Alger

Saadia Badani, poétesse, à L'Expression «La flamme en moi ne m'a jamais quittée»



Publié le 18.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Le cas de Mme Saadia Badani qui, dès sa plus tendre enfance, a lutté pour conserver au fond de son coeur et de son âme cette passion pour les lettres que l'école lui a communiquée très tôt, n'est pas sans intérêt. La première fois que nous l'avions vue, c'était à une de ces soirées poétiques organisées à la Maison de la culture par le club littéraire dirigé par la poétesse Zahra Fadli. C'était une ode, un chant puissant dédié à la Révolution, qui a fait ce jour-là une forte impression sur l'assistance. L'autre jour, nous la retrouvions à la Maison de la culture en compagnie de son fils Oussama et du poète Saïd Sitti. Elle venait au club littéraire qui a choisi un mardi sur deux pour se réunir et lire des poèmes et débattre des questions littéraires. Nous avons, au cours de cet entretien, cherché à savoir comment la femme au foyer s'est battue pour concilier autodidactisme, ou semi-didactisme et écriture, condition de femme au foyer et désir d'émancipation.
L'Expression: Vous êtes née à Blida, une ville pleine de charme. Par la douceur de son climat, elle a dû contribuer à la formation de votre caractère et de votre sensibilité. À quel moment vous êtes-vous sentie investie du pouvoir des mots qui ouvrent tout grand les portes du rêve et de la création? En d'autres termes: comment avez-vous pu devenir la poétesse que nous connaissons tous ici et apprécions?

Mme Saadia Badani : La ville des Rroses, c'est vrai, a fait de moi un être doux et tranquille, voire très sensible. Ça, c'est le fond de mon caractère. Très tôt, pourtant, les choses vont changer. La perte de ma mère alors que je faisais mes premières classes, m'a appris que la vie n'est pas que joie et douceur. J'étais la première enfant d'une nombreuse fratrie. Il fallait aider au ménage, aider aussi à élever les premiers venus nés du second mariage de mon père. J'étais à la fois fille et mère. Où trouvais-je la force pour poursuivre ma scolarité? Sans doute, dans cette passion que j'ai pour le travail, à la maison et à l'école. Je sais, cela ne fait pas pour autant de vous un artiste, un poète ou un écrivain. C'est peut-être, cela le don. Je n'ai pas d'autres explications. Chez moi, il s'est manifesté très tôt. Les poèmes que je faisais dans le primaire étaient très courts et ne comportaient pas plus de deux ou quatre vers. Mais c'est au collège que ma vocation s'est imposée à moi de façon éclatante.

À l'école, on enseigne aussi la poésie, comme la littérature?...

Certainement. À l'école primaire, mais aussi au collège. Ma chance est d'avoir eu de très bons profs. Ils ont ouvert mon esprit à la connaissance et la beauté du monde. J'étais une élève très attentive et très appliquée. Comme tous mes camarades, j'ai appris par coeur un grand nombre de poèmes en arabe et en français. Aujourd'hui, je peux, sans en oublier une seule virgule, les réciter de mémoire.

Vous n'avez pas fréquenté le lycée. Pour quelle raison?

Vous vous en doutez un peu, n'est-ce pas? En 1980, j'avais 16 ans. A cette époque, à cet âge, la plupart des filles abandonnaient leur scolarité pour garder la maison. Un peu, la cage quoi, même si elle est dorée. Deux ans plus tard, je changeais de cage, même si, je le répète, elle est dorée.
À Blida, je m'occupais de mes tout jeunes demi-frères. À Oued El Bardi, dans la wilaya de Bouira, où je me mariais, je me dévouais totalement à mon rôle de femme au foyer. Et dans l'un comme dans l'autre cas, je me devais de me plier à cette règle imposée autant par la tradition que par notre condition.

De sorte que cette flamme qui brillait au fond de vous, vous l'aviez mise volontairement sous l'éteignoir? En d'autres termes, sacrifiant votre temps et votre liberté sur l'autel de la tradition, vous n'écriviez plus?

Àh, monsieur, de grâce, ne le croyez pas. Cette flamme qui rayonnait dans ma nuit de jeune fille, puis de femme au foyer ne m'avait jamais quittée. Elle m'éclairait et rendait mon état plus supportable.
Tout en faisant mes travaux domestiques, je trouvais le moyen de m'échapper à cette servitude, et alors, je m'adonnais pour un court laps de temps à mon activité favorite.

Ce qui explique peut-être que vos poèmes de cette époque soient de facture plus réduite?

Sans aucun doute. Le temps manquait absolument et les soins que réclamaient mes six enfants, étaient des plus absorbants. Heureuse, si je réussissais à composer un vers de dix ou douze pieds.
Mais à mon avis, il y a une autre raison, puisque, même aujourd'hui, où je dispose de plus de temps, ceux-ci restent assez courts. Trop longs, ils auraient ennuyé et ne pourraient jamais être mis en musique.

Parce que vous ambitionnez d'écrire aussi des chansons?

Rêve bien légitime, caressé par tous les poètes, non? Ecoutez celui-là et vous vous en convaincrez aisément, je pense. C'est un poème de trente vers. D'autres sont plus courts.
Il s'intitule Leszéas frontières de l'Algérie.
C'est une invitation à connaître notre cher pays. Il m'a été inspiré par un élève.
Il excellait dans toutes les autres disciplines sauf en géographie.

Félicitation! Il est parfait. Mais, nous présumons que ces poèmes courts ou longs, susceptibles d'être mis en musique ou non, vous devez les conserver. Ce qui, depuis que vous écrivez, doit être considérable?

J'en ai tellement écrit, c'est vrai, que je n'en connais pas le nombre. Mais rassurez-vous, quelle qu'en soit la quantité, ils sont bien gardés au fond de mes tiroirs. Maintenant que j'ai brisé les barreaux de ma cage dorée, je compte les publier tous. J'ai déjà déposé un manuscrit au niveau du ministère de la Culture. J'ai bon espoir qu'il reçoive un bon accueil.

Ces poèmes ont été montrés à la famille et aux amis? Vous ne pouviez les garder pour vous seule?

Au début, si, pourtant. Enfant, puis adolescente, j'étais timide. En dehors de mon prof Rabah Khedoussi qui était lui-même poète, devenu plus tard éditeur, personne ne savait. Il m'avait vivement encouragée à continuer. Mais, une fois, à la maison, un voile pudique est tombé sur mes cahiers. Haro sur la femme au foyer qui ose avoir des sentiments, même honnêtes, et les exprimer publiquement en vers!

Ce voile qui enveloppait pudiquement vos manuscrits a dû se déchirer, car vous voilà à côté de votre fils avant-hier, et de votre mari, aujourd'hui, à déclamer vos vers? Sans compter que vous faites partie du prestigieux club des poètes. Nous avons-nous-mêmes assisté à la lecture de votre poème intitulé La plume que vous donniez, il y a peu, à l'une de ces soirées artistiques?

On ne peut le nier. Je suis aujourd'hui une femme émancipée. Mais grâce d'abord à la complicité de mes fils, de mes filles et de mon mari, ensuite. Mais tout a commencé un jour avec un des poèmes, mal dissimulé. Mon fils qui cherchait je ne sais quoi dans l'armoire est tombé sur lui tout à fait accidentellement. Il l'a lu et fut surpris par sa qualité. Alors, sans rien me dire, il l'a pris et envoyé au jury qui présidait un concours sur la poésie. Comme il a fait figurer mon numéro de téléphone en tête du poème, le jour des résultats, mon portable a sonné. Mon correspondant m'annonçait que j'ai eu le premier prix. C'était le président du jury. Depuis, j'ai participé à d'autres concours et je ne crois pas que j'ai été déchue de ma place.

Comment est-ce possible? Comment une collégienne qui avait si peu de temps pour se former pouvait-elle un jour se hisser à un tel niveau?

D'abord, n'exagérons rien. Une femme au foyer, si elle le veut, trouve toujours un peu de temps à elle, soit pour lire, soit pour écrire. C'est ainsi que j'ai pu lire Les misérables. Cosette, c'était un peu moi.
Ce personnage avait une mère attentive et affectueuse, mais n'avait pas de père. Moi, à sept ans, j'avais perdu ma mère. Une vraie catastrophe pour tout enfant. Jamais la vie n'est plus pareille, après un tel malheur. Et puis, j'ai lu Le fils du pauvre, et j'ai vu combien la misère peut rendre la vie difficile, mais sans entamer le courage d'une femme qui croit en elle..

Ces livres que vous citez, vous les aviez lus en français?

J' ai lu des extraits seulement. Comme pour La Fontaine, Victor Hugo etc. Pour les deux romans de Victor Hugo et de Mouloud Feraoun, j'ai dû me contenter de la traduction qui en a été faite en arabe.
Pour la littérature arabe, j'ai lu au gré du hasard les livres qui me tombaient sous la main. Quant à ma formation proprement dite, ayant à surveiller les études de mes enfants, je mettais autant d'ardeur à étudier leurs cours qu'eux à les revoir. Je me suis mise bientôt à savoir plus qu'ils n'en apprenaient eux-mêmes.

Oum Riadh, vous vous surnommez. Qui est Riadh?

C'est mon aîné. Il a terminé ses études à l'université. C'est lui qui m'a aidée à sortir de l'isolement où je vivais, en participant à ma place à ce concours où j'obtenais le premier prix.

Pour quel public écrivez-vous et sur quelle thématique?

Sur tous les sujets. La nature, la patrie, les événements qui ponctuent l'actualité, tout ce qui interpelle le public. Ce public, c'est aussi bien les enfants que les adultes. Il n'y a pas de public ciblé pour la poésie. À la différence du roman, naturellement. Ou du conte, un genre auquel je m'intéresse tout particulièrement, depuis quelque temps, puisque j'ai deux manuscrits l'un pour adultes et l'autre pour enfants.
Ali DOUIDI



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