés qu'ils trouvent leur justification dans la culture religieuse et dans le fameux principe de «Al amr bil maârouf wa nahy aân el mounkar» («Orienter vers le bien et empêcher le mal»), lequel est, selon la conférencière, un exercice louable en soi sauf qu'il est constamment dirigé vers l'Autre et jamais vers soi-même alors que «le moralisateur n'est pas forcément moral».Cette hostilité aux libertés individuelles les plus élémentaires peut atteindre le désir de punition envers la différence et engendre ainsi une série de malaises et de tensions qui compromettent la vie en harmonie au sein de la société algérienne et à laquelle la meilleure réponse, estime Razika Adnani, est d'arriver à se libérer de cet œil indiscret ! «On ne peut interdire ni le regard ni le jugement. On peut cependant ne plus donner d'importance au regard d'autrui. Une décision sage qui ne peut néanmoins être effective si cet Autrui ne se contente plus de nous juger mais menace notre sécurité par un désir de punition». La solution ' «Un Etat de droit où les individus ne peuvent se punir les uns les autres et où le regard extérieur saura ses limites».
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 19/10/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Sarah H
Source : www.lesoirdalgerie.com