Algérie

14 août 1844 – 14 août 2008 - Il y a 164 ans, la bataille d’Isly



Le scellement de la conquête de l’Algérie (Deuxième partie et fin) Ce n’est qu’en faisant une analyse rigoureuse des tenants et aboutissants de l’évènement, de ses regrettables retombées sur le devenir du Maghreb qu’on peut parler, quelque peu éhonté, de la bataille d’Isly. 3. Intervention de l’Emir Lorsque la nouvelle de la confrontation imminente entre les troupes du Sultan avec le corps d’armée de Bugeaud fut connue, l’Algérie comme le Maroc oriental n’attendaient que la consécration de la victoire marocaine pour s’embraser dans un élan général. L’Emir prit le parti de se battre aux côtés de ses frères comme le lui commandait les textes sacrés qui ont toujours déterminé sa démarche. Avec 500 de ses cavaliers rouges, il rejoignit les troupes marocaines stationnées sur l’une des rives de l’oued Isly. Le spectacle qui relevait davantage de l’activité festive plutôt que d’un camp de guerre le glaça au point où il perdit son sang froid. Dans son autobiographie (4), il parle de 70.000 soldats marocains. Il demanda à voir le Prince héritier qui le reçut. Ahmed En-Naciri (5), qui parle, dans son livre, de l’Emir avec des propos très durs où percent, malgré lui, des passages qui sont tout à l’honneur de l’Algérien, raconte: «L’Emir dit au Prince: tout ce faste que vous étalez à la barbe de votre ennemi ne revêt rien d’intelligent. N’oubliez pas que vous allez le rencontrer alourdis, recroquevillés et il ne vous restera aucune tente plantée, car tant que l’ennemi en verra, il n’aura de cesse que lorsqu’il y parviendra dusse-t-il sacrifier totalement ses troupes puis il expliqua comment lui le combattait». En – Naciri ajoute que « ce que dit l’Emir était juste mais, dans la suite du Prince, on considéra le ton utilisé vexant ». Dans son autobiographie l’Emir note: «Quand nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient refusé notre participation au Djihad, nous nous sommes dit qu’ils étaient sûrs d’eux-mêmes et que nous en étions légalement exemptés.» (4 - page 101). Selon Léon Roches, l’Emir dit aux responsables marocains: «Gardez-vous… de trop approcher votre camp de celui des Français. Quand vous voudrez les combattre, n’amenez avec vous ni artillerie, ni infanterie. Attaquez-les à l’improviste et de tous les côtés à la fois afin de disséminer leurs forces. Fuyez devant leur cavalerie de façon à l’attirer dans des embuscades que vous aurez préparées.» Pour le narrateur, «ce sont là des propositions et de sages avis du guerrier… mais le fils de l’Empereur lui avait fait répondre qu’il n’avait nul besoin de son aide et lui avait fait intimer l’ordre de se maintenir à distance». 4. Préparatifs de la bataille. Bugeaud, convaincu que les tribus de l’Est marocain ainsi que celles d’Algérie ne bougeraient pas avant de connaître l’issue de la bataille, avait les coudées franches pour affronter l’armée qui était stationnée à 20 km de la sienne. Ses arrières étaient protégés. Léon Roches, qui avait été son collaborateur direct de novembre 1839 au 14 février 1846, raconte dans son livre que son état-major était sceptique quant à l’entreprise qui allait être engagée. Or, le lundi 12 août, il reçut une dépêche l’informant que le Prince de Joinville avait bombardé Tanger le 5 août et faisait route vers Mogador (l’actuelle Es Saouira). Le même jour, il réunit ses hommes et leur déclara: «Après-demain, mes amis,… sera une grande journée, je vous en donne ma parole. Avec notre petite armée dont l’effectif s’élève à 6.500 baïonnettes et 1.500 chevaux, je vais attaquer l’armée du Prince marocain qui, d’après mes renseignements, s’élève à 60.000 cavaliers. Je voudrais que ce nombre fût double, fût triple, car plus il y en aura, plus leur désordre et leur désastre seront grands. Moi, j’ai une armée, lui n’a qu’une cohue. Je vais vous expliquer mon ordre d’attaque. Je donne à mon armée la forme d’une hure (tête) de sanglier… La défense de droite, c’est Lamoricière; la défense de gauche, c’est Bedeau; le museau, c’est Pélissier et moi je suis entre les deux oreilles. Qui pourra arrêter notre force de pénétration?... Nous entrerons dans l’armée comme un couteau dans du beurre. Je n’ai qu’une crainte, c’est que, prévoyant une défaite, elle ne se dérobe à nos coups.» 5. Déroulement de la bataille   Elle eut lieu le mercredi 29 Rajeb 1260 / 14 août 1844. A 6h00 du matin, les 8.000 hommes -11.500 selon d’autres sources- étaient au sommet d’une colline surplombant Oued Isly et, sur l’autre rive, l’armée marocaine conduite par le Prince héritier Sidi Mohamed (le futur Mohamed IV). Le périmètre recouvert par les tentes équivalait, selon Roches, à celui de Paris!! 14 canons étaient pointés du côté marocain, 13 du côté français. A l’approche des tentes, Bugeaud lance les 1.500 cavaliers dont il disposait qui s’emparèrent des 14 pièces d’artillerie. En quatre heures, le sort de la bataille était scellé. En-Naciri écrit: «La catastrophe fut si grande que jamais l’Etat chérifien n’a été secoué par un choc aussi terrible» (5). 1.200 à 1.500 soldats marocains furent tués, 1.000 tentes enlevées, toute l’artillerie prise ainsi qu’un butin immense contre 250 soldats français entre tués et blessés. Quant à l’historien Ibrahim Harkat, il parle de 800 morts marocains et 1.500 à 2.000 blessés. Il parle également de l’intervention de l’Emir mais impute la défaite marocaine à la supériorité technologique et numérique de l’artillerie française –exagérant leur nombre pour le porter à 64 canons– et, quelques lignes plus loin, il reprend le bombardement d’Es–Saouira et la prise de la marine française de 120 canons dont la plupart était de fabrications anglaise et espagnole. (6). Ainsi donc les artilleries présentes sur le champ de bataille étaient quasiment équivalentes et les raisons de la défaite sont à chercher ailleurs: Mohamed Zniber impute, lui, la défaite à la mauvaise organisation de l’armée et à son mauvais encadrement. D’après En-Naciri, au moment de l’ouverture des hostilités, les Français reconnurent la position du Prince héritier grâce à son porteur de parasol. Celui-ci fut touché par un obus et le Prince fut lui-même désarçonné. Il courut à sa tente, mit des vêtements ordinaires et disparut au milieu de ses hommes. Ne le voyant plus, ils annoncèrent sa mort qui fit précipiter dans sa tente tous ceux appâtés par ses biens, pillant et même s’entretuant. Bugeaud n’avait plus qu’à terminer la besogne. A midi, dans la tente du Prince, il se fit servir un thé agrémenté de gâteaux laissés par son malheureux ennemi. Depuis ce jour, l’Emir ne désigna plus le Prince que par l’expression «العقون المخلوع» «l’imbécile orgueilleux». 6. Epilogue S’étant enfui à Taza, son père lui intima l’ordre d’arrêter l’avancée de Bugeaud (qui a fait courir le bruit qu’il allait se lancer à sa poursuite) en souscrivant aux propositions qui lui avaient été faites avant la guerre. Le 10 septembre 1844 fut signé un traité de paix avec le sultan Moulay Abderrahmane. Sur les huit articles qu’il contenait, le quatrième mettait l’Emir hors-la-loi au Maroc et en Algérie. Avant de conclure, nous informons les lecteurs qu’en juin 1847, le Sultan chargea un de ses chefs militaires, Hicham Lahmar, avec 9.000 hommes de capturer l’Emir qui se trouvait dans le Rif. Malgré moult tentatives de convaincre Lahmar de ses bonnes intentions, l’Emir décida de prendre l’initiative: il se rendit, avec 200 de ses cavaliers rouges au camp militaire marocain. A un contre 45, les Algériens écrasèrent leurs malheureux adversaires. Hicham Lahmar fut tué au cours de la bataille. L’Emir interdit à ses hommes toute prise de butin, soigna leurs blessés et fit raccompagner tous les survivants jusqu’aux portes de Fès. Ce fait d’armes souleva l’indignation générale à travers tout le Maroc, mettant Moulay Abderrahmane dans une position inconfortable. Charles André Julien rapporte dans son Histoire de l’Algérie contemporaine que «Abderrahmane estimait, en 1847, que l’échec qu’avait subi un corps de troupe marocain dans le Rif, sous les coups d’Abd-El-Kader qui se trouvait dans le Rif, était plus grave que l’affaire des Chrétiens à Oujda.»!!   Mohamed-Senni Zeddour-Mohamed-Brahim Ingénieur Sources : 4/ Autobiographie de l’Emir. Editée en fac-similé. Introduction du professeur Abdelmadjid Meziane. 5/ Kitab El Istikça. Chroniques marocaines. Ahmed En-Naciri. Version arabe. 9 volumes. Edition de Dar el Kitab.1954. Casablanca. 6/ Le Maroc à travers l’Histoire. (3 volumes) Ibrahim Harkat. Edition Dar Er Rachad Al Haditha. 2002. Casablanca.


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