Algérie

15 ans de destruction, ça suffit !



Par : Ramdane Youssef Tazibt
Ex-député du PT
Dans le cadre de ce type d'accord multilatéral, ce sont les points de vue des multinationales et des puissances qui sont imposés.Sans la moindre exagération, il s'agit d'une question de vie ou de mort pour la nation algérienne."
L'accord d'association qui lie notre pays à l'Union européenne, signé à Barcelone en 2002 et entériné par un vote majoritaire par le parlement en mars 2005, est tout sauf un accord de "coopération" (1). Peut-on parler d'"accord" qui rapporte que pertes et dégâts non seulement à l'économie nationale mais aussi à la souveraineté nationale '
En effet, depuis que l'accord est entré en vigueur le 1er septembre 2005, l'Algérie a comptabilisé des pertes abyssales. Des institutions de l'Etat algérien chiffrent les pertes en recettes douanières, en raison du démantèlement des barrières douanières et des taxes à effets équivalents, à 2 milliards de dollars par an.
Que dire des centaines de milliers d'emplois perdus en raison des milliers d'entreprises et d'exploitations agricoles qui ont dû mettre la clé sous le paillasson sous les coups de boutoir de la "concurrence" déloyale des produits en provenance des pays de l'UE. Des produits d'ailleurs souvent issus de pays asiatiques. Selon un document officiel des Affaires étrangères algériennes, quarante produits industriels algériens ont disparu après seulement trois ans de mise en œuvre de l'accord d'association qui a prévu la mise en place d'une zone de libre-échange entre l'Algérie et l'UE dès le 1er septembre 2020.
À partir de cette date, tous les produits importés des pays de l'UE seront exemptés de toute taxe à l'entrée sur le marché national. En d'autres termes, des importations seront taxées à 00 DA.C'est une guerre mortelle contre la production nationale, publique et privée, et à l'ensemble des services publics. En dernière analyse, c'est la nation algérienne qui risque de voir ses bases matérielles détruites. Aucun expert patriote ni responsable politique ne peut défendre le bilan calamiteux de l'accord d'association.
Toutes les données montrent clairement que la seule solution conforme aux intérêts de la nation réside dans la dénonciation pure et simple de cet accord qui a été conçu pour la mainmise des multinationales sur un marché de 40 millions de consommateurs avec l'objectif déclaré de faire des trois pays de l'Afrique du Nord (Algérie - Maroc - Tunisie) une grande zone de libre-échange pour les produits d'importation (100 millions de consommateurs).
L'exemption totale des droits de douane et taxes d'effets équivalents, prévue pour le 1er septembre 2020, va accentuer la pression pour une politique d'importation plus agressive par les importateurs algériens, les exportateurs à partir des pays de l'UE afin de profiter au maximum de la disparition de toutes les barrières douanières. Le pays sera transformé en un vulgaire comptoir pour les marchandises en provenance du monde entier qui transiteront (transbordage) par les ports du nord de la Méditerranée.
La maigre manne financière issue de l'exportation des hydrocarbures (environ 40 milliards de dollars de réserves de change) sera rapidement siphonnée dans le commerce extérieur où sévit une politique maffieuse de surfacturation, évaluée à 1/3 des importations selon des déclarations publiques de différents responsables dont plusieurs ex-ministres algériens du Commerce. Pour rafraîchir la mémoire de tous ceux qui ont approuvé cet accord basé sur la domination des pays de l'UE, il suffit de rappeler l'énoncé de quelques articles : l'article 20 dudit accord stipule clairement l'interdiction de tout soutien ou protection de la production nationale.
Est prohibée "toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination entre les produits de l'une des deux parties (UE/ Algérie)". Alors que l'Algérie n'a pas encore adhéré à l'OMC (Organisation mondiale du commerce), l'UE a imposé l'article 23 qui oblige le pays à endosser "l'accord de l'OMC sur les subventions et les mesures compensatoires". Aucune marge de manœuvre n'est laissée aux autorités algériennes pour avoir des relations bilatérales avec des pays amis, au risque de les généraliser à tous les pays de l'UE.
L'article 32 prévoit que l'Algérie "réserve à l'établissement sur son territoire un traitement non moins favorable que celui accordé aux sociétés de pays tiers". Pour se convaincre du caractère destructeur et du ligotage des mains et pieds des autorités algériennes qui acceptent de continuer à mettre en œuvre un tel accord, citons l'article 41 qui interdit toute attitude ou décision "susceptible d'affecter les échanges entre l'UE et l'Algérie". Aucun secteur n'est épargné par l'AA qui incite ouvertement à la privatisation/libéralisation de tous les secteurs et au libre accès des multinationales aux juteux marchés publics.
Ainsi, l'article 46 incite à "préparer les entreprises énergétiques et les mines (Sonelgaz, Sonatrach, Enor... NDLR) aux exigences de l'économie de marché et faire face à la concurrence". C'est ce qu'a tenté de faire l'ex-ministre de l'Energie, le fuyard Chakib Khelil, avec sa loi sur les hydrocarbures, adoptée à l'APN la même année de l'entrée en vigueur de l'AA avant qu'elle ne soit retirée un an plus tard...
Malheureusement, cette loi a été réintroduite et adoptée par le parlement à la veille de l'élection présidentielle du 12/12/2019. L'article 46 évoque clairement la "libéralisation réciproque (sic !) des marchés publics". Même les lois nationales sont sommées de se conformer avec celles des pays de l'UE. L'article 56 indique clairement la nécessité de "rapprochement des législations". Les responsables de l'UE et différents gouvernements de pays européens, en bons défenseurs des intérêts des multinationales, crient à l'infraction aux règles de l'accord d'association, protestent et convoquent le Conseil d'association pour régler les litiges à chaque fois qu'une mesurette protectionniste est prise du côté algérien.
La composition dudit conseil à elle seule explique la nature dominant/dominé de cet accord. Comme le définit l'article 83, "le Conseil de l'association est composé d'un côté par les membres du Conseil de l'UE et de la commission des communautés européennes et d'autre part par les représentants de l'Algérie". D'un côté, 27 pays membres dont des pays très industrialisés et détenant la technologie, à l'image de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, de l'Espagne, etc., et d'un autre côté l'Algérie, un pays qui a arraché son indépendance nationale il y a seulement 58 ans et qui dispose d'une industrie naissante, d'un secteur agricole aux capacités modestes.
En d'autres termes, l'Algérie, ce pays arriéré économiquement, sommé de lever toutes les mesures de protection pour livrer le pays entier à la "concurrence" forcément déloyale. Pour tous ceux et celles qui sont attachés à la souveraineté nationale et aux intérêts de l'immense majorité du peuple algérien, le salut réside dans le retrait pur et simple de notre pays des griffes des pays de l'UE et privilégier les relations bilatérales avec chaque pays en tenant compte des intérêts mutuels.
Dans le cadre de ce type d'accord multilatéral, ce sont les points de vue des multinationales et des puissances qui sont imposés. Sans la moindre exagération, il s'agit d'une question de vie ou de mort pour la nation algérienne. Contrairement à ceux qui prétendent qu'il est impossible de retirer le pays de ce traquenard, l'article 107 de l'accord d'association apporte un démenti puisqu'il prévoit que "chacune des deux parties peut dénoncer l'Accord d'association (...) qui cesse d'être applicable six mois après cette notification".
Seul un gouvernement s'appuyant sur la légitimité populaire et désirant rompre avec toutes les politiques de subordination aux grandes puissances est capable de prendre une telle mesure qui va dans le sens général de la volonté populaire d'exercer sa souveraineté sur l'ensemble des richesses nationales.
Des chiffres qui finiront par réduire à néant tout le potentiel socioéconomique national
Depuis l'entrée en vigueur de l'accord d'association, le déséquilibre commercial entre les deux parties n'a pas cessé de se creuser. De 8 milliards d'importations par an de produits et services en provenance de l'UE en 2005, cette facture tourne en moyenne autour de 20 milliards de dollars ces dernières années. Le démantèlement tarifaire a fait perdre dès la première année (2005) à l'Algérie 700 millions d'euros pour atteindre en 2019 deux milliards d'euros. Un document du Sénat français portant le numéro 689 paru en 2017, faisant le bilan de 10 ans de mise en œuvre de l'accord d'association (2005 ? 2015) et citant l'Agence nationale de promotion du commerce extérieur (Algex), a évalué l'ensemble des importations des pays de l'UE pour cette période à 195 milliards de dollars et les exportations algériennes hors hydrocarbures à 12,3 milliards de dollars. C'est-à-dire, pour chaque dollar exporté hors hydrocarbures l'Algérie a importé pour 15,6 dollars. Le document du Sénat français qui parle de "dégradation de la balance commerciale" précise que 99,7% des exportations de l'Algérie vers l'UE en 2015 sont constitués de l'énergie et dérivés du pétrole.
Et l'UE use et abuse de l'arme de normes pour refouler les produits made in Algeria (dattes, huile d'olive, pâtes alimentaires, produits agricoles...). Il n'y a aucune chance pour que notre pays puisse résister longtemps au cataclysme que constitue l'accord d'association. Analysant le rapport des forces entre l'Algérie et l'Union européenne et leur interdépendance, le professeur Kheladi Mokhtar de l'université de Béjaïa a établi que l'Algérie représentait moins de 1% du commerce extérieur de l'Union européenne en 2008, alors que cette dernière représentait 55% du commerce extérieur de notre pays. Evoquant l'importance de l'inégalité des "forces" entre les deux partenaires, le professeur a évalué le produit national brut de l'UE à 100 fois plus élevé que celui de l'Algérie. C'est le pot de fer contre le pot de terre.
Avec l'entrée en vigueur de la zone de libre-échange, la tendance haussière des importations en provenance de l'UE est confirmée par les statistiques douanières du commerce extérieur pour l'année 2019. L'assèchement des réserves de change, la destruction du patrimoine industriel, l'énorme difficulté à trouver les ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins pressants de la population (santé, école, accès à l'eau, etc.), la faillite des entreprises, les pertes d'emplois... ne sont pas une vue de l'esprit, comme le montrent les signes d'extrême détresse économique et sociale qui frappe tout le pays.
Les revendications à caractère social, la misère qui gagne du terrain partout, les grèves et mobilisation des travailleurs et de la population laborieuse se heurtent au système en place qui a longtemps mis en œuvre des politiques favorables aux multinationales et leurs complices nationaux (l'oligarchie). Les chiffres révélés dans les quelques affaires passées en justice donnent du vertige. L'homme d'affaires Ali Haddad qui a "réalisé" plusieurs projets avec des multinationales a bénéficié à lui seul de crédits bancaires (publics) évalués à 18 milliards de dollars. Le déficit de la balance du commerce extérieur évalué à ? 6,11 milliards de dollars en 2019, 41,93 milliards de dollars d'importation contre 35,82 milliards de dollars en 2018.
Malgré les mesures de surtaxations de quelques centaines de produits importés de l'UE, la facture de l'importation du Vieux continent est restée élevée (18,56 milliards de dollars). Ces quelques chiffres globaux montrent clairement que non seulement le pays est saigné par une politique d'import-import, mais qu'il se dirige tout droit vers l'abîme. Ce qui nécessite de rompre tout lien de subordination avec cet accord et mobiliser l'ensemble des richesses du pays pour satisfaire toutes les aspirations de la majorité du peuple.

(1) Le groupe parlementaire du PT a été le seul à avoir voté contre.


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