Algérie

14 août 1844 – 14 août 2008 - Il y a 164 ans, la bataille d’Isly



Le scellement de la conquête de l’Algérie (première partie) Ce n’est qu’en faisant une analyse rigoureuse des tenants et aboutissants de l’évènement, de ses regrettables retombées sur le devenir du Maghreb qu’on peut parler, quelque peu éhonté, de la bataille d’Isly. Nous rappellerons tout d’abord que l’Algérie, à travers l’homme qui l’a fondée, et sur son initiative qui relevait de l’impératif religieux et du devoir de solidarité, aurait pu éviter non seulement sa propre colonisation mais également celle de son grand voisin qui, lui, en connaîtra une double: espagnole pour le Nord et française pour le Sud. Mais l’Emir s’était heurté à un mur de préjugés collés à une autosuffisance qui allait s’avérer désastreuse. Ce pan de l’histoire commune, bien délaissé par les historiens algériens, a été largement repris, souvent sous des formes discutables, par leurs confrères marocains. Curieusement, seul l’Emir Abd-El-Kader en parle avec un profond dépit dans son autobiographie. Nous donnerons plus loin l’appréciation ahurissante du Sultan Moulay Abderrahmane sur la déroute de son armée et son fils fuyant devant l’ennemi.Mais, d’une manière générale, bien que voulant faire retomber la responsabilité de leur débâcle sur leur seul voisin -qu’ils auraient pourtant bien souhaité voir faire partie de leur pays-, il se trouve, parmi les historiens marocains, certains qui estiment que le résultat de la confrontation les a servis (1) pendant que d’autres se fourvoient en conjectures oiseuses! Nous n’avons nullement l’intention de faire procès à quiconque et, si l’occasion nous sera donnée de juger, nous ne nous permettrons jamais de condamner car nous estimons que cet évènement nous concerne tous tant les liens qui unissent les deux peuples ont une particularité telle qu’il ne peut y avoir de semblable à travers la planète. S’il fallait anticiper par une appréciation sur ce malheureux évènement, nous estimons que le Maroc avait souffert des carences de ses dirigeants d’alors. Ceux qu’il fallait au moment où il le fallait lui ont fait cruellement défaut dans le tournant décisif qu’il abordait. Enfin, rappelons que cette bataille eut lieu à une quinzaine de kilomètres au nord-est d’Oujda sur l’Oued Isly, sous affluent de la Tafna par l’Oued Mouilah.   1. Brefs rappels Lorsque l’Emir Abd-El-Kader engagea la résistance face aux Français, les tribus du Maroc oriental lui apportèrent un soutien inconditionnel (combattants, logistique, encouragements..) qui inquiétait le Sultan Moulay Abderrahmane Ben Hicham et irritait la France. Celle-ci fit tout ce qui était en son pouvoir pour qu’il fasse cesser tout soutien à l’Emir par ses populations. L’écho de sa résistance était tel qu’à travers tout le Maroc, toutes ses victoires étaient fastueusement fêtées. Ses origines idrissides ravivaient, quant à elles, de vieux antagonismes. Le Sultan, soucieux d’abord de l’intérêt dynastique, sacrifia la solidarité en Dieu et fut ainsi acculé à tergiverser pour gagner le plus de temps possible et éviter de tenter une action qui provoquerait l’ire de son peuple. L’Emir n’ignorait rien de l’apathie et de la prudence maladive du Sultan qui, selon Léon Roches (2), l’a fait habiller, le 3 juillet 1839, par un de ses envoyés, du caftan faisant de lui le Khalifat du Sultan, ce qui confirmait, en même temps, l’adhésion de ce dernier à son combat auquel, il faut le dire tout de suite, il ne participera jamais si ce n’est pour accomplir la sale besogne à la place des Français essentiellement en décembre 1847. Son irrésolution dans la conduite des affaires, sa prudence excessive et sa versatilité, prouvées par une longue série d’exemples, étaient parfaitement connues de l’ennemi commun qui ne rata aucune occasion pour le battre sur le double plan militaire et diplomatique et lui fit faire, à son insu, tout ce qui servait l’intérêt de la France. L’historien marocain Mohamed Zniber (2) ira jusqu’à reconnaître la faiblesse du pouvoir et sa mauvaise organisation. Quand le Duc d’Aumale, fils du Roi des Français, informé par les traîtres Ouled Ayad sur l’emplacement de la Smala de l’Emir, parvint à s’en emparer le 16 mai 1843, les rescapés se dispersèrent selon leurs régions d’origine. L’Emir se retrouva avec une Deïra de quelque 2.000 âmes, qu’il parvint, au bout de durs combats, à faire entrer en territoire marocain pour l’installer, dans un premier temps à Aïoun Sidi Mellouk, à environ 60 km à l’ouest d’Oujda sur la route de Fès, et, dans un deuxième temps à Aïn Zora dans le Rif. Il est opportun de rappeler que depuis l’avènement de la dynastie alaouite avec Moulay Chérif Ben Ali, en 1631, les Sultans du Maroc lorgnèrent toujours du côté des territoires au-delà de leur frontière orientale. Moulay Chérif céda aux arguments de deux ulémas d’Alger délégués par les Turcs et abandonna ses prétentions. Moulay Smaïl qui gouverna de 1672 à 1727 (soit 55 ans) fut écrasé, lui, par le Bey Bouchelaghem de Mascara, en 1707, tout près de la Mare d’eau, à quelques kilomètres du Sig donnant son nom à la forêt où il fut battu. Un poème de Cheïkh Bouras de Mascara retrace cet évènement. Ce même Cheïkh, environ un siècle plus tard, eut cet entretien avec Moulay Slimane -oncle paternel de Moulay Abderrahmane- qui régna de 1792 à 1820: «L’Emir des Croyants, Moulay Slimane, roi du Maroc, me questionna sur la frontière de l’extrême Maroc. Je lui répondis qu’Ibn Khaldoun la situe à Oujda et elle a été confirmée par votre grand’père, le Sultan Ismaïl, avec les Turcs d’Alger au début du 12ème siècle. Il me dit: «j’ai toujours vu cette limite à la Tafna». Alors je me tus.» (3). Moulay Abderrahmane, dès la prise d’Alger confirmée, prit possession de Tlemcen et ses troupes s’avancèrent à l’intérieur du pays. Il signifia ses prétentions sur la capitale des Zianides au Consul de France à Tanger, mais, devant le développement des événements en Algérie, ne tarda pas à signer un document par lequel il renonçait à ses revendications. 2. Genèse de la bataille d’Isly Pour empêcher l’Emir de lancer ses attaques à partir du Maroc, les généraux Lamoricière et Bedeau occupèrent, au début de l’année 1844, Lalla Maghnia dont le tombeau de la sainte patronne de la ville fut profané par les soldats français. Tout le Maroc s’en émut. Moulay Abderrahmane, après avoir longtemps joué à ménager le chou et la chèvre, était désormais acculé à une situation que son manque de vision empêchait de prévoir. A moins d’essuyer un désaveu qui pourrait faire vaciller son trône, il était dans l’obligation de réagir. Ses exigences étaient simplettes: faire accepter par les Français, en recourant à la force si nécessaire, un tracé des frontières délimité par le cours de la Tafna, alors que les Français proposaient celui déjà accepté par son ascendance et les Turcs. Le Sultan chargea son Caïd d’Oujda, Ali Ben Taïeb El Gnaoui, de chasser les Français de Lalla Maghnia. Il prit contact épistolaire avec Bugeaud qui lui propose une entrevue, sans délai, près du mausolée du Saint Si Mohamed el Ouassini. Le 15 juin, le général Bedeau, le commandant Martimprey, Si Hamadi Sekkal et l’énigmatique Léon Roches rencontrent El Gnaoui venu avec 4.500 cavaliers, très menaçants malgré la présence de Lamoricière, à un kilomètre d’eux, avec 4 bataillons et 4 escadrons. L’hostilité des soldats marocains mit fin aux négociations. Bugeaud lui signifia sa disponibilité à traiter pacifiquement du contentieux: délimitation de la frontière et sort d’Abd-El-Kader seront au menu. Léon Roches précise: «Moulay Abderrah-mane ne désirait certes pas la guerre mais il était encore assez aveugle pour espérer l’éviter en nous intimidant par un gros déploiement de forces». Le Sultan lève une armée importante sous les ordres du Prince héritier, Sidi Mohammed. Grâce à ses espions, Léon Roches conclut au chiffre de 50.000 cavaliers dont 3.000 Oudaïas (gardes du Sultan) et 3.000 Abid El Boukhari, élite de la garde impériale, mise sur pied par le Sultan Moulay Ismaïl, recrutée exclusivement parmi des nègres qui prêtaient serment sur le Sahih d’El Boukhari. Comprenant dès le début qu’El Gnaoui n’avait pas de latitude pour prendre de décisions et étant au courant de l’installation du campement du Prince héritier dressé pour influencer le cours des négociations, Bugeaud adressa, le 6 août, un message au Prince lui accordant un délai de quatre jours pour accepter les conditions françaises. Celui-ci crut bon ne pas y répondre. A suivre... 1/ Le Mémorial du Maroc. (9 volumes). Tome 4: 1666-1906: De la grandeur aux intrigues. Edition Nord Organisation. 1982. 2/.Dix ans à travers l’Islam. 1834-1844. Léon Roches. Librairie Académique Didier. Paris. 1884. 3/ Kitabou Fethi Al-Ilahi Oua Minnatihi (كتاب فتح الإله ومنته بالتحدث بنعمة ربي وفضله). Autobiographie Du Cheïkh Bouras. Edition SNED.   Mohamed-Senni Zeddour-Mohamed-Brahim Ingénieur


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