Métamorphoses de l’écrivain algérien contemporain!

Publié le 29.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

L'image de l'écrivain est devenue virtuelle.
Jadis, dans l'imaginaire collectif algérien, l'écrivain, le poète ou le romancier peu importe le genre littéraire, enfilait, en quelque sorte, l'image de prophète ou de fou. Aux yeux de la société, écrire un livre représentait un fait mystérieux. Aux yeux du lectorat le livre écrit par un écrivain puisait sa force de celle du Livre sacré. L'écriture, quel qu'en soit le contenu, appartenait à l'espace du sacré. Ainsi l'écrivain ne dépendait pas des humains. Jadis il y avait peu de livres et peu d'écrivains. Rencontrer un écrivain reconnu en chair et en os, celui-là même qui est l'auteur des livres, était pour le citoyen lambda un moment magique et rare. Jadis, il y avait le fou du village et l'écrivain du village! Et l'image de l'écrivain dégageait une impression de religiosité.
Et puis les temps ont changé, la société aussi. Nous sommes au milieu du vingtième siècle, les mouvements de libération et la pensée marxiste s'installent dans le quotidien du citoyen. Les choses bougent. Les medias de l'époque, journaux, radio et télévision noir et blanc, sont de plus en plus à la portée du citoyen. La classe moyenne fait entendre sa voix. L'écrivain change de place, de discours et d'image. Il se libère, ou se fait libérer, de l'image prophétique en endossant une autre celle du révolutionnaire. L'idéologie a remplacé la prophétie. L'engagement prend la place de la révélation.
L'écrivain, aux yeux des nouveaux lecteurs, prend le rôle du politicien. Le livre n'est plus un texte sous forme de codes mystérieux ou peu compris, il s'est métamorphosé en un message clair, pas loin d'un tract! L'écrivain est devenu militant par les textes et par l'action. L'image de l'écrivain s'approche de celle du zaïm d'un parti politique. L'image se désacralise. La voix de l'écrivain n'est plus un murmure mais un discours, appel ou un cri! Elle est de plus en plus commune et décryptée. L'image de l'écrivain se rapproche de celle du citoyen.
Puis arriva la technologie; internet, le smartphone, puis les réseaux sociaux. Nous sommes au début du troisième millénaire, soudain tout est bouleversé. Les médias classiques ont disparu ou presque, rares sont les lecteurs du journal papier, on regarde de moins en moins la télévision, la radio a perdu sa magie, on l'écoute dans la voiture. Les codes de la vie quotidienne ont changé, l'image de l'écrivain est brouillée. Les gens habitent les réseaux sociaux, désertent la vie sociétale avec sa chaleur humaine. La culture de l'image submerge la société devenue folle de la consommation rapide. L'ère des lettres écrites à la main est révolue, que des messages électroniques sans odeurs et sans âme!
L'écrivain se recherche dans ces nouvelles valeurs générées par ce labyrinthe de la technologie numérique. La prise de parole est brouillée et libérée en même temps. Les réseaux sociaux comme tribunes sont à la disposition de tout le monde. C'est la fin de l'ère où seul l'écrivain avait le droit à la parole via les médias classiques, aujourd'hui tout le monde s'exprime sans limite et sans gêne et sans contrôle direct. La censure a changé.
Le rapport entre l'écrivain et le lecteur a changé. L'image de l'écrivain est devenue virtuelle. Les réseaux sociaux ont métamorphosé l'image de l'écrivain.
L'écrivain dont le discours avait une résonnance particulière n'est quasiment plus écouté ou presque. La société change ses symboles et ses valeurs. La place jadis réservée à l'écrivain est conquise par les stars de tous genres et les influenceurs de tous bords. Beaucoup d'écrivains et peu de lecteurs. Tout le monde est joueur mais sans spectateur! C'est la misère du bonheur! La communauté des écrivains est travestie. On ne célèbre plus les livres ou peu.
En ce temps de consommation numérique sauvage et de guerres sans merci, nous assistons à l'effacement de l'image de l'écrivain l'humain du réel au profit d'une autre virtuelle vide et artificielle.
Amin Zaoui