Alger - Saoula

Portrait, Ahmed MAROUF-ARAIBI : Le politico-militaire de Saoula



Portrait, Ahmed MAROUF-ARAIBI : Le politico-militaire de Saoula

Ahmed Marouf-Araïbi, debout premier à gauche, parmi les détenus de la prison d’El Harrach en 1961

Un corps fluet, la main tendue pour quérir une main secourable pour l’aider à se relever pour retrouver un équilibre que conforte une canne, Ahmed Marouf-Araibi garde cependant, à 80 ans passés, une mémoire encore vivace où l’enchevêtrement des souvenirs qui ont marqué une jeunesse sacrifiée pour la cause nationale ressurgissent tel un impétueux flot, charriant des anecdotes et des faits douloureux, ravivant le vert-gris de ses yeux et rallumant cette étincelle qui au contact de tant d’autres a alimenté le flambeau de Novembre. Entouré de son épouse et de deux de ses enfants dans sa maison à Blida, il replonge, en cette veille de Novembre, dans cette Révolution sans nulle autre pareille de par le monde, une Révolution qui aura autant fasciné que changé le monde entraînant dans son sillage la fin du colonialisme en Afrique…

De Khemis-Miliana, où il est né en 1932, à Saoula où il a grandi, entre son métier de typographe et son engagement dans la Zone autonome en qualité de responsable politico-militaire jusqu’à son arrestation et son passage dans différentes prisons à partir du camp de Paul Cazelles, de l’indépendance où il reprend aussitôt son métier pour subvenir aux besoins de la famille qu’il fonde avec une fiancée qui sept années durant attendait, elle aussi, ce moment, Ahmed Marouf-Araibi en parle avec une grande modestie, sacrifiant le « je », préférant parler de ses compagnons, utilisant le terme « de l’être faible » pour parler de sa personne, une mission sacrée, un acte de foi accompli envers son pays, envers son peuple.

A l’école de la foi et du militantisme
A Khemis-Miliana, le jeune Ahmed fréquente l’école coranique fondée par son père Hadj Abderrahmane Marouf-Araibi. Située alors tout près de la mosquée du centre-ville, elle a permis à nombre d’Algériens d’apprendre autant les principes et préceptes de leur religion que leur langue, l’arabe. Mohamed Bougara, se rappelle-t-il, le chahid Si-M’Hamed était également un apprenant avec moi. Dès le début des années quarante, le père s’installe à Saoula, une petite bourgade noyée par la verdure et les champs environnants, à la périphérie de la capitale, il y officie dès lors en qualité d’imam de la mosquée. Le jeune Ahmed s’initie à la typographie, à la société d’édition et d’impression d’Alger Républicain qui se trouvait à Bab-El-Oued, rue Kœchlin tout près de la salle de cinéma « Mon Ciné », précise-t-il. Activant au sein du MTLD, il collabore à l’impression de l’Algérie libre. Si Abdelhamid Mehri était en charge de la rédaction arabe et Messaoudi Zitouni de celle en langue française. Au déclenchement de la Révolution, c’est l’imprimerie clandestine pour les premiers tracts en collaboration avec un élu MTLD à l’Assemblée, Larbi Demagh-El-Atrouss et Tahar Lâadjouzi. Les activités du jeune chef politico-militaire commencent au niveau de la Zone autonome de la wilaya IV. Une à une les cellules dont ils étaient en charge tombent. Sous la pression de la torture, les tortionnaires remontent jusqu’à lui. Début 1957, il est arrêté. Stupéfaction à Saoula, « le fils du marabout est un chef terroriste », un officier avec grade de capitaine lui propose un deal, « demande à ton marabout de père de faire un sermon contre les fellaghas et je te remets en liberté ». « Jamais, je préfère mourir plutôt, d’ailleurs ce ne pourrait être que la même réponse de mon père ». Des séances de torture commencent dans une ferme à Saoula même. El-Fiat M’Hamed que ses compagnons surnommait « L’assourti », l’inspecteur, du fait de la mine de renseignements qu’il avait et qu’il parvenait à dénicher est également arrêté. Après un séjour en France et à la suite d’un accident il avait perdu l’usage d’une de ses jambes. Malgré ce handicap, il est sujet à d’horribles tortures, suspendu par sa jambe valide. Birkhadem, l’intendance, un centre de tri situé près de la mosquée Ketchaoua, Béni-Messous, Berrouaghia, puis le camp de Paul Cazelles, à Ain-Oussera, en compagnie de nombre de Moudjahidine et de Fidayinne, Ahmed est trimballé subissant à chaque halte des séances de tortures.

Le camp de Paul Cazelles
Quatre blocs, A, B, C et D, plus de 1.000 détenus sont entassés au niveau de chacun de ces blocs. Une véritable organisation était cependant de rigueur, se remémore Ahmed Marouf-Araibi. Aux côtés de Si M’Hamed Ferroukhi, Ali Yahia Abdelaziz et Boumsid le chef du bloc, Ahmed gérait le bloc C où il se trouvait. Les détenus étaient pris en charge, éduqués politiquement, alphabétisés. Une grande solidarité entre eux face à l’adversité, face aux séances de tortures, d’humiliation et tout ce qui passait par l’esprit des geôliers et des tortionnaires pour briser le ressort, casser cette discipline instaurée et cette union sacrée autour du même idéal, une Algérie libre et indépendante. Il y trouve son oncle maternel, Si Ahmed Khettab, « l’employé modèle de la commune qui devait dans la hiérarchie succéder à Souidani Boudjemâa », un cloisonnement ultra secret et bien gardé que la torture avait fissuré…
C’était la fête de l’Aïd. Les détenus avaient demandé à effectuer la grande prière dehors, ensemble. « Vous êtes fous, qui va assurer la sécurité, vous êtes plus de 4.200 », avait rétorqué le commandant du camp, le colonel Bartoli. La prière eut lieu dans la plus grande des disciplines, au grand étonnement des geôliers. Aussitôt un officier de police est envoyé sur les lieux, un commissaire de la DST. Il mène les interrogatoires, procèdent à des fouilles au niveau des blocs. Un rapport de six pages écrits des mains d’Ahmed Marouf-Araibi et destiné au GPRA est retrouvé, il s’agissait de la ligne de conduite générale inspirée de la ligne de conduite tracée par le FLN à savoir, une politique de non-collaboration, la réalisation de l’union active, la convergence des efforts vers l’intérêt général. De fait, l’organisation intérieure du camp devait s’adapter aux lieux et aux hommes, la direction devait être collégiale, la recherche et la formation des élites, et l’amélioration des conditions morales et matérielles des détenus. C’était entre février et mars 1959. 27 détenus sont alors mis en accusation et transférés dans l’attente de leur procès dans différentes prisons. Avec, Flici Mohamed, Sahraoui Mohamed et Amara Ouali Omar de Ain-El-Hamam, le jeune Ahmed est transféré à M’Sila puis à Blida avec l’approche de la date de leur procès. Novembre 1959, il prend attache avec des avocats désignés par le FLN pour assurer leur défense. Michel Zavrian, Albert Schiano puis Pierre Popie prennent en charge l’affaire d’Ahmed Marouf-Araibi, billet d’écrou n°4733, salle F, maison d’arrêt de Blida. Des correspondances, des documents que sa fille aînée en parfaite secrétaire avait archivé et gardé depuis jalousement. Du courrier, les prisonniers en recevaient, frappé cependant du sceau de la censure « pour faciliter l’acheminement du courrier, soyez bref, l’envoi de tout colis est interdit. »

Revendication du statut de détenus politiques
Inculpés pour les chefs d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et de coups et blessures volontaires, une ordonnance de maintien en détention préventive est prononcée à l’encontre du groupe le 24 septembre 1959. C’est le procès au niveau du tribunal militaire de Médéa. Provoqués avant leur comparution par les gardiens de la prison, les accusés revendiquent le statut de détenus politiques. Ahmed Marouf-Araibi, Ali Yahia Madjid, Mohamed Sahraoui, Amara Ouali Omar, Hadj Mahfoud Ali, Bendjabir Mahmoud et Boubekeur Missoum sont condamnés entre trois et cinq années de prison ferme.
La prison de Serkadji, puis celle d’El-Harrach. La même organisation reprend et prend en charge les détenus. « Nous avions deux classes, deux niveaux, le primaire et l’Ahlia, le moyen », relève Si-Ahmed. « Si Mohamed Tayeb El-Aloui et Si Abdelmadjid Temmam, celui-là même qui a écrit le premier éditorial d’El Moudjahid lors de sa parution dans le feu de la Révolution, encadraient les classes. »
Dans une correspondance, maître Jacques Vergès accuse réception de sa demande formulée le 18 mai 1960 et le met en garde contre M. Patin, président de la commission de sauvegarde. « Je dois vous signaler qu’il lui arrive de communiquer aux autorités chargées de la répression, aux fins de sanctions, les lettres qu’on lui adresse. Je ne peux que vous mettre en garde à ce sujet. » Une copie de la correspondance adressée au président du Comité international de la croix-rouge et au directeur de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice, place Vendôme, Paris. Dans celle-ci, l’avocat du FLN informe sur la situation des détenus à la prison civile d’Alger et le caractère modéré de leur réclamation : « ils veulent tout simplement se voir appliquer la statut ‘‘A’’ prévu pour tous les détenus algériens. »
A l’indépendance, il recouvre sa liberté et se marie le 18 août 1962 dans son Algérie désormais libre et indépendante. En charge de la région de Saoula, il veille et sécurise les alentours pour parer aux attaques de l’OAS. Il réunit un groupe de français résident à Saoula. « Que ceux d’entre-vous qui veulent rester, qu’ils restent, je m’en porte garant on ne touchera pas à un seul de vos cheveux, vous serez Algériens à part entière.» Sur le départ, un résident remet les clefs de sa villa à l’imam : « Votre fils la mérite ».
Des clefs qui resteront au niveau du bureau. « J’étais responsable, je me devais de donner l’exemple », dit-il tout simplement. Il reprend dès lors son métier au niveau de l’imprimerie mécanographique africaine au quartier Belouizdad, des noms de chouhada qu’il cite au lieu des anciennes appellations, puis avec son associé Youssef Badjoudj, il crée la première imprimerie bilingue au boulevard Krim Belkacem.
Il donne un coup de main à l’imprimerie d’El Moudjahid. Le personnel était dépassé, sous-payé par rapport aux agents égyptiens. La page n’était terminée qu’aux environs de 4h du matin. Un souvenir qu’il apprécie au plus haut point « Abderrahmane Bellal était le contremaître, il y avait aussi Rachid Djermane, Sid-Ali Maloufi ».
« Allah le Tout-Puissant a donné des hommes à cette terre sacrée d’Algérie, de l’Emir Abdelkader aux 22 qui ont déclenché la Révolution de Novembre sans oublier ces milliers d’anonymes qui ont milité au PPA-PTLD » conclut-il tout simplement.




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