Le scellement de la conquête de lAlgérie
(première partie)
Ce nest quen faisant une analyse rigoureuse des tenants et aboutissants de lévènement, de ses regrettables retombées sur le devenir du Maghreb quon peut parler, quelque peu éhonté, de la bataille dIsly.
Nous rappellerons tout dabord que lAlgérie, à travers lhomme qui la fondée, et sur son initiative qui relevait de limpératif religieux et du devoir de solidarité, aurait pu éviter non seulement sa propre colonisation mais également celle de son grand voisin qui, lui, en connaîtra une double: espagnole pour le Nord et française pour le Sud. Mais lEmir sétait heurté à un mur de préjugés collés à une autosuffisance qui allait savérer désastreuse. Ce pan de lhistoire commune, bien délaissé par les historiens algériens, a été largement repris, souvent sous des formes discutables, par leurs confrères marocains. Curieusement, seul lEmir Abd-El-Kader en parle avec un profond dépit dans son autobiographie. Nous donnerons plus loin lappréciation ahurissante du Sultan Moulay Abderrahmane sur la déroute de son armée et son fils fuyant devant lennemi.Mais, dune manière générale, bien que voulant faire retomber la responsabilité de leur débâcle sur leur seul voisin -quils auraient pourtant bien souhaité voir faire partie de leur pays-, il se trouve, parmi les historiens marocains, certains qui estiment que le résultat de la confrontation les a servis (1) pendant que dautres se fourvoient en conjectures oiseuses! Nous navons nullement lintention de faire procès à quiconque et, si loccasion nous sera donnée de juger, nous ne nous permettrons jamais de condamner car nous estimons que cet évènement nous concerne tous tant les liens qui unissent les deux peuples ont une particularité telle quil ne peut y avoir de semblable à travers la planète.
Sil fallait anticiper par une appréciation sur ce malheureux évènement, nous estimons que le Maroc avait souffert des carences de ses dirigeants dalors. Ceux quil fallait au moment où il le fallait lui ont fait cruellement défaut dans le tournant décisif quil abordait. Enfin, rappelons que cette bataille eut lieu à une quinzaine de kilomètres au nord-est dOujda sur lOued Isly, sous affluent de la Tafna par lOued Mouilah.
1. Brefs rappels
Lorsque lEmir Abd-El-Kader engagea la résistance face aux Français, les tribus du Maroc oriental lui apportèrent un soutien inconditionnel (combattants, logistique, encouragements..) qui inquiétait le Sultan Moulay Abderrahmane Ben Hicham et irritait la France. Celle-ci fit tout ce qui était en son pouvoir pour quil fasse cesser tout soutien à lEmir par ses populations. Lécho de sa résistance était tel quà travers tout le Maroc, toutes ses victoires étaient fastueusement fêtées. Ses origines idrissides ravivaient, quant à elles, de vieux antagonismes. Le Sultan, soucieux dabord de lintérêt dynastique, sacrifia la solidarité en Dieu et fut ainsi acculé à tergiverser pour gagner le plus de temps possible et éviter de tenter une action qui provoquerait lire de son peuple. LEmir nignorait rien de lapathie et de la prudence maladive du Sultan qui, selon Léon Roches (2), la fait habiller, le 3 juillet 1839, par un de ses envoyés, du caftan faisant de lui le Khalifat du Sultan, ce qui confirmait, en même temps, ladhésion de ce dernier à son combat auquel, il faut le dire tout de suite, il ne participera jamais si ce nest pour accomplir la sale besogne à la place des Français essentiellement en décembre 1847. Son irrésolution dans la conduite des affaires, sa prudence excessive et sa versatilité, prouvées par une longue série dexemples, étaient parfaitement connues de lennemi commun qui ne rata aucune occasion pour le battre sur le double plan militaire et diplomatique et lui fit faire, à son insu, tout ce qui servait lintérêt de la France. Lhistorien marocain Mohamed Zniber (2) ira jusquà reconnaître la faiblesse du pouvoir et sa mauvaise organisation. Quand le Duc dAumale, fils du Roi des Français, informé par les traîtres Ouled Ayad sur lemplacement de la Smala de lEmir, parvint à sen emparer le 16 mai 1843, les rescapés se dispersèrent selon leurs régions dorigine. LEmir se retrouva avec une Deïra de quelque 2.000 âmes, quil parvint, au bout de durs combats, à faire entrer en territoire marocain pour linstaller, dans un premier temps à Aïoun Sidi Mellouk, à environ 60 km à louest dOujda sur la route de Fès, et, dans un deuxième temps à Aïn Zora dans le Rif.
Il est opportun de rappeler que depuis lavènement de la dynastie alaouite avec Moulay Chérif Ben Ali, en 1631, les Sultans du Maroc lorgnèrent toujours du côté des territoires au-delà de leur frontière orientale. Moulay Chérif céda aux arguments de deux ulémas dAlger délégués par les Turcs et abandonna ses prétentions. Moulay Smaïl qui gouverna de 1672 à 1727 (soit 55 ans) fut écrasé, lui, par le Bey Bouchelaghem de Mascara, en 1707, tout près de la Mare deau, à quelques kilomètres du Sig donnant son nom à la forêt où il fut battu. Un poème de Cheïkh Bouras de Mascara retrace cet évènement. Ce même Cheïkh, environ un siècle plus tard, eut cet entretien avec Moulay Slimane -oncle paternel de Moulay Abderrahmane- qui régna de 1792 à 1820: «LEmir des Croyants, Moulay Slimane, roi du Maroc, me questionna sur la frontière de lextrême Maroc. Je lui répondis quIbn Khaldoun la situe à Oujda et elle a été confirmée par votre grandpère, le Sultan Ismaïl, avec les Turcs dAlger au début du 12ème siècle. Il me dit: «jai toujours vu cette limite à la Tafna». Alors je me tus.» (3). Moulay Abderrahmane, dès la prise dAlger confirmée, prit possession de Tlemcen et ses troupes savancèrent à lintérieur du pays. Il signifia ses prétentions sur la capitale des Zianides au Consul de France à Tanger, mais, devant le développement des événements en Algérie, ne tarda pas à signer un document par lequel il renonçait à ses revendications.
2. Genèse de la bataille dIsly
Pour empêcher lEmir de lancer ses attaques à partir du Maroc, les généraux Lamoricière et Bedeau occupèrent, au début de lannée 1844, Lalla Maghnia dont le tombeau de la sainte patronne de la ville fut profané par les soldats français. Tout le Maroc sen émut. Moulay Abderrahmane, après avoir longtemps joué à ménager le chou et la chèvre, était désormais acculé à une situation que son manque de vision empêchait de prévoir. A moins dessuyer un désaveu qui pourrait faire vaciller son trône, il était dans lobligation de réagir. Ses exigences étaient simplettes: faire accepter par les Français, en recourant à la force si nécessaire, un tracé des frontières délimité par le cours de la Tafna, alors que les Français proposaient celui déjà accepté par son ascendance et les Turcs. Le Sultan chargea son Caïd dOujda, Ali Ben Taïeb El Gnaoui, de chasser les Français de Lalla Maghnia. Il prit contact épistolaire avec Bugeaud qui lui propose une entrevue, sans délai, près du mausolée du Saint Si Mohamed el Ouassini.
Le 15 juin, le général Bedeau, le commandant Martimprey, Si Hamadi Sekkal et lénigmatique Léon Roches rencontrent El Gnaoui venu avec 4.500 cavaliers, très menaçants malgré la présence de Lamoricière, à un kilomètre deux, avec 4 bataillons et 4 escadrons. Lhostilité des soldats marocains mit fin aux négociations.
Bugeaud lui signifia sa disponibilité à traiter pacifiquement du contentieux: délimitation de la frontière et sort dAbd-El-Kader seront au menu. Léon Roches précise: «Moulay Abderrah-mane ne désirait certes pas la guerre mais il était encore assez aveugle pour espérer léviter en nous intimidant par un gros déploiement de forces». Le Sultan lève une armée importante sous les ordres du Prince héritier, Sidi Mohammed. Grâce à ses espions, Léon Roches conclut au chiffre de 50.000 cavaliers dont 3.000 Oudaïas (gardes du Sultan) et 3.000 Abid El Boukhari, élite de la garde impériale, mise sur pied par le Sultan Moulay Ismaïl, recrutée exclusivement parmi des nègres qui prêtaient serment sur le Sahih dEl Boukhari. Comprenant dès le début quEl Gnaoui navait pas de latitude pour prendre de décisions et étant au courant de linstallation du campement du Prince héritier dressé pour influencer le cours des négociations, Bugeaud adressa, le 6 août, un message au Prince lui accordant un délai de quatre jours pour accepter les conditions françaises. Celui-ci crut bon ne pas y répondre.
A suivre...
1/ Le Mémorial du Maroc. (9 volumes). Tome 4: 1666-1906: De la grandeur aux intrigues. Edition Nord Organisation. 1982.
2/.Dix ans à travers lIslam. 1834-1844. Léon Roches. Librairie Académique Didier. Paris. 1884.
3/ Kitabou Fethi Al-Ilahi Oua Minnatihi (كتاب فتح الإله ومنته بالتحدث بنعمة ربي وفضله). Autobiographie Du Cheïkh Bouras. Edition SNED.
Mohamed-Senni Zeddour-Mohamed-Brahim
Ingénieur
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Posté Le : 16/08/2008
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com