Algérie

11/9: Pas perdus d'un Arabe dans un aéroport de Blancs



Depuis le déclenchement de la guerre entre nous les Arabes,gens à la négritude floue et l'homme blanc, tout le monde savait que l'endroitle plus inquiétant pour un Arabe, le lieu exact où il perd ses vêtements etexhibe la petitesse de ses testicules était justement l'aéroport, ce pays oùtout le monde est exempté de sa nationalité, sauf nous. L'aéroport, parce qu'iln'en existe qu'un seul, gigantesque, installé entre les deux bords de la terre,fabriqué pour lancer dans les airs des milliers d'avions, en recevoir ladescente lourde et parfaite de milliers d'autres, mais aussi pour humilierl'Arabe et fouiller son pantalon jusqu'à atteindre les parties intimes de sespropres ancêtres. C'est dans cet espace que l'Arabe prend conscience de soncorps autrement que comme un sabre ou un malnécessaire à la conservation de l'âme et cherche à s'en débarrasser le plusvite possible pour échapper à l'indécence et les soupçons qui vont avec. Vingtans d'ablutions et de sexualité clandestine y trouvent leur échec par un simpledéshabillage dû à notre incapacité à tisser nous-mêmes les pantalons et à lesdéfendre. Et pour ceux qui croyaient qu'il est difficile de voir un Arabe numême après sa mort, il suffit de se promener dans l'aéroport pour en voir desdizaines alignés face aux fours purificateurs des scanners, obligés d'enleverleurs chaussures comme face à Dieu, sommés de déplier jusqu'à leur peau et dedéposer leurs os dans de petites caisses en plastique qui seront transportéessous scellées dans les soutes de l'appareil. Un Arabe ne peut même plus, aujourd'hui,prendre un avion sans déposer ses dents à la police des frontières : de vraiesscènes de jour de jugement, serrés de près par un dieu à tête de chacal, forcésde répondre à ses propres membres venus témoigner contre le reste du corps, convoquésdevant le miroir des actes et soumis au pesage des intentions et des souvenirsface à un chien énorme et à une divinité stricte munie d'un seul oeil bleu. C'estdonc nu que j'ai déambulé dans l'aéroport pendant les heures creuses quem'imposaient les deux vols entre ma race d'origine et Paris puis entre Paris etl'Amérique, jouant des épaules pour faire passer le poids des regards d'une épauleà l'autre, hésitant à choisir un coin pour m'asseoir en pensant à ce que devaitpenser le Blanc en uniforme s'il me voyait dans un endroit trop discret commesi je voulais passer inaperçu ou trop fréquenté comme si je voulais faire lemaximum de victimes. Reclus, je fis presque le tour du monde en parcourantl'aéroport d'un bout à l'autre, fixant les vitrines hors de prix qui exposaientdes bijoux qui justifiaient rétrospectivement les conquêtes sanguinairesd'autrefois, lorgnant vers les magazines de femelles nues et lascives ethésitant à m'asseoir trop près des hommes qui n'étaient pas, comme nous, toutle temps en colère et des belles femmes blanches que je regardais avec envie etméchanceté par-delà la vitre ou le rideau qui sépare l'Arabe de la féminité.

Je déambulais donc le temps qu'il faut avant de monter auciel, évitant de croiser les regards à qui je rappelais, peut-être, le tic-tacdu siècle et gêné d'avoir perdu ce naturel qui aurait pu me faire passer pourun simple voyageur ordinaire. Simple voyageur ! Je ne pouvais l'être: aucunArabe ne l'est plus depuis le 11 septembre 2001 ! »




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