Publié le 04.05.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
CHEMS EDDINE CHITOUR
Par le Professeur Chems Eddine Chitour
école polytechnique, Alger
«En publiant ce travail, j’ai l’intime conviction de contribuer à ranimer la flamme vacillante de ce souvenir prestigieux, qu’est la fête de la Victoire, souvenir auquel nous autres moudjahidine, rescapés des maquis et des geôles colonialistes, restons viscéralement attachés.»
(Docteur Toumi, préambule, ouvrage)
«Tout ce que l’homme fait sur ce sol décevant
Est chose brève et périssable Autant dans les déserts en emporte le vent !
Vous rêvez d’un Maghreb français ! Folle chimère !
Vingt peuples l’ont tenté mais nul n’a pu le faire
Et le chêne gaulois planté sur cette terre, avant de la couvrir sera déraciné.»
(Professeur Joseph Desparmet, Lycée d’Alger)
Résumé
Le professeur Mohamed Toumi nous a quittés durant ce mois de Ramadhan. C’était un géant dans en ce sens qu'il était entier, il a sacrifié sa vie sans calcul pour la glorieuse révoĺution de Novembre. Puis il a donné sa vie pour soigner, pour guérir en reprenant ses études là où il les a abandonnées à l'appel de la patrie. Le poème cité par le professeur Toumi a de tout temps été d’actualité. Les conquérants ont toujours été chassés par les Algériens à travers les âges grâce à des battants, des patriotes qui placent l’intérêt de la nation au-dessus de leur propre intérêt. Le chêne gaulois a été déraciné 132 ans après avoir été planté.
Nous allons à travers cette contribution témoigner de sa vie au maquis en nous appuyant sur son ouvrage qui gagnerait â être lu, tant il est dur et dans le même temps attachant. Docteur Toumi nous montre comment il ampute avec une scie à métaux de mineur et comment il goûte la vie en mangeant une ration qu’il trouvait bonne alors qu’elle était immangeable, selon le témoignage d’un autre géant de la Révolution, le docteur Lamine Khène qui lui laissa la succession de la direction de la santé de la Wilaya II. Nous découvrons un homme avec ses forces et ses faiblesses, préférant le maquis au plus près des hommes, faisant le coup de feu, formant des infirmiers et des infirmières, opérant à l’éclairage d’une lampe à carbure.
C’est aussi une leçon de vie au moment où plus que jamais les Algériennes et les Algériens ont besoin de solidarité. Pr Toumi, dans son ouvrage, montre comment être algérien et défendre le pays quelle que soit la latitude où on se trouve. Lui, venant du pays kabyle, faire ses preuves à l’est et ayant établi des relations avec des Algérien(nes) de toute région. Seules comptaient la fidélité à l’Algérie et la conviction d’être prêt au sacrifice suprême.
Quelques traits du parcours du médecin combattant à la Faculté de médecine d’Alger
Le Journal l’Expression le décrit : «Le moudjahid Pr Mohamed Toumi, officier de l'Armée de libération nationale (ALN) et l'un des premiers médecins de la guerre de libération, est décédé à l'âge de 98 ans.
Le Pr Toumi a milité très jeune au sein du Parti du peuple algérien (PPA) et du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Comptant parmi les fondateurs de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), le militant de la cause nationale qu'était Mohamed Toumi a rejoint tôt les rangs de la Révolution nationale. Il a intégré les rangs de l'ALN pour y fonder puis encadrer le système de santé de l'Armée de libération nationale, notamment dans la Wilaya II historique. Son parcours exceptionnel au sein des unités combattantes de l'intérieur du pays dans le Constantinois a constitué un atout important pour la révolution, puisque l'homme ne se contentait pas de diriger le système, mais a également formé des centaines d'infirmiers. Après l'indépendance, Mohamed Toumi s'est engagé corps et âme dans un autre combat, celui de doter l'Algérie d'un système de santé digne de ce nom.
En cela, «il a servi la nation avec dévouement dans le secteur de la santé. Tout au long de sa mission exaltante dans le système national de santé, Pr Toumi a occupé le poste de chef de service cardiologie au Centre hospitalo-universitaire Mustapha-Pacha» à Alger. Mais plus encore, il fut dans l'équipe fondatrice de la Faculté de médecine d'Alger.»(1)
Pour Kouider Djouab de la Nouvelle République et qui rapporte le cheminement de son parcours : «Il a été contacté par le frère Benbelkacem, responsable du Front de libération nationale (FLN) pour la région de l’Hérault, et de là Mohamed Toumi intègre l’organisation dès 1955. L’année d’après, à la faveur de la grève des étudiants de mai 1956, il rejoint le service de santé de l’ALN-FLN de la base d’appui Est (Tunisie) qui était dirigé par le docteur Nakkache M.S qu’il remplacera par la suite. Il était convaincu que sa présence parmi ses frères de l’intérieur était plus utile, il quittera volontairement la base de l’Est courant 1957 pour la wilaya du Nord-Constantinois commandée par le colonel Bentobal Slimane. Le docteur Haddam Tedjini lui succéda à la tête du service de santé de la base. Mohamed Toumi devient médecin chef de service de santé de la Wilaya II en début de l’année 1959 après le départ de Lamine Khan, devenu membre du GPRA proclamé en septembre 1958.»(2)
Les leçons du passé, le sens du combat jusqu’à l’indépendance
Cet ouvrage représente le fruit d'une expérience acquise sur le terrain durant les «années de braise». Le docteur Mohamed Toumi nous livre un témoignage vécu en sa qualité de médecin, mais aussi en tant que combattant d'une juste cause. Dans son ouvrage, il décrit le parcours de l’Algérie coloniale. Le passé instruit le présent et doit préparer l’avenir, c’est ce qu’avait appris le docteur Toumi Mohamed de son professeur Desparmet de l’ex-Lycée d’Alger dans un ineffable poème où cet auteur français retrace l’histoire héroïque plus que millénaire du peuple algérien dont voici un extrait : «(…) Et le chêne gaulois planté sur cette terre avant de le couvrir sera déraciné.» «La guerre de Libération nationale n’est sûrement pas le résultat d’un coup de baguette magique, mais le fruit d’une longue phase de préparation qui remonte aux premiers jours de la défaite, le compte à rebours pour la Libération nationale a commencé le 5 juillet 1830.»(4)
Le Pr Mohamed Toumi, le dernier des humbles quitte la scène 14/04/2024
Le docteur Mohamed Toumi a effectué la terminale au cours de l’année 1942-1943. Il s’inscrit au PCB à la Faculté de médecine d’Alger, il va à Montpellier faire des études de médecine. Après le PCB, il s’engage dans des études de médecine tout en militant dans le mouvement estudiantin.
Arrivé en cinquième année de médecine, il commence une spécialité en cardiologie. Il rejoint les rangs de la Fédération FLN. Pour lui et les quelques médecins qui avaient rejoint Montpellier comme Bachir Mentouri ou Boussaad Khati, le déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954 répondait à leurs vœux et n’attendaient que la première occasion pour rejoindre le maquis. Mohamed Toumi fut l’un des fondateurs de l’Ugema, comme le rappelle Abdesselem Bélaïd : «Il a été l’un des étudiants à l’origine de la création de l’Ugema en 1955.» (Cf Bennoune M., El Kenz A., Le hasard et l’histoire, Alger 1990). «Ce fut le
Dr Khati Boussaad qui me céda ce remplacement. Ce ‘’Militant de l’ombre’’ rejoignit à la suite de la grève des étudiants de mai 1956 la Wilaya V. Alors que de mon côté, je rejoignais la Base de l’Est puis la wilaya du Nord-Constantinois.» Un de ses camarades à Alger avait prononcé une phrase célèbre qui sera ajoutée à la déclaration de l’Ugema du 19 mai 1956, section d’Alger, par Lamine Khène : «Ce n’est pas avec un diplôme en plus qu’on fera un meilleur cadavre.»(3)
À partir de mars 1959, il rejoint le maquis de la Wilaya II, son lieu d’affectation. Il a remplacé Lamine Khène qui venait d’être rappelé à Tunis. Il est devenu membre suppléent du CCE. Lamine Khène se souvient bien de leur première rencontre : «C’était en décembre 1957, dans la région d’El Harrouch, à Djebel Ghdir, j’ai reçu le Dr Toumi qui arrivait de Tunis, c’était l’hiver, il y avait de la neige, on était dans la forêt, j’avais préparé des macaronis qui avaient mal cuit, j’ai invité le Dr Toumi. Ce dernier a partagé notre repas, il en a mangé et les a trouvés succulents et m’a même félicité pour mes talents de cuisinier. Il devait avoir vraiment faim !»(6)
Les prouesses médicales
Mohammed Toumi cite de nombreux cas d’amputations réalisés sur de grands blessés avec un matériel rudimentaire par des infirmiers et qui ont survécu. Il cite notamment les cas de deux moudjahidate originaires de Oued M’zab surprises par un bombardement de l’aviation ennemie alors qu’elles arpentaient une montagne, l’une d’elle a été blessée au visage par plusieurs éclats.
Toumi qui ne disposait que de mercurochrome, d’une aiguille et de fil de couture habituel, s’est résolu à la traiter. Après avoir nettoyé les blessures et les avoir désinfectées au mercurochrome, il a suturé les plaies avec le fil à coudre. L’opération a duré près de deux heures. Dans une correspondance adressée par le responsable de santé de la zone 1 de la Wilaya II à son chef hiérarchique, datée du 16 mars 1961, il écrit : «Je t’informe que le 25/02/1961 vers 16h, nous avons été accrochés avec l’ennemi en compagnie du P.0 du Kism 1. Après un dur combat, nous avons réussi à sortir du cercle ennemi.
Moi-même, j’ai sorti cinq blessés. L’ennemi a eu des morts et des blessés ; de notre côté, nous avons eu deux blessés graves. Il s’agit du frère Boukherse Messaoud, qui a eu la jambe broyée par une rafale de Thompson explosive et d’une grenade lancée WB, le frère Mozali Messaoud a également été blessé au pied gauche par une rafale de Thomson explosive. Pour le frère Boukherse Messaoud, il ne m’a pas été possible de lui scier l’os le même jour ni lui arranger l’amputation, en raison de son état très grave puisqu’il s’est vidé de son sang.
Ce n’est que 12 jours après que j’ai réussi l’amputation à l’aide d’une scie à métaux empruntée à des mineurs, avec une lampe neuve brûlée à l’alcool. L’amputation est très bien réussie.» Mohamed Toumi résume la politique de prévention de l’ALN en ces phrases : «En bref, l’hypochlorite de soude et le savon ont été les instruments essentiels de notre système de prévention. Les diverses vaccinations effectuées, la prise régulière de quinine ou de nivaquine, dans les endroits d’endémie palustre, la consommation de l’oignon quasi systématique ont constitué le complément des autres mesures préventives.» (Toumi 3)
«Outre les activités d’organisation du système de soins de la Wilaya II et sa participation personnelle à ces soins, il formera plusieurs promotions d’infirmiers et d’infirmières de l’ALN à «l’école du djebel» parmi lesquels figure la chahida Meriem Bouattoura. Il a formé des lycéennes aux soins infirmiers, notamment à reconnaître les symptômes des maladies infectieuses et les traitements correspondants, les premiers soins à donner aux blessés... Ainsi, c’est Mériem Bouattoura qui, du maquis, écrit à son oncle, Si Derradji, qui était médecin à Sétif : «Tout grand médecin que tu es, je commence à te faire concurrence, j’ampute…» Mohamed Toumi a aussi été appelé à soigner ou même opérer des civils, femmes, enfants et hommes qui vivaient à la lisière des zones interdites.» (Toumi 3)
Au Forum de la mémoire d’El Moudjahid, le professeur Mohamed Toumi est revenu sur la contribution de ce secteur à la Révolution et sur ces jeunes étudiants en médecine qui avaient rejoint les rangs de l’ALN. Avec des moyens rudimentaires, ils avaient soigné les moudjahidine dans les maquis. Il a expliqué que le secteur de la santé a connu une véritable organisation après le Congrès de la Soummam. La première phase, de 1954 à 1956, est caractérisée par un manque flagrant en termes de personnel et de matériel. La deuxième phase, de 1956 à 1962, dont le début a coïncidé avec la grève des étudiants, avait connu une meilleure organisation de ce secteur, notamment à travers les formations dispensées au profit des futurs médecins et infirmiers.»(7)
«À cet effet, des commissions de santé ont été formées et ont été notamment animées par le Dr Frantz Fanon, Djamel Derdour et Haddam. Lamine Khan, moudjahid et ancien ministre, déclare : «Je fais là un témoignage de reconnaissance.» Pour ma part, je me suis retrouvé en Wilaya II avec un compagnon qui est tombé au champ d’honneur, Allaoua Benbaâtouche.
«(...) Quand j’ai été appelé à sortir pour aller à Tunis, Mohamed Toumi était déjà dans la wilaya et c’était mon aîné, en âge et en études. Néanmoins, il avait beaucoup de responsabilités. Je voudrais lui rendre hommage devant la nombreuse assistance ici présente, parce que ce qu’il a vécu, lui, c’était la période la plus difficile, la période des pierres précieuses. A l’époque, l’ALN a été obligée de se transformer en petites unités. Et lui, il a préparé des gens pour permettre à chaque petite patrouille, groupe, etc., d’avoir son infirmier, en plus de la formation qu’il leur a donnée sur tout ce qu’il fallait faire sur le plan technique.»(7)
La femme qui soigne et qui se bat
Dans cet ordre, l’hommage premier est à faire aux moudjahidate qui montèrent au maquis notamment pour soigner les malades dans les zones reculées du pays, mais aussi les blessés lors de combats auxquels certaines fois elles participèrent.
Mme Khadidja Benguembour, moudjahida, déclare : «J’étais protégée par mes frères moudjahidine. Je suis l’une des plus jeunes maquisardes de la Wilaya II. Je suis issue d’une zone interdite et j’ai rejoint les rangs de l’ALN en 1959. Après 1958, les contacts entre le maquis et la ville se sont nettement réduits, et il fallait trouver alors un agent de liaison. On m’avait désignée et j’ai, en fait, assuré cette mission près de huit mois environ. Je suis ensuite montée au maquis. Aujourd’hui, je rends hommage à mon grand frère Mohamed Toumi que j’ai toujours considéré comme un père. Malgré les malheurs et les souffrances, je garde une belle image de la Révolution, parce que malgré tous les aléas et les dangers, j’étais protégée par mes frères moudjahidine.»(7)
Une image d’un combat : Dhrifa entraîne les hommes à se surpasser
Dans son ouvrage, le docteur Toumi a tenu à rendre hommage à ces résilientes. Il cite le cas de l’héroïne Dhrifa. «C’était le 12 mai 1960, l’épopée de Dhrifa, une héroïne qui fit preuve d’un courage démesuré et entraîna ses camarades de combat à se surpasser. Au cours d'une vaste opération dans le secteur 2 d'El Milia, la section de ce secteur composée de fidaïs avait été encerclée par l'ennemi. Un sérieux accrochage s’en est suivi où devaient périr 6 fidaïs. Parmi les blessés il y avait une moudjahida, la fameuse Dhrifa, atteinte aux deux jambes, au bras gauche et surtout à l'abdomen. A ce niveau, la plaie était béante et avait entraîné une extériorisation d'une partie de ses viscères. En dépit de son état, elle se mit à haranger les djounoud encore valides. Tenez bon, leur disait-elle, j'ai près de moi des morts, des djounoud morts. Tachez de venir récupérer leurs armes !»
Le docteur poursuit sa narration : «le repli avait été ordonné et il était difficile d'approcher leurs frères tués au combat. Les cris d'encouragement de cette passionaria dans son état qui était cependant bien grave redoublaient d'intensité. Elle se met à ramper vers les djounoud pour les décider malgré les tirs violents de l'artillerie, de l'aviation et de l'infanterie ennemis. Deux fidaïs se jetèrent alors dans la fournaise et parvinrent à récupérer 3 armes de leurs frères morts au champ d'honneur. Notre brave combattante dûment satisfaite suivit ses compagnons dans leur repli leur demandant seulement leur aide à sortir de l'encerclement où ils se trouvaient. Une intervention chirurgicale effectuée par Bouchrit Abdelkader devait sauver notre héroïne dont les actes de bravoure ne se comptaient plus.»(8)
Éloge d’une résiliente qui a fait deux révolutions, tunisienne et algérienne
C’est le glorieux itinéraire d'une moudjahida, Moussaoui Messaouda, nom de guerre Mahdjouba, martyre de la guerre de libération, née en 1920 à Jijel, dans un milieu familial traditionaliste. Son père Moussaoui, las des tracasseries du pouvoir colonial, se réfugie dès 1935 en Tunisie avec toute sa famille. Messaouda, l’aînée des enfants, a vécu dans l'ambiance militante. En Tunisie, la lutte armée s'organise, le mouvement armé s’amplifie en 1953. A travers le territoire tunisien, la résistance armée a joué un rôle-clé dans la libération de ce pays frère. C'est au milieu des faits que nous retrouvons notre vaillante Mahjouba en qualité de combattante sous les ordres du fameux Lazhar Chaiti.(9)
L'arrêt des hostilités en Tunisie n’est qu'un simple répit. Elle est décorée par le président Bourguiba. Pendant ce temps, en Algérie, le dispositif insurrectionnel se met en place en attendant le jour du déclenchement. Ce jour-là, déjà mobilisée, Mahdjouba se porte volontaire au service de l'organisation de la Wilaya 1 sous les ordres de Omar Ben Boulaïd. Son mépris du danger frisait la témérité, elle ne reculait devant aucune mission aussi dangereuse soit-elle. C'est dans ces conditions qu'elle trouvera une mort héroïque dans les Aurès au cours de l'année 1957. Son sacrifice recèle un éloquent message qui s'adresse aux générations présentes et futures relatif à l'indépendance si chèrement acquise. Celle-ci est un dépôt sacré (amana) qui devrait être sauvegardé coûte que coûte sous peine de trahison des familles.(9)
Le patriote reconnaissant envers ceux qui ont aidé l’Algérie
Dans son ouvrage qui gagnerait, encore une fois, à être connu, il raconte comment un véritable système de santé a été mis en place pour prendre en charge les soldats blessés mais aussi la population dans les zones enclavées. Il parle notamment de médecins prestigieux qui continuèrent le combat après l’indépendance en citant les noms des docteurs Tedjini Haddam, Ali el Okbi, Bachir Mentouri, Boudraa, Mourad Taleb. Lamine Khène, Hacène Lazreg et tant d’autres.(10)
Dans le même ordre, «on n’oublie pas, écrit-il, de rendre un hommage appuyé à nos pays frères. Il écrit : «Soulignons l’aide capitale fournie par les pays frères dans le domaine de la santé, tout particulièrement la Tunisie et le Maroc. De louables efforts ont été fournis en matière de santé par l’État tunisien, c’est ainsi que les centres hospitaliers de Tunis, Sousse, Kef et Sfax ont accueilli sans compter nos blessés et nos malades, malgré les maigres ressources de la jeune République tunisienne. Des pavillons entiers ont été mis à notre disposition à cette fin. A côté des chirurgiens algériens, les chirurgiens tunisiens comme le docteur Hadjri à l’hopital Habib-Thameur et le docteur Benguettat à Sfax ont constamment opéré nos djounoud.»(10)
Le docteur Toumi porte témoignage à titre d’exemple des médecins français qui sont venus aider l’Algérie après l’indépendance, contrairement aux médecins pieds-noirs qui sont partis après l’indépendance. Il écrit : «Au lendemain du cessez-le-feu, il eut un exode massif des médecins pieds-noirs (…) On ne saurait oublier les équipes de médecins français venus apporter leur aide précieuse et collaborer franchement avec le service de santé des Front et Armée de libération nationale. Une profonde gratitude à leur endroit.»(11)
Le problème des harkis
Le docteur Mohamed Toumi raconte sans haine ni passion la réalité des cas de supplétifs qui désertèrent pour rejoindre l'Armée de libération nationale. Il donne son avis sur les raisons qui ont amené les harkis, ces Algériens, à choisir le camp de l'adversaire, avec une rare objectivité, lui qui les a combattus et en a souffert. Il écrit : «Le problème est certes complexe et non insoluble. Ces Algériens étant qualifiés de collaborateurs en raison de leurs engagements aux côtés de l'armée coloniale. Il serait pourtant raisonnable de reconsidérer notre jugement hâtif les concernant. Nombreux se sont engagés pour de multiples raisons, éloignées de toute espèce d'idéologie : pauvreté et misère insupportables pour un chargé de famille, confiné de surcroît dans un camp de regroupement lui et sa progéniture, en proie aux affres de la promiscuité et de la faim, esprit aigu de vengeance pour des actes subis dans leur chair ou pour des actions coercitives menées à l'encontre de leur famille ou même de leur tribu, actions souvent irréfléchies ou injustes perpétrées sur ordre de responsables FLN par trop zélés. Parfois, cet engagement fut purement dicté par des inimitiés ancestrales intertribales. Telle tribu ayant rejoint le FLN, la tribu ennemie, par crainte de représailles, rejoignant le camp adverse.»(6)
Dans le même ordre d'idées, le docteur rapporte le cas de harkis qui ont déserté en sauvant un prisonnier : l'évasion du moudjahid Ahmed Benabenni. «(...) Nos deux braves supplétifs parvinrent à récupérer les clefs afin de libérer le prisonnier de ses chaînes. Du côté adverse, les recherches poursuivies jusqu'à la nuit sont demeurées vaines. Benabenni et ses deux compagnons n'eurent ensuite aucune difficulté à rejoindre nos unités. Le retour de Si Ahmed après son évasion rocambolesque fut fêté comme il se devait par les djounoud. Ceux qui l'ont aidé dans cette périlleuse entreprise furent félicités et honorés.»(3)
Enfin, dans une contribution fouillée, «Médecin dans les maquis» de Mohamed Toumi, une étude historique rigoureuse couplée à un témoignage vivant, Hocine Tamou écrit : «Le docteur Mohamed Toumi était au cœur de l'action armée. Un engagement aux côtés des maquisards, que résume parfaitement le titre de son livre. C'est bien la première fois qu'un médecin algérien livre sa version de l'histoire en tant qu'acteur et témoin des années de feu. Une histoire à hauteur d'homme, c'est-à-dire débarrassée de l'idéologie, de l'empirisme, de la routine et des mythes stériles, et en même temps couplée, voire confrontée aux sources précieuses que sont les archives écrites et iconographiques. Durant la guerre, le système de santé du FLN-ALN va alors se développer en deux phases. D'abord, une phase initiale (1954-1956) où, rappelle l'auteur, «on ne retrouve pas de service de santé organisé et les moyens tant humains que matériels étaient nettement insuffisants». La deuxième phase (1956-1962) ou phase finale «correspond exactement à la période qui suit la grève historique des étudiants algériens. Dans sa démarche historiographique, l'auteur se dit guidé par le souci de permettre «au lecteur d'avoir une idée assez exhaustive de la vie des maquisards». Donnant à lire une trentaine de courts récits restituant l'action d'hommes et de femmes qui ont fait l'histoire. Et parce qu'il les a connus et côtoyés, il en parle à la première personne (le je) mais sans jamais se laisser tenter par l'individualisation de l'histoire».(12)
La suite du sacerdoce au service du pays en tant que professeur de médecine
Le docteur Toumi est nommé commandant de l’ALN, c’est un privilège pour quelqu’un issu du corps médical. Sa mission finie, il reprend ses études : «Il rentre à Alger où il termine son CES en cardiologie. Il opte pour la carrière universitaire. Il est admis au concours d’agrégation en 1967 en compagnie de Mohammed Chérif Mostéfaï et Omar Boudjellab. Il devient alors chef de service de cardiologie à l’hôpital Mustapha en même temps que ses deux autres confrères.
Outre les soins et la formation, Mohamed Toumi a contribué à la recherche en mettant au point une technique d’exploration cardiologique appelée ‘’carboxy-angiographie’’, méthode qui a été primée au Congrès mondial de radiologie de Madrid en 1985. Mohamed Toumi a été président de la Société algérienne de médecine, président du Conseil scientifique du CHU Mustapha. Il a marqué de son empreinte plusieurs générations de médecins, il était connu pour son franc-parler et son respect de la parole donnée». (13)
Il ouvrira un cabinet médical après sa retraite. https://elwatan-dz.com/le-pr-mohammed-toumi-le-dernier-des-humbles-quitte-la-scene
Conclusion
Quand on lit les mémoires, même fragmentaires, de ces géants qui ont fait que nous profitons des bienfaits de la liberté sans la reconnaissance à ces Algériennes et Algériens profondément patriotes, nous sommes en faute. Ces êtres d’exception ont quelque chose qui s’apparente à un feu sacré pour le pays, les amenant à donner leur vie sans marchander. Nous sommes assurément des nains juchés sur les épaules de ces géants.
Dans tout son ouvrage, le docteur Toumi a, à chaque fois, mis en exergue le sacrifice. Il le dit dans ses premières lignes, la crainte que «cet évènement glorieux qui tend à s’effacer de la mémoire des générations qui nous suivent telle une flamme mal entretenue qui finit par s’éteindre d’elle-même», «j’ai l’intime conviction de contribuer à la flamme vacillante de ce souvenir prestigieux».
Le docteur Toumi a surtout essayé d'expliquer que l'amour du pays ne doit surtout pas être synonyme de division. Tous les ami(e)s et camarades de combat du docteur Toumi appartiennent à toutes les régions du pays.
Le docteur Toumi n'a pas voulu rester soigner à la frontière, mais a choisi de se jeter dans la fournaise en traversant héroïquement la ligne électrifiée, il a failli perdre la vie en faisant le coup de feu au maquis, en opérant dans des conditions héroïques, en formant un corps médical. L'indépendance venue, le docteur Toumi ne s'est pas bousculé au portillon pour une parcelle de gloire en monnayant son sacrifice. Au contraire, à l’instar du général romain Lucius Quinctius Cincinnatus, qui sauva Rome par deux fois avant de retourner labourer ses champs, l’indépendance venue, le docteur a repris ses études là où il les avait laissées. Nous devons humblement prendre acte de son magistère et tout faire pour entretenir la flamme de la fidélité aux idéaux de Novembre.
L’'impression que je tire à la lecture de l'ouvrage du professeur, ouvrage qui mériterait, encore une fois, une étude fine pour comprendre comment des pionniers pensent implicitement, par leurs actions, à la construction de l'Etat-nation, c'est-à-dire un plébiscite de tous les jours de la part de ses citoyens, est qu’il est plus que jamais nécessaire de se référer à des repères, et quel meilleur repère que ceux qui ont voué leur vie à l'indépendance du pays et à son développement. Cette abnégation toujours recommencée de ces bâtisseurs avec toujours en tête la nécessité du vivre-ensemble pour arriver au faire-ensemble dans la construction toujours recommencée du roman national. Roman national qui doit se décliner en réalisations pérennes qui permettront à l’Algérie de prendre sa place, rien que sa place, mais toute sa place, dans le concert des nations.
Le docteur Toumi, comme le docteur Khatib, colonel de la Wilaya II, sont revenus à leurs études sans se bousculer pour les privilèges. Le professeur Toumi et le docteur Khatib (disparu il y a quelques mois) disent qu’ils n’ont fait que leur devoir. Victor Hugo a raison d’écrire : «A ceux qui sont pieusement morts pour la patrie, on doit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie, Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère ; Et, comme ferait une mère, La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau !»
Dans 1000 ans, on parlera de leur engagement et leur dévouement pour une Algérie fière de ses identités multiples, de son espérance religieuse qui lui a permis de ne pas se dissoudre pendant la nuit coloniale. Cette Algérie, fascinée par l'avenir, devra se déployer en misant sur sa sève bien formée et prendre exemple sur ces pionniers qui sont les meilleurs qualificatifs de la glorieuse Révolution de Novembre.
Reposez en paix. La patrie vous est reconnaissante.
C. E. C.
1. https://lexpressiondz.com/nationale/le-grand-medecin-combattant-380639?
2. Kouider Djouab https://www.lnrlindependance-de-lalgerie/#google_vignette
3. Médecin dans les maquis : guerre de libération nationale 1954-1962 de Mohamed Toumi paru aux Éditions ENAG 2013.
4. Kouider Djouab https://www.lnr-dz.com/2020/07/07/58e-anniversaire-de-lindependance-de-lalgerie/#google_vignette
5. https : // www .facebook . com /1000636 19624930/ posts/1253748944647632/.
6. (Khène L., In Communication personnelle, Alger 2010)
7.https://www.facebook.com/100063619624930/posts/1253748944647632/
8. Mohamed Toumi Medecin dans les maquis page 179 Éditions Enag 2013.
9. Mohamed Toumi Medecin dans les maquis page 202-205 Éditions Enag 2013.
10. Docteur Mohamed Toumi :. p. 36. Éditions Enag 2013.
11. Docteur Mohamed Toumi : Médecins dans les maquis. Guerre d’Algérie 1954-1962. p. 17.
12. Hocine Tamou https ://www.lesoirdalgerie.com/ articles/2014/09/20/print-16-168773.php
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Posté Le : 12/05/2024
Posté par : rachids