A l'automne de 1954, les hauts responsables du gouvernement français en Algérie savaient qu'un danger imminent était sur le point de se produire dans le pays. Roger Léonard, gouverneur d'Algérie depuis 1951, soupçonnait qu'un mouvement diplomatique des rescapés de l'Organisation Secrète (OS) dissoute se déroulait en secret au Caire, avec la coordination de Ahmed Benbella, réfugié en Egypte depuis son évasion de prison en 1952. Mais, ce problème qui risque d'être vraiment préoccupant n'était pour le gouverneur qu'une inquiétude raisonnée.
Le long parcours de militantisme des Algériens engendra la mouvance d'un esprit nationaliste qui réclamait le désengagement de la France de l'Algérie, par le dialogue pour certains et par les armes pour les plus radicaux des partis.
C'est alors que le Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action (CRUA) naît et choisit la voie militaire pour l'indépendance du pays. Après moult divergences et heurts entre les différents courants du mouvement nationaliste, Messalistes modérés, centristes et radicaux finirent par se regrouper autour du Front de Libération Nationale (FLN), fondé dans le secret en 1954 par les six chefs historiques : Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Rabah Bitat, Didouche Mourad, Mostefa Benboulaid et Larbi Ben M'hidi.
En effet, c'est à partir de la crise au sein du parti principal du mouvement nationaliste algérien que le CRUA a vu le jour pour redresser la situation et empêcher les rivalités et les divergences doctrinales entre les clans. C'est bien à partir de la fin de l'année 1953 que les conditions de la création du FLN, avec sa branche militaire, l'Armée de Libération Nationale (ALN), étaient véritablement réunies pour passer à la lutte armée contre l'occupation coloniale. Quelques mois étaient suffisants pour concevoir et mettre en Å“uvre l'opération de la première insurrection contre l'autorité coloniale. En juin 1954, la décision du combat pour l'indépendance a été adoptée par le groupe des 22, en majorité des membres de l'OS dispersés après la dissolution de cette organisation. En juillet de la même année, l'organisation est soutenue par les indépendantistes réfugiés en Egypte, Hocine Ait Ahmed, Ahmed Benbella et Mohamed Khider, qui deviendront les coordinateurs du mouvement interne avec le monde extérieur. Vers la fin d'août, l'organisation se dota d'un Etat-Major et d'une direction collégiale, avec la délimitation de 6 zones (wilaya) militarisées, dirigées chacune par un chef désigné, auxquelles s'ajouta la diplomatie des résidents au Caire, à Rabat et à Tunis.
- Zone 1 : Aurès (Mostefa Benboulaid)
- Zone 2 : Nord-Constantinois (Didouche Mourad)
- Zone 3 : Kabylie (Krim Belkacem)
- Zone 4 : Algérois (Rabah Bitat)
- Zone 5 : Oranie (Larbi Ben M'hidi)
- Zone 6 : Sahara algérien (Reconstituée tardivement par Si El Haoues et Amor Driss)
- Corps Diplomatique externe : Fédération de France et de l'étranger. (Ahmed Benbella, Ait Ahmed, Mohamed Khider)
La coordination entre ces zones était confiée à Mohamed Boudiaf.
Au mois d'octobre 1954, après plusieurs rencontres, la structure et les modalités de l'insurrection sont établies, les décisions essentielles sont prises et le passage à l'acte sur le terrain est planifié. Le CRUA devient le FLN. L'appellation FLN est retenue finalement après les propositions de « Front de l'Indépendance » et « Mouvement de Libération ». Une dernière rencontre eut lieu le 23 octobre, suite à laquelle l'organisation définitive est déterminée, et la date du déclenchement de la révolution est fixée dans la confidence totale au 1er novembre 1954.
Personne n'était au courant du programme révolutionnaire du FLN, personne, sauf les 22 membres fondateurs, avec leurs chefs qui ont mobilisé leurs troupes dans les zones en attendant l'ordre pour l'éclatement des hostilités. Même les commandos du FLN concernés par cette première action n'avaient su le début des attaques qu'à quelques heures de l'opération. François Mitterrand, ministre de l'Intérieur à cette époque, répétait souvent « Je sens quelque chose en Algérie », mais ses préoccupations n'allaient pas plus loin. Il dira plus tard « L'Algérie, c'est la France ».
Il exprima son mécontentement après les premières frappes du FLN en disant que « La rébellion algérienne ne peut trouver qu'une forme de terminale : la guerre. » Le maire d'Alger, de son côté, malgré ses contacts avec les conseillers municipaux du MTLD n'étaient au courant de rien.
La nuit du 31 octobre au 1er novembre devait connaître plus de 30 attentats ciblés simultanément dans presque toutes les régions d'Algérie : sabotages, mitraillages, incendies étaient des actes qui ont fait état de 8 morts et des dégâts matériels considérables. Jean Vaujours, le directeur de la sûreté d'Algérie, fit le bilan de cette nuit, en remarquant que tous les délits avaient été perpétrés à la même heure, 1h du matin :
- Alger : Peu de dégât, éclat de deux pétards dans des endroits stratégiques et intelligemment choisis.
- Algérois : Attaques avortées de casernes à Blida et à Boufarik. Explosions de bombes artisanales près de ponts et de carrefours. Quelques armes volées. Incendie à la coopérative d'agrumes de Boufarik. Destruction du stock d'alfa à Baba Ali.1 mort.
- Oranais : Attaques de fermes. Tentatives d'incendie. 1 mort et quelques blessés à Sidi Ali (Mostaganem)
- Kabylie : 2 morts. Incendie d'un dépôt de liège. Dégâts très importants.
- Nord Constantinois : La région avait peu souffert. Attaques avortées de casernes et de postes de police. Rafales de mitrailleuses.
- Aurès : Situation grave et à certains points dramatiques. Attaques de deux casernes menées avec une folle audace à Batna. 2 sentinelles européennes tuées. Arris était isolée et totalement prise en mains des rebelles. Centre administratif saccagé. Réseau de communication téléphonique détruit. 1 femme et 1 caïd algérien tués.
Radio Le Caire, par l'intermédiaire de « Sawt El Arab» (la voix des arabes), était la première station à annoncer ces événements au matin de ce 1er novembre. Cette diffusion dépêchée ramène les Français à comprendre que l'Egypte a une main dans cet embrasement généralisé. Le soutien de Nasser est incontestable, un mouvement insurrectionnel d'une telle précision serait impossible à effectuer par une rébellion clandestine.
Alerté ce matin-là, le gouverneur général d'Algérie et tous les pouvoirs spéciaux d'Alger et de Paris étaient stupéfaits par ces événements mystérieux.
Roger Léonard, lui et sont état-major, avaient été saisis à froid. La surprise et la stupéfaction vinrent de la coordination impeccable des frappes, de leur étendue sur presque tout le nord du pays, d'Oran à Souk Ahras. Cependant, il reprit encore sa formule « situation préoccupante mais pas dramatique », pensant que l'insurrection de cette nuit est un ensemble de faits isolés car le peuple n'y a pas adhéré. Ce n'est que vers l'après-midi que les autorités françaises prirent conscience de la gravité de ces incidents. Vers 17h, « Dernières Nouvelles » est le seul journal paru en ce jour férié, jour de la Toussaint. Sa première page est barrée d'une manchette expressive : « Flambée de terrorisme en Algérie ». L'information fit rapidement tache d'huile parmi la population, mais personne ne comprit réellement les tenants et aboutissants de ces actions massives et bien montées.
Les raisons se sont éclaircies plus tard, avec la diffusion de la fameuse proclamation du FLN, revendiquant les faits dans « la déclaration du 1er Novembre », glissée dans les boites aux lettres des villes et envoyée par voie postale à des destinataires déterminés. Cela obligea le FLN à sortir de l'anonymat et à voir le jour en ce 1er novembre 1954, baptisé « La Toussaint rouge » par les Français à cause de son ampleur et en hommage à ses victimes.
En effet, Jean Vaujours souligne l'importance qu'aurait prise cette insurrection si les rebelles étaient équipés d'armements et de bombes efficaces, au cours d'une réunion provoquée d'urgence par le gouverneur général. Une rencontre à laquelle prirent part des militaires hauts gradés et des responsables des instances de la sécurité et des renseignements généraux. L'objectif de cette réunion extraordinaire était d'analyser les faits de cette insurrection surprenante et de planifier les mesures nécessaires pour répondre immédiatement aux dépassements des insurgés observés comme des hors-la-loi.
« Il faut tout de suite intervenir pour les dégager. A tout prix », conclut Roger Léonard. Effectivement, la riposte de l'armée française était rapide, sanglante pendant les jours et les semaines qui suivirent les coups de force du FLN. Les représailles allaient des ratissages de lieux douteux aux fouilles systématiques de civils suspects, des arrestations sans motifs aux liquidations physiques sommaires. Pierre Mendes France, président du conseil national, déclara ouvertement : « En Afrique du Nord, soit il y aura une politique de réconciliation, soit une politique de force et de répression, avec toutes ses horribles conséquences ».
Selon les premières estimations des Français, le nombre des rebelles de cette sédition serait de 800 personnes qui possédaient quelque 400 armes de confection traditionnelle pour la plupart. Parmi eux, une bonne partie de soldats non aguerris et des éléments condamnés par contumace par la justice et recherchés pour des délits divers. Pour eux, il suffisait de plus de renforts et d'une action sereine pour étouffer cette agitation et effacer les traces de ces dissidents indisciplinés. Sachant que parmi ces révoltés, beaucoup étaient des vétérans de la deuxième guerre mondiale, bien d'autres étaient formés dans les rangs des Scouts musulmans. Tous, cependant, étaient rongés par la misère d'un peuple, tous en mal d'une vie décente et de dignité.
Par ailleurs, les membres du FLN s'attachaient fermement au combat. L'indépendance du pays est devenue une obsession. Ils étaient déterminés à aller jusqu'au bout de leurs objectifs légitimes, de lutter pour y arriver quel que soit le sacrifice. Il s'agissait de la décolonisation de l'Algérie pour la liberté et la dignité d'un peuple soumis au joug de l'impérialisme depuis plus d'un siècle. Les revendications de révolutionnaires comportaient entre autres, la reconnaissance de la nationalité algérienne, l'ouverture de négociations et la libération des détenus politiques. Les Français demeurant en Algérie pourront choisir leur nationalité, Français et Algériens auront des droits égaux.
Personne ne pensait que ce lundi, 1er novembre 1954, était le premier jour de la guerre d'Algérie. Didouche Mourad décrit ce jour comme « la mèche qui allait embraser la révolution ». Personne ne croyait que cette insurrection, qualifiée de banditisme, aboutira à une révolution qui allait durer 7 ans et demi, et qui allait changer le cours de l'histoire de la région et créer des bouleversements dans le monde. Larbi Ben M'hidi dit quelque temps après sa phrase mythique : « Jetez la révolution à la rue, le peuple l'adoptera », ce qui fut fait car, d'une manière ou d'une autre, c'est tout le peuple qui y prit part en payant à coût très cher la l'indépendance de l'Algérie.
*Ecrivain
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Posté Le : 31/10/2024
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Abdelkader Guerine*
Source : www.lequotidien-oran.com