Publié le 29.05.2024 dans le Quotidien l’Expression
Comment les étudiants et les lycéens algériens en sont-ils venus le 19 mai 1956 à renoncer à une vie confortable et prometteuse pour s'engager dans l'aventure révolutionnaire dont ils n'étaient pas sûrs de sortir vivants? Près de 70 ans après cet évènement, la génération actuelle a-t-elle une idée du sens profond de cet engagement? Au-delà de la commémoration, il est utile d'interroger l'histoire pour comprendre de quelle façon l'ardeur patriotique s'était emparée de notre jeunesse. Celle-ci s'est d'abord nourrie des idées que le Mouvement national avait semées et qui formaient autant de sources de lumière dans les ténèbres de la nuit coloniale. Ces idées ont éclairé son chemin jusqu'à la levée d'un jour mythique, le 1er du mois de novembre 1954 où elle a réalisé que l'ordre colonial chancelait et qu'un monde nouveau était en train de surgir, fondé sur le principe du droit des peuples à l'autodétermination. Elle se redressa alors de toutes ses forces pour donner libre cours à son courage et à ses pensées de vie longtemps contractées dans le silence, la soumission et la mort.
Elle le fit dans un contexte où le vent de la décolonisation soufflait sur le monde et où le sang de la liberté recommençait à couler dans les veines de la nation qui n'hésita pas un seul instant à faire appel à ses enfants venus de tous les courants politiques, de toutes les opinions, de toutes les tranches d'âge et de toutes les couches sociales. Elle en appela à tous les patriotes animés par la volonté de servir le pays.
Parmi eux, beaucoup n'avaient que leur foi, leur courage physique et leur force de caractère, tandis que ceux qui avaient eu la chance de fréquenter les lycées et les universités disposaient, en plus, de la capacité de mobiliser les ressources de la pensée et du savoir. Dans leur écrasante majorité, ceux-ci répondirent à l'appel du devoir, en décidant le 19 mai 1956 d'une grève illimitée des cours et des examens qui s'étendra également à leurs homologues installés en métropole. Une telle décision donna une impulsion morale considérable à l'entreprise révolutionnaire. Elle signifie aussi l'engagement d'une élite nouvelle dans l'action et le reflux définitif des élites traditionnelles du siècle précédent qui, hormis l'émir Abdelkader, n'avaient pas su adapter leur mode opératoire aux nécessités nouvelles, c'est-à-dire organiser la société «indigène».
Une telle carence est imputable à une double cause: 1- «un manque de coordination» qui a entravé le «perfectionnement (des) instruments de travail, (la mise en place) d'un système de défense, d'institutions sociales, politiques, économiques et militaires» (M. Smati, 2012); 2- la réalité même de la «société indigène (où) l'élément intellectuel (est) devenu rare dans un pays totalement déstructuré, ses mécanismes bloqués, ses institutions supprimées, (et où) sa population menacée d'extermination (...) tombe en détresse» (Y. Turin, 1971). Une société réduite de fait au silence par la répression et où des esprits éclairés tels H. Khodja (1773-1842), Ibn Al-Annabi (1775-1851) ou encore Abdelkader (1808-1883) se sont heurtés fatalement au mur d'une indifférence indéniable. A partir des années 1850, la nouvelle élite se met en mouvement pour tenter d'endiguer le désastre moral qui battait son plein. Il s'agit, notamment du cheikh Tafayache (1818-1914); A. Medjaoui (1848-1913); A.Ben Smaia (1866-1933); M. Bencheneb (1869-1929); MK. El-Mili (1897-1945); M. T. Madani (1899-1983); Cheikh Bayyoud (1899-1981); M. Lacheraf (1917-2007)... Qualifiés de «réappropriateurs du patrimoine et de l'identité culturels» (Dj. Sari, 2010), ils ont su percevoir dans les convulsions de leur temps le signe annonciateur d'une explosion puissante d'énergies juvéniles longtemps contenues.
Ce sera celle de la Révolution du 1er Novembre 1954 dont les étudiants de juillet 1955 et de mai 1956 auront vite reconnu les idéaux et endossé les exigences. En effet, du 8 au 14 juillet 1955, «le militantisme va prendre le pas sur toute autre considération» (A. Taleb Ibrahimi, 2006). Au-delà de l'engagement individuel, l'heure est d'abord à l'organisation qui, seule, était de nature à garantir le succès de l'action. C'est en elle que chaque individu trouvera la force morale et la hardiesse du coeur qui le feront mouvoir dans le sens de son engagement. En l'occurrence, cette organisation verra le jour à Paris le 14 juillet 1955 à l'issue d'un congrès constitutif. Elle s'appellera UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens) qu'un groupe d'étudiants ont activement contribué à mettre sur pied. Il s'agirait de A. Cheriet; R. Malek; B. Abdesslam; A. Taleb Ibrahimi; M. Aït Chaalal; L. Yaker; A. Benhabylès; M. Belaouane; L. Khène; M. S. Benyahia (cf. M. B. Zeddour, Le Soir 7-1-2018). La création de l'UGEMA précéda celle de l'UGTA (24-2-1956) et ce, dans un climat de durcissement de la guerre et de politisation des grèves des commerçants (avril 1956), suivies aussitôt par celle des étudiants (19 mai 1956).
A l'heure où les forces coloniales se coalisaient et s'organisaient contre la marée montante de la décolonisation, notre jeunesse estudiantine vivait, pour sa part, au rythme de la Révolution annonciatrice d'une Algérie nouvelle qui soumettra ses enfants aux dures lois du devoir envers leur Etat et ses projets de développement.
Hachemi Djiar
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Posté Le : 30/05/2024
Posté par : rachids