Alger - Sidi M’hammed Ben Abderrahmane Bou Qobrine


La ville d’Alger regroupe un nombre très important de mausolées de marabouts, «Awliya çal’hine» qui sont pour certains très célèbres comme Sidi Abderrahmane Athaâlibi par exemple, ou Sidi Boudjemaâ, Sidi Ahmed Ben Abdellah, Sidi Ahmed El-Kettani, Sidi El-Ghobrini et beaucoup d’autres encore.

Ces hommes qui étaient très pieux, sont aujourd’hui enterrés à Alger, où la population bien après leur mort a décidé de leur élever des mausolées, «qoubba» afin de conserver leur mémoire et les garder en exemple.

A l’origine, certains d’entre eux étaient étrangers à la ville. C’étaient des religieux qui venaient à Alger pour y enseigner et y dispenser leur savoir. Ou alors pour se rencontrer entre eux, à une époque où Alger était un centre culturel et religieux important.

Sur la liste des «Awliya çal’hine» d’Alger, figure un autre nom très célèbre, puisqu’il a été donné à un quartier, plus encore, à toute une daïra (arrondissement) de la wilaya (département) d’Alger.

Oui, vous l’avez trouvé ! C’est bien Sidi M’hammed, surnommé Bou Quabrin, l’homme aux deux tombeaux. Comment est-ce possible ? Me demanderiez-vous. C’est un mystère qui sera résolu à la fin de cette chronique.

Avant cela, essayons de connaître l’homme qu’il était. De son nom M’hammed Ben Abderrahmane Ben Ahmed El-Guejtouli, El-Djerdjeri, El-Azhari. Il est né vers 1720 dans le village des Aït Smaïl dans la région de Boghni en Kabylie. Il appartenait à la tribu des Guejtoula d’où le surnom d’El-Guejtouli, El-Djerdjeri pour le Djurdjura d’où il venait et El-Azhari pour l’université d’Al-Azhar où il va étudier vers l’âge de vingt ans.

Mais, c’est très jeune déjà qu’il commence à étudier les sciences religieuses dans sa région d’abord. A l’époque, toutes les zaouïates du pays enseignaient la langue arabe, le Coran, le hadith, le fiq'h, la chariâ, la poésie mais également les mathématiques et l’astronomie.

Mais rien ne valait un voyage en Orient pour approfondir sa science et compléter ses connaissances. M’hammed Ben Abderrahmane va alors à l’université d’Al-Azhar en Egypte pour étudier.

A Al-Azhar, il a comme maître reconnu, le Cheikh Mohamed Ibn Salem Al-Hafnaoui, c’est lui qui va l’initier à la Tariqua Khalwatiya. La Khalwatiya est une pratique soufie, une voie «tariqua» parmi les nombreuses voies «toroq» adoptées par les soufis, chacun à sa manière, pour «atteindre la Vérité». La Khalwatiya tire son nom du mot «khalwa» qui signifie retraite, et pour la tariqua khalwatiya, la retraite spirituelle du pratiquant en est le principe fondamental. En référence à la retraite spirituelle du prophète Mohamed (âlih eçalat wessalam), dans la grotte de Hira’, et à la retraite du prophète Moussa (âlih essalam) sur le mont Sinaï.

Le Khalwati, ou Khalwi doit se retirer dans une grotte ou alors dans une pièce fermée, pour pratiquer la prière, la méditation, le wird, c'est-à-dire la récitation du Coran et le dhikr qui est l’invocation des noms d’Allah. Cette retraite avec très peu de nourriture, est d’une durée illimitée avec un minimum de trois jours quand même.
Sidi M’hammed Ben Abderrahmane adopte cette Tariqua et s’y attache à un point tel que son maître Al-Hafnaoui l’envoie au soudan et en Inde pour y enseigner et dispenser cette pratique Khalwatiya.

Sidi M’hammed voyage du Soudan à l’Inde pendant six années, initiant à sa voie tous ceux qui voulaient bien la pratiquer. Et après trente ans d’absence, il revient enfin chez lui, en Algérie. Il s’installe d’abord dans son village des Aït Smaïl, où il fonde une zaouïa. Il décide par la suite de s’installer à Alger pour y fonder une autre zaouïa. Il choisit de s’installer dans ce qui est aujourd’hui le quartier d’El-Hamma.

En 1770, El-Hamma était boisé, même s’il l’est toujours, mais beaucoup moins certainement. Pour pratiquer la Khalwa, il fallait être à l’extérieur de la grande ville. Sous les oliviers, les figuiers et les palmiers, l’endroit embaumait le jasmin et le laurier-rose. Il y avait de l’eau puisque de nombreuses sources coulent aujourd’hui encore, et il y avait de petites grottes creusées dans le rocher qui surplombe El-Hamma. L’endroit tout désigné pour la Khalwa. Mais Sidi-M’hammed s’occupait aussi des autres. Sa zaouïa restait toujours ouverte aux pauvres, aux orphelins et aux voyageurs.

Sa notoriété augmentait de jour en jour. Des disciples et étudiants venaient de tous les coins du pays. Sa Tariqua Khalwatiya est devenu la Rahmaniya, en référence à Abderrahmane, le nom de son père. Et nous connaissons le rôle de la confrérie de la Rahmaniya dans l’insurrection d’El-Mokrani en 1871. Son chef spirituel, le Cheikh El-Haddad a été un disciple de Sidi M’hammed Ben Abderrahmane.

C’est ainsi que Sidi M’Hammed avait introduit la voie, la Tariqua Khalwatiya en Algérie. Il enseignera pendant environ 25 ans, jusqu’au jour où sentant sa santé décliner, il décide de rentrer chez lui, dans son village natal. C’est là-bas qu’il décède en 1793, à l’âge de 73 ans.

Ses disciples l’enterrent tout naturellement dans le cimetière du village. Et là, l’histoire nous apprend que ses disciples d’Alger, voulaient eux aussi, l’enterrer tout près d’eux. Ils sont allés dérober son corps et l’ont enterré là, où lui est élevé aujourd’hui un mausolée. Au cimetière de Sidi M’hammed.

Difficile d’imaginer des adeptes de la Tariqua Khalwatiya, profanant une tombe et y dérobant un corps, n’est-ce pas ?
En fait, il existe une deuxième version de l’histoire, beaucoup plus plausible celle-là :
La Kabylie était à ce moment-là, et depuis plus de 40 ans, en insurrection contre la levée abusive des impôts par l’autorité ottomane. Et à la mort de Sidi M’hammed, les autorités turques craignaient de voir son mausolée devenir un lieu de rassemblement et un foyer de révolte. Ils envoient alors quelques personnes chargées de dérober le corps du saint homme. Le forfait commis, et les habitants du village d’Aït Smaïl alertés par ce vol singulier, cela a failli dégénérer.

Mais ça n’explique pas encore le fait que Sidi M’hammed ait eu deux tombes, n’est-ce pas ?

C’est que, entre le corps volé, qui était bien réel celui-là, et enterré à Alger, et le corps enterré à Aït Smaïl, il n’était pas possible qu’un corps puisse être dans deux tombes distinctes.

Dans ce cas, deux explications s’imposent :
La première est, que les personnes chargées de dérober le corps se soient trompées de tombe et ont emporté le corps de quelqu’un d’autre.
La deuxième, que c’était réellement le corps de sidi M’hammed qui avait été emporté. Mais lorsqu’il a fallu vérifier la tombe originale, les personnes chargées de confirmer la présence du corps, ont peut-être cru bon de dire qu’il y était réellement, pour éviter un conflit, ou une effusion de sang.

La population a cru alors au miracle, dû évidemment à la piété du personnage et l’affaire a été définitivement classée.

Depuis Sidi M’hammed Ben Abderrahmane est devenu Bou Quabrine.




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