Algérie

12 juin 1990, le raz-de- marée islamiste


C'était il y a 30 ans. Le 12 juin 1990, un peu plus d'un an après sa création le 10 mars 1989, le FIS (Front islamique du salut) remporte les élections locales avec un score de 54,25% (4,3 millions de voix) des suffrages exprimés. Il enlève 856 communes sur les 1 540 que compte l'Algérie et 32 assemblées régionales sur les 48 du pays. Alger, Oran, Constantine, Annaba, les principales villes du pays passent sous le contrôle des islamistes.Sa victoire sape la « légitimité historique » dont se prévalait le régime de Chadli Bendjedid et rebat les cartes. Le FLN, qui contrôlait toutes les villes du pays, en sort laminé, avec un score de 28% (2,2 millions de voix). Derrière lui, aucun parti, pas même ceux d'obédience islamiste comme le Hamas et Ennahdha, n'a dépassé la barre des 170 000 voix .
Pour la première fois dans les mondes arabe et maghrébin, un parti islamiste remporte des élections. Un parti qui ne faisait pas mystère du projet de société théocratique qu'il comptait instaurer - une sorte de mix entre le Pakistan du dictateur sanguinaire Zia-ul-Haq et l'Arabie des Saoud - aux antipodes de la démocratie pluraliste dont on cherche aujourd'hui à affubler l'ex-FIS.
La campagne électorale du FIS, qui s'est déroulée dans un climat d'intolérance et d'escalade de la violence verbale et physique qui touchait l'Algérie durant le printemps 1990 ? interdiction brutale des concerts de variétés, agressions contre les femmes ? est dénoncée par l'opposition démocratique, dont le FFS qui « s'élève contre la passivité de l'Etat qui n'ignore pas que l'impunité de la violence est un encouragement à la violence ». Aït Ahmed dénonçait alors un « fascisme rampant ». En vain. Car cette opposition démocrate et progressiste et l'aile libérale du pouvoir incarnée par le Premier ministre réformateur Mouloud Hamrouche, avaient au fond sous-estimé le FIS, minimisant ses capacités de mobilisation dans un pays dont la population avait été travaillée doublement au corps par l'idéologie islamiste véhiculée par l'école et par ces mosquées dont la construction était encouragée et financée par le pouvoir de Chadli Bendjedid, qui pensait instrumentaliser les islamistes pour neutraliser des courants de gauche très actifs dans les zones industrielles et universitaires.
Pour parvenir à ses fins, le FIS n'hésitait pas, non plus, à recourir à toutes sortes de stratagèmes pour convaincre des Algériens crédules qu'il était le parti de Dieu. Ainsi, le 5 juin 1990, lors de son dernier meeting électoral ? plus de 100 000 personnes rassemblées au Stade olympique d'Alger ? le discours de Abassi Madani fut soudain interrompu par une inscription en arabe « Allah ouakbar » apparue en plein ciel. Croyant au miracle divin, saisis d'émotion, des sympathisants du parti s'évanouissaient, d'autres versaient des larmes ou psalmodiaient des versets coraniques. L'impact sur la foule présente au stade du 5-Juillet et ailleurs était considérable : l'islam était bien la solution à leurs problèmes. Impossible alors de leur expliquer que ce « miracle divin » était le produit d'un simple rayon laser actionné par une main humaine.
Cette mystification politico-religieuse intervenait quelque temps après la marche imposante que le FIS avait organisée le 20 avril 1990 et qui rassemblait plus d'un demi-million de personnes à Alger pour signifier au pouvoir, à qui les Algériens n'avaient pas pardonné d'avoir fait tirer sur la jeunesse en octobre 1988, qu'il devait laisser la place. Ce jour-là, Abassi Madani, qui savait que son parti n'allait faire qu'une bouchée du FLN le 12 juin, exigeait rien de moins que l'organisation d'une élection présidentielle anticipée...
La victoire du FIS va lui permettre de décupler ses moyens d'intervention au niveau local et régional, mettant à la disposition du parti et de ses organisations satellites des bureaux et des salles de réunions. Aide aux démunis, assistance sociale, marchés « islamiques » devaient permettre de consolider l'ancrage social du parti de Dieu. Toutefois, sous couvert de moralisation de la vie sociale, multipliant les interdits de toutes sortes ? fin de la mixité dans les administrations des communes, port du voile islamique obligatoire pour les employées des mairies sous peine de licenciement, tentative de fermeture des lieux de culture ( cinémas, salles de concerts, conservatoires...), interdiction des fêtes de mariage avec musique et de l'accès aux plages aux femmes, le FIS s'aliène une partie de ceux qui ont voté pour lui en juin 1990.
Ainsi, le fait d'avoir fermé des conservatoires de musique dans certaines villes, d'avoir brûlé des instruments de musique, dont quelques-uns dataient de l'âge d'or musulman, parce que jugés contraires à leur morale islamique, a été mal ressenti par de nombreux Algériens. Il en va de même à Alger quand il décide de transformer le Conservatoire national en lieu pour les sans-logements et les mal-logés.
Peu importe, l'essentiel pour Abassi Madani et Ali Benhadj était de faire des communes que l'ex-FIS contrôlait un moyen pour quadriller efficacement la population et, partant, de donner à voir les contours du futur Etat islamique qu'il comptait instaurer. Et dans cette perspective, il s'opposait à toute directive émanant de l'administration centrale quand il la jugeait contraire à la Charia. S'instaurait, dès lors, non pas une cohabitation entre les islamistes et le gouvernement, mais une dualité de pouvoir qui va se traduire par des tensions qui vont aller en s'exacerbant. Quant à l'armée, vers qui des regards se tournaient, Abassi Madani dira qu'« une fois le FIS au pouvoir, elle serait sous ses ordres ». La suite...
H. Z.
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