Aux côtés de Catherine Salles, historienne spécialiste de l’Antiquité Romaine et auteure de "Et Rome brûla" (éditions Larousse), Patrice Gélinet revient sur l’une des plus célèbres manipulations des faits : Néron, soupçonné d'avoir incendié sa propre capitale pour pouvoir mieux la reconstruire.
Pendant la nuit du 18 au 19 juillet 64, dans les entrepôts du Grand cirque de Rome, commençaient un des plus grands incendies de l'histoire. Attisées par des vents violents, les flammes allaient détruire en neuf jours les trois quarts de la capitale de l'Empire romain et faire vaciller un des règnes les plus sanglants de l'Antiquité, celui de Néron, dont la brutalité avait égalé celle de ses trois prédécesseurs, Tibère, Caligula et Claude. Après avoir empoisonné son demi-frère Britannicus et assassiné sa femme Octavie et sa mère Agrippine, il fut soupçonné même d'avoir incendié sa propre capitale pour pouvoir mieux la reconstruire.
Patrice Gélinet : Rome était à l'époque la ville la plus peuplée de l'Antiquité, environ un million d'habitants...
Catherine Salles : On dit même plus, peut-être deux millions. Les gens étaient tellement entassés les uns sur les autres que probablement ça dépassait le million, ce qui, pour l'Antiquité, est considérable. Il existait des maisons qui allaient jusqu'à cinq étages, ce qu'on appelait les insulae, c'est-à-dire les îlots, des petits appartements qui étaient loués à des gens très pauvres parce qu'ils louaient une pièce généralement. Mais il y avait cinq étages, ce qui explique que l'incendie va être effectivement très meurtrier. C'était construit avec du bois, avec du pisé. Tout pouvait prendre feu. Il n'y avait pas de provisions d'eau dans les maisons. Il fallait aller à la fontaine la plus proche, donc les pompiers n'ont pas eu l'eau nécessaire pour éteindre l'incendie.
À l'époque de cet incendie, Néron était empereur depuis déjà dix ans. Il était devenu empereur en 54, il avait 17 ans à l'époque. Un empereur à la fois cruel, brutal, mais qui se prenait aussi pour un artiste.
C'était vraiment un artiste. C'est-à-dire que pour lui, le monde pouvait être sauvé par la beauté et non pas par les armées comme les Romains le disaient. Et c'est vrai que petit à petit, au fur et à mesure qu'il grandit, qu'il atteint l'âge adulte, il va donner une énorme importance à tous les arts. Lui-même, d'ailleurs va chanter, jouer au théâtre, jouer de la musique, c'était un artiste assez accompli.
Il était certainement brutal et cruel. Mais surtout, il a eu toujours peur. C'était un homme qui était en panique perpétuelle. Et quand la panique devenait trop importante, il n'y avait qu'une solution : tuer la personne qui causait la panique. Et c'est certainement ce qui s'est passé avec sa mère.
Le peuple romain aimait beaucoup Néron. Pourquoi ? Parce que Néron avait les mêmes goûts que le peuple. Il aimait les spectacles. Il aimait les combats de gladiateurs, il aimait les courses de chars et les théâtres, et il se montrait toujours dans ses spectacles. Et le peuple romain était ravi d'avoir un empereur qui a partagé ses goûts. Ce qui n'avait pas été, par exemple, le cas de Tibère qui, lui, était détesté du peuple romain.
En 64 se déclenche cet incendie. C'était dans la nuit du 18 au 19 juillet 64. D'abord, il faut savoir que ça s'est déroulé en plein été, et il y avait une chaleur caniculaire...
Une chaleur caniculaire et un vent épouvantable comme il peut y avoir sur Rome. Et donc cet incendie qui probablement, s'est déclaré près du grand cirque, dans les entrepôts. Parce que là où un brasero d'un marchand du feu qui faisait sa petite nourriture, on ne sait pas très bien et le vent a transporté les flammes. Et petit à petit, ça a gagné le centre de Rome, tout le centre de Rome a été gagné. Il y avait des incendies tous les ans à Rome, mais il y en aura un autre très violent, sous l'empereur Commode quelques années après. Mais enfin, on n'accusera pas Commode d'avoir mis le feu.
Là, en revanche, on a accusé ou soupçonné Néron d'en avoir été l'auteur.
Ce n'est pas le peuple romain qui a accusé Néron d'en être l'auteur, c'est la noblesse romaine, la noblesse romaine détestait Néron, parce que Néron accordait beaucoup plus d'intérêt pour le peuple, pour les distractions populaires et par conséquent, elle va faire des fake news, quoi. On va dire que Néron, on l'a vu allumer le feu. Il n'était même pas là à Rome au moins du début de l'incendie. Il était à Antium à 50 km. Le temps qu'on le prévienne et qu'il revienne, il a fallu plus d'un jour et demi. D'autre part, on peut considérer que c'est lui qui a le plus souffert, en tout cas matériellement, de cet incendie. Parce que tous les endroits où il y avait ses collections extraordinaires d'objets qu'il a fait venir de Grèce, d'Asie mineure, tout a brûlé, il a perdu toutes ses oeuvres d'art, ses tableaux et statues. Tout cela s'est passé dans l'incendie.
Il a vu comment l'incendie s'est propagé vers le nord et il a demandé aux soldats et aux pompiers de faire tomber toutes les maisons qui étaient là, de les détruire et détruire et de laisser un vaste espace libre. Parce que je dira dans cet espace, le feu va mourir. Et bien entendu, on a dit que c'était parce qu'il voulait récupérer cet espace.
Et donc, c'est ce qui a fait naître cette rumeur, justement, que Néron avait fait incendier sa ville pour en construire une nouvelle. Néron a trouvé un bouc émissaire idéal : les chrétiens. Ce qui permettait de détourner les soupçons qui pesaient sur lui que représentaient les chrétiens à l'époque. Pourquoi a t il choisi les chrétiens pour les accusés d'avoir incendié Rome ?
Ils sont très peu nombreux à Rome. C'est la première fois que dans les textes latins, on fait une différence entre les juifs et les chrétiens parce que jusque là, c'étaient des dissidents du judaïsme et qui vivaient dans les communautés juives. Et là, c'était facile de les accuser, non pas d'avoir mis le feu. On ne les a pas accusés d'avoir mis le feu. On les a accusé, en fait, de n'avoir pas honoré les dieux de la patrie et par conséquent, d'avoir provoqué la colère des dieux qui ont envoyé cet incendie. On n'a pas dit que les chrétiens avaient une torche à la main pour mettre le feu. Non : ils ont, par leur impiété, provoqué la colère divine.
Tableau :"L'incendie de Rome", huile sur toile d'Hubert Rober, actuellement exposé au Musée d'art moderne André Malraux, Le Havre. (PICTURES FROM HISTORY / UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL / GETTY IMAGES)
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Posté Le : 06/03/2022
Posté par : imekhlef
Ecrit par : rachid imekhlef
Source : francetvinfo.fr "Radio France "