Hasard du
calendrier, le 50ème anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie se prépare
sur fond d'un nouvel activisme militaire français en Afrique.
22 avril 1961. «
Un quarteron de généraux en retraite » selon l'expression du général de Gaulle,
organise un putsch militaire en Algérie. Les généraux Maurice Challe, Edmond
Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller - parviennent à soulever plusieurs
régiments dans un coup de force pour s'opposer à la politique algérienne de
l'ex-patron de la « France libre ». Derrière eux, s'agitent des colonels et
capitaines dont certains s'étaient illustrés pendant la guerre d'Indochine,
Argoud, Blignières, Broizat, Gardes, Godard, Vaudrey… Les légionnaires du 1er
régiment étranger de parachutistes commandé par Hélie de Saint-Marc, prennent
le contrôle d'Alger. Les objectifs des putschistes ? Imprécis, souvent
surréalistes, mais clairement antirépublicains. Une partie de l'armée française
appelle à se soulever armes à la main, contre l'état démocratiquement élu !
Elle veut prendre le pouvoir en Algérie, liquider « en trois mois », selon les
dires de Zeller, la résistance afin que la colonie reste définitivement
française. Les moyens proposés ? Loi martiale, mesures d'exception,
arrestations des opposants, préfets mis aux arrêts, l'administration soumise à
la discipline militaire et la guerre à outrance contre les willayas…
L'indépendance de l'Algérie, combat mené
depuis 1954, apparaît pourtant à l'époque comme inéluctable. Charles de Gaulle
(qui est pourtant arrivé au pouvoir en 1958, grâce à l'appui de cette même
armée coloniale) en a dorénavant la conviction : les Français doivent quitter
l'Algérie. Le 8 janvier de la même année, lors du référendum sur
l'autodétermination de l'Algérie organisé en France comme dans la colonie, le «
oui » l'emporte avec 75,25 % des suffrages exprimés en métropole et 69,09 % en
Algérie. De Gaulle, lors d'un discours prononce le mot tabou d'indépendance de
l'Algérie. Le 20 février, Georges Pompidou, 1er ministre, avait rencontré le
FLN en Suisse. Quelques jours avant le putsch, le président
français avait confirmé lors d'une conférence de presse : « La France n'a aucun
intérêt à maintenir sous sa loi, et sous sa dépendance, une Algérie qui choisit
un autre destin ».
Après sept ans de guerre de libération
nationale, assortie d'une répression d'une extrême violence faisant des
centaines de milliers de morts dans la population arabe, l'ouverture de
négociations avec «l'ennemi terroriste» plonge dans la stupéfaction et le
désarroi la communauté française présente en Algérie depuis plusieurs générations
et une fraction de l'armée coloniale qui estime toujours que la victoire finale
est à portée de fusil… 1er signe, des membres de l'armée s'allient avec des
militants recrutés parmi les Pieds-noirs les plus radicaux, afin de fonder
l'Organisation armée secrète (OAS) qui va lancer une violente campagne de
meurtres et d'attentats, surtout à Alger et Oran.
1961 ? C'est tout
juste avant-hier…
L'affaire échoue
pourtant lamentablement et rapidement. Une majorité d'officiers de l'armée
reste légaliste. Le contingent, des centaines de milliers de soldats qui
effectuent leur service militaire en Algérie, désapprouve quand ils ne
s'opposent pas frontalement. Une invention du milieu des années 50, le
transistor, le « face book » de l'époque, leur permet de connaître minute par
minute les événements et d'entendre les appels publics de Gaulle à lutter
contre la « sédition ». Le même donnait le 22 janvier, « trois jours » de
survie au putsch. Il dura quatre jours. Les insurgés se rendent, s'enfuient à
l'étranger ou rentrent dans la clandestinité en renforçant l'OAS. Cette
tentative de coup d'état de la part de l'armée est pourtant une 1ère dans
l'histoire française, si l'on excepte le putsch du 18 brumaire d'un autre
général, Napoléon Bonaparte qui prend le pouvoir avec l'aide des armées
révolutionnaires. À l'exception de l'épisode tragicomique du général Boulanger
à la fin du XIX° siècle, l'armée française est restée traditionnellement dans
les rangs de la légalité républicaine. L'affaire choque profondément l'opinion
publique métropolitaine. En décembre de la même année, à l'appel des partis de
gauche des centaines de milliers de personnes manifestent contre les campagnes
de terreur de l'OAS et pour la paix en Algérie. Le 8 février 1962, une nouvelle
manifestation organisée sur les mêmes thèmes malgré l'interdiction du
gouvernement, est brutalement réprimée par la police : on compte 8 morts à la
station de métro « Charonne ». Les Français en sont maintenant définitivement
convaincus : il faut tourner la page colonial.
1961. Un
demi-siècle, c'est beaucoup, mais à la simple échelle des générations, c'est
tout juste avant-hier. Le putsch du quarteron, ultime palinodie d'une
décolonisation catastrophique de l'Algérie et plus généralement de l'empire
français marque encore profondément aujourd'hui la conscience nationale
hexagonale, héritage complexe de culpabilité, d'ambitions échouées, de rancÅ“urs
xénophobes mais également d'un réel intérêt et de vraies sympathies pour les
peuples ex-colonisées, dont la francophonie est l'une des expressions. Ce passé
paradoxal et contradictoire peut expliquer pour partie les errements de la
politique extérieure menée actuellement par Nicolas Sarkozy. Le président
jusqu'en février a plaidé pour la neutralité la plus extrême dans la crise qui
a chassé Ben Ali en Tunisie, au nom du « passé colonial » : la France ne devait
pas interférer dans les affaires intérieures de la Tunisie, ex-protectorat.
Deux mois plus tard, le même président ordonne à ses troupes de chasser
militairement Laurent Gbagbo du pouvoir, en Côte d'Ivoire, ex-colonie. Allez
comprendre… Tiens ! Hasard du calendrier, c'est le 24 avril 1961 qu'a été signé
l'accord de défense entre la France, la Côte d'Ivoire, le Dahomey (aujourd'hui
Bénin) et le Niger de l'autre. L'article 2 concède que les ex-colonies ont « la
responsabilité de leur défense intérieure et extérieure », mais qu'elles
peuvent aussi « demander à la République française une aide dans des conditions
définies par des accords spéciaux ». Ces conditions spéciales justifient peu
les très nombreuses opérations de l'armée française en Afrique subsaharienne
depuis l'indépendance des ex-pays colonisés : depuis 1960, il y a eu une
soixantaine d'interventions militaires françaises en Afrique subsaharienne.
Dont vingt-trois pour « maintien de l'ordre » au profit d'un régime catalogué
inconditionnel, type le Gabon de Léon Mba, puis d'Omar Bongo ; quatorze pour
pousser dehors un gouvernement ayant cessé de plaire. Le dernier en date étant
Laurent Gbagbo.
L'héritage des
«centurions»
Aujourd'hui, « Le
dispositif militaire français en Afrique est constitué de 3 bases militaires
permanentes au Sénégal (1150 hommes), au Gabon (900) et à Djibouti (2900)
depuis la fermeture en 1998 des bases centrafricaines et le passage en 2007 de
celle de Côte d'Ivoire au statut d'opération extérieure (Opex). Au Tchad, le
dispositif « Epervier » (environ 1200 hommes) n'a pas le statut officiel de
base permanente mais celui d'opération extérieure provisoire depuis... 1986 »,
note Raphael Grandvaud, auteur de « Que fait l'armée française en Afrique ? Au
total, environ 6000 soldats français sont pré-positionnés dans les bases
permanentes auxquels il faut ajouter 5000 soldats présents dans le cadre
d'opérations extérieures (Licorne en Côte d'Ivoire, Boali en Centrafrique,
Eufor puis Minurcat au Tchad/Centrafrique. Sans oublier des opérations
maritimes permanentes, Corymbe dans le Golfe de Guinée et maintenant Atalante,
dans le Golfe d'Aden.
La position de
Sarkozy sur la Libye ne semble pas non plus convaincre l'opinion publique
française. Peut-être pour pallier ses difficultés intérieures et se refaire une
popularité très mal en point, le président a proposé à l'ONU une intervention
militaire aux motifs nobles. Cornaqué par le philosophe-VRP de « l'ingérence
humanitaire », Bernard-Henry Levy, Nicolas Sarkozy s'est fait l'apôtre d'une
intervention musclée pour sauver la révolution libyenne et préserver les
révoltés de Benghazi d'une répression sanglante. Après un mois de
bombardements, l'intervention militaire occidentale semble plutôt enlisée et
ses organisateurs en désaccord sur ses objectifs et ses moyens. Notre « chef
des armées » serait bien tenté d'aller plus loin. Mais l'opinion publique
française qui avait modérément soutenu les bombardements aériens (à 63 % selon
un sondage), risque bien de se retourner en cas d'invasion terrestre de la
Libye par des troupes françaises. Car un demi-siècle plus tard, la longue et
violente guerre d'Algérie hante encore les mémoires. Cinquante ans plus tard,
il apparaît toujours aussi peu compréhensible qu'un grand nombre de jeunes
officiers patriotes, qui avait pour beaucoup d'entre eux avaient participé à la
résistance, avaient retourné leurs armes contre la république en rêvant
d'instaurer une sorte d'état militaro-fasciste. Ce passé nourrit de sérieuses
préventions chez les Français pour toute opération militaire qui pourrait être
associée aux anciennes aventures coloniales. L'opinion publique fut très
modérément enthousiaste à l'engagement français à la guerre des Balkans dans
les années 1990 et refusa tout net que la France soit associée à la Guerre
contre l'Irak menée par Georges W. Bush. Ce que de Villepin et Jacques Chirac
avaient parfaitement compris. Très curieusement, David Petraeus, l'un des
principaux chefs militaires américains de cette guerre d'Irak qui n'en finit
pas, a remis à l'honneur le travail des théoriciens militaires français de la
guerre d'Algérie. Parmi les « centurions », s'illustrèrent en Indochine et en
Algérie, quelques théoriciens de la guerre « contre-révolutionnaire ». Le
général Pétraeus qui a dirigé l'Otan en Afghanistan s'est ouvertement inspiré
des travaux des colonels Trinquier et Lacherot, du capitaine Galula pour
construire sa propre théorie de la « guerre anti-subversive » en Irak, mélange,
parfois habile, de noyautage des populations, d'opérations de communication et
d'intoxication, de corruption, mêlé à des phases de répression abrupte.
Constatons que le résultat ne fut guère brillant ni pendant la guerre d'Algérie
ni lors de l'occupation de l'Irak par les troupes américaines, ni en
Afghanistan…
2012: Cinquantenaire
de l'indépendance de l'Algérie
L'an prochain sera célébré le cinquantenaire
de l'indépendance algérienne. Espérons qu'il sera fêté autant en Algérie qu'en
France, scellant ainsi une réconciliation définitive. Mais l'anniversaire est à
risque pour les relations franco-algériennes, tant le souvenir de la guerre qui
l'a précédée, reste très vif dans les deux pays. L'actuelle politique de
Sarkozy en matière d'immigration ou d'Islam est loin d'arranger les choses. Un
enlisement militaire occidental ou un dérapage de la guerre en Libye
compliquerait encore la donne. À l'inverse, une victoire de Kadhafi et
l'écrasement de la révolte libyenne affaibliraient le courant démocratique qui
traverse le monde arabe. Le président Abdelaziz Bouteflika a annoncé vendredi
15 avril au peuple algérien, plusieurs réformes politiques, qui comprennent la
révision de la Constitution, de la loi sur les partis politiques et du code
électoral ainsi que le code de l'information. Toute avancée salutaire mais dont
le contenu et le calendrier restent très imprécis. « Gloire et paix à nos valeureux
martyrs»: le président a conclu son intervention télévisuelle en rendant
hommage à ses frères d'armes morts au combat. Ceux-ci sont tombés pour
l'indépendance de leur pays mais certainement aussi pour l'avènement d'une
nation démocratique et égalitaire.
Faute de réformes ambitieuses dans ces deux
domaines, il serait peut-être tentant pour le pouvoir en place de faire jouer
la corde de « l'unité nationale » en se contentant de stigmatiser l'ancien
occupant colonial, aussi lourdes que furent ses fautes.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 21/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com