Encore un de ces massacres occulté. Encore un de ces crimes impunis. Encore un trou de mémoire équitablement partagé entre l'Algérie et la France. Ce n'est pas le seul. Mais celui-là, c'est un gros trou de mémoire ! Nous sommes en 1953. Le MTLD est en crise. La scission entre messalistes et centralistes couve. Le FLN n'est pas encore né, et la fracture du mouvement nationaliste pas encore opérée.Nous sommes donc le 14 juillet 1953. Comme de coutume en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, chaque 14 juillet, la gauche syndicale et politique organise à Paris, notamment le PCF et la CGT, un défilé qui part de la place de la Bastille et qui arrive place de la Nation. Il s'agissait de célébrer la Fête nationale française, anniversaire de la prise de la Bastille, mais qui fut, comme l'écrit L'Humanité, « longtemps un rendez-vous incontournable du mouvement ouvrier, l'occasion d'un défilé populaire et combatif ».
Que s'est-il donc passé ce 14 juillet 1953, à 17h, place de la Nation à Paris ' Depuis le début des années 1950, nos compatriotes émigrés du MTLD défilaient, eux aussi, en rangs compacts dans le cortège avec l'accord des organisateurs. Portrait de Messali Hadj et banderoles flottaient aux cris de la revendication de la liberté pour le leader nationaliste emprisonné à Niort. La fille de Messali, venue d'Algérie pour porter des effets personnels à son père captif, est invitée à prendre la tête du carré du PPA, situé en queue de cortège. La manifestation d'hommes en costume encadrée par un service d'ordre ouvrier est digne et pacifique, comme en témoignent les images d'archives retrouvées par Daniel Kuperstein qui a réalisé un documentaire poignant sur cette journée funeste.
Avant que le cortège ne commence à se disperser vers 17 heures à la place de la Nation, aucun accrochage avec les forces de l'ordre n'avait été signalé. Seul bémol, des manifestants molestés par des parachutistes de retour d'Indochine, une bagarre qui tourna à l'avantage des Algériens. Puis, de façon subite et imprévisible, le drame éclata. Des coups de feu furent tirés par des policiers sans que, selon les dires de la préfecture de police, l'ordre en ait été donné. 7 morts, six Algériens et un cadre français CGT, et une quarantaine de blessés par balles recensés, chiffres sans doute sous-estimés, beaucoup d'Algériens ayant renoncé à se rendre dans les hôpitaux de peur d'être arrêtés. Sur les lieux, plusieurs centaines de douilles ont été comptées. La police maquillera toute l'affaire, tronquant les données. Elle reconnaîtra quelque neuf douilles, alors qu'un seul des policiers retrouvé par Daniel Kuperstein se souvient qu'il n'en restait qu'une dans son chargeur de dix balles.
C'était la première fois depuis 1937 que des policiers faisaient feu sur des manifestants causant mort d'hommes. Une tuerie politique visant clairement des Algériens membres du MTLD. À ce jour, les circonstances exactes de la répression ne sont toujours pas connues. Les commentaires sur ce drame tenus dans les jours suivant la tuerie laissent penser, selon un policier, qu'il s'agit bien de crimes racistes visant des Algériens. Un commissaire de police parisien, soutient un témoignage, révèle la façon dont étaient perçus les manifestants algériens par certains policiers : « Des hommes frustres, illettrés, primitifs .»
Pour justifier la violence policière, les forces de l'ordre privilégièrent « l'interprétation émeutière délibérée » provoquant la légitime défense. Mais l'usage des armes à feu n'était pas réciproque, d'un côté les balles, de l'autre des manches de banderoles.
Aucune sanction ne fut prise contre les policiers, leur laissant implicitement le champ libre pour régler par la violence le « problème nord-africain ». L'historien Emmanuel Blanchard estime que cette forme de répression était courante dans l'Empire colonial français. Tant en Tunisie qu'au Maroc, les manifestations politiques et syndicales donnaient l'occasion aux forces de l'ordre de faire feu sur la population. Les tueries du 14 juillet 1953 ne sont qu'un épisode d'une longue séquence de répression policière (17 Octobre 61, février 62 Charonne, etc.).
Il faudra attendre 2017 pour qu'une plaque commémorative soit apposée place de la Nation à Paris à la mémoire des victimes de la répression par la police française.
Les victimes du massacre étaient âgées de 20 à 31 ans : Abdallah Bacha, Larbi Daoui, Abdelkader Draris, Moh Illoul, Maurice Lurot, Tahar Medjene, Ameur Tadjadit.
Cet épisode sanglant subi par l'émigration algérienne mobilisée pour l'indépendance du pays a été enfoui dans l'oubli des deux côtés de la Méditerranée. Les noms de ces martyrs sortent enfin relativement de l'amnésie en 2017 lorsque des élus communistes parisiens apposent une plaque sur les lieux du drame.
L'administration française finira par étouffer l'affaire. Même la mémoire militante sera touchée par l'érosion de l'oubli. Mais le documentaire minutieux et le livre de Daniel Kuperstein ont exhumé cette affaire. Si on peut comprendre que la France efface ce crime d'Etat qui entache la police, il n'est pas compréhensible qu'en Algérie ne soient pas considérés comme des martyrs ces hommes qui ont donné leur vie pour l'indépendance du pays.
A. T.
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Posté Le : 18/07/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Arezki Metref
Source : www.lesoirdalgerie.com