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Pas de rupture entre le discours du président Hollande sur la colonisation et d'autres discours avancés auparavant



L'historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d'Algérie, considère qu'il n'y a pas de "rupture réelle" entre le discours prononcé par le président François Hollande sur la colonisation, lors de sa visite en Algérie, et d'autres discours officiels avancés auparavant dans le sens de la condamnation de cette colonisation.
"Il n'y a pas de rupture réelle, car d'autres discours officiels avaient avancé dans le sens de la condamnation de la colonisation, comme celui de l'ambassadeur de France en Algérie en 2005 à Sétif, reconnaissant les massacres du 8 mai 1945. C'est surtout l'habileté de ce discours qui est remarquable", a-t-elle affirmé dans un entretien publié dans le dernier numéro de "Hebdo tout est à nous".
Invité à donner son point de vue sur le voyage du président Hollande, le mois dernier en Algérie, pour savoir s'il avait apporté des modifications sensibles à l'attitude de l'Etat français par rapport à l'Algérie et l'histoire coloniale de la France, l'historienne observe que "tout en prononçant des mots attendus (reconnaissance, vérité, souffrances) par ceux qui réclament une condamnation de la colonisation, il tente de ne pas s'aliéner ceux qui, dans la société française, opposent leurs souffrances (à) à celles des associations de harkis ou de Français d'Algérie".
"Hollande trouve, ainsi, une solution au dilemme qui, jusque-là, pesait sur les chefs d'Etat français : toute condamnation de la colonisation, toute reconnaissance des responsabilités françaises, nécessaires à un rapprochement franco-algérien, étaient contrariées par le fait que, dans la société française, c'était prendre le risque de hérisser ces associations de harkis ou de Français d'Algérie", a-t-elle dit, ajoutant que "le discours est aussi habile en ce qu'il n'oublie pas le présent".
Sur l'affaire Maurice Audin, elle constate qu'on n'a guère avancé depuis l'époque de la guerre elle-même.
"Maurice Audin, arrêté par les parachutistes en juin 1957 à Alger, est décédé entre leurs mains, alors qu'il était soumis à la torture. Non seulement les militaires ont prétendu qu'il s'était évadé, mais ils sont allés jusqu'à jouer l'évasion, afin d'avoir des témoins susceptibles de soutenir leur mensonge", a rappelé l'historienne.
"C'était compter sans la pugnacité de sa femme, Josette, qui a remué ciel et terre pour retrouver son mari. A Paris, s'était formé un comité Maurice Audin, dont l'historien Pierre Vidal-Naquet était l'éminent représentant, qui a pu démontrer que l'évasion n'était qu'un leurre", a-t-elle poursuivi.
"Depuis, plus rien. Vidal-Naquet a toujours défendu l'idée qu'Audin avait été étranglé par le lieutenant Charbonnier au cours de l'interrogatoire, mais cette version reste fragile", a-t-elle dit.
Elle confirme aussi que très récemment, une journaliste du Nouvel Observateur, Nathalie Funès, a trouvé une autre version dans un manuscrit inédit du colonel Godard qui présume qu'Audin aurait été exécuté par un certain Garcet.
"Cet homme, toujours en vie, a refusé de la rencontrer et de répondre à ses questions, de telle sorte qu'aujourd'hui, Josette Audin et ses enfants ne savent toujours pas ce qui est arrivé à Maurice", a rappelé Sylvie Thénault.
Au sujet de l'hommage rendu par le président Hollande à Maurice Audin lorsqu'il s'est rendu lors de sa visite à la place éponyme, et sur les engagements pris pour remettre les archives sur l'assassinat du jeune militant communiste de la cause nationale, l'historienne a soutenu que les historiens savent l'essentiel, à savoir que "la torture a fait partie intégrante du système de lutte contre les nationalistes algériens".
"Les responsabilités ne sont guère difficiles à établir : le pouvoir politique, le gouvernement du socialiste Guy Mollet, en particulier, a donné aux militaires les pouvoirs de police, c'est-à-dire le pouvoir d'arrêter, d'interroger et de détenir de simples suspects et ce, légalement, par un décret adopté grâce aux pouvoirs spéciaux qu'il avait obtenus avec les suffrages des députés communistes", a-t-elle relevé.
Sur ce point, l'historienne considère que la responsabilité de la gauche est "énorme", ajoutant que c'est bien grâce à ces pouvoirs que les parachutistes ont pu, à Alger, arrêter Audin et le détenir au secret et camoufler la vérité sur son sort.
Elle affirme aussi qu'au sein de l'armée, "la pratique de la torture a pris une telle ampleur qu'elle ne s'est pas cantonnée aux seuls services spéciaux chargés du renseignement" et que des hommes du contingent "y ont participé".
"Tout cela a été établi depuis longtemps et, en grande partie, grâce à la consultation des archives de l'armée qui, dans les années 1990, ont été largement ouvertes aux historiens", a-t-elle mentionné.
"Evidemment, les choses sont différentes pour les membres de la famille de Maurice Audin qui sont toujours dans l'attente de savoir la vérité. Le problème est que, à mon avis, on ne trouvera rien de plus dans les archives", a-t-elle affirmé, observant qu'"il faut bien comprendre que les archives publiques ne sont que les papiers laissés par les administrations".
"Supposer que la vérité y figure, c'est penser qu'à l'époque, quelqu'un, dans une administration de l'Etat, a connu la vérité, l'a consignée par écrit et a conservé cette trace. C'est hautement improbable. Il y a eu une instruction judiciaire dont on connaît le dossier et le juge a buté sur le mur du silence des militaires", soutient encore cette historienne.
De son point de vue, aujourd'hui, il faudrait que ceux qui savent quelque chose et qui sont encore en vie "soient obligés de parler".
"Autant dire qu'il faudrait rouvrir l'enquête et convoquer ces hommes, comme Garcet. Mais alors là (...) c'est une véritable forteresse juridique qu'il faudrait trouver le moyen d'abattre", a-t-elle suggéré.
Spécialiste du droit et de la répression coloniale en Algérie, Sylvie Thénault a d'abord travaillé sur la période de la guerre d'indépendance avant d'élargir ses recherches à l'ensemble de la période coloniale (1830-1962).
Elle est l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment "Histoire de la guerre d'indépendance algérienne", "Une drôle de justice" et "Les magistrats dans la guerre d'Algérie.


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