Alger - Birkhadem


MAHFOUD Smain
L’amour de l’Algérie dans les gênes

Smaïn Mahfoud dit Si Mahfoud


Descendant de Sidi Said Outaleb, un saint homme, dont le mausolée se trouve à Ain Hammam, région d’origine, la famille Mahfoud doit son nom patronymique à son ancêtre Oussedik Mahfoud, bandit d’honneur en son temps. Recherché, il décide pour protéger les siens, de les éloigner de la Grande Kabylie et les établit à Dellys puis dans le quartier de Birkhadem à Alger. C’est là que naitront les deux frères de la fratrie qui grandiront entouré de l’affection de leur mère, Smina Hamou qui les élève après le décès de son époux, puisatier de son état, que les colons abandonneront encore vivant, au fond d’un puits, alors que Smain n’a que onze ans et son frère six mois.Né le 11 février 1921, Smain, autodidacte d’une dimension universitaire, devient préparateur en pharmacie. « J’ai exercé durant la Seconde Guerre mondiale la gestion en pharmacie à Birkhadem ».

Il acquiert une longue pratique ; lit beaucoup, passe concours et examens, sanctionné par un arrêté préfectoral décrétant qu’il pouvait exercer dans tout le département français. Imprégné d’idées nationalistes, il adhère au PPA en 1940. Après une période d’activité, il est nommé responsable de kasma. Smain est aussi chargé de la liaison des kasmas environnantes, notamment Mahelma, Souidania, Douira, Ouled Fayet, Baba Hacène… Durant ce temps, en contact avec l’OS au niveau local, il participe au défilé de 1945 à Alger, contre le fascisme et le nazisme organisé par le PPA. Le surlendemain, il ne peut rejoindre son travail à la pharmacie. Des policiers sur ordre du maire fasciste se présentent à son domicile. Alors qu’il est malade, alité, fiévreux, ils l’obligent à se déshabiller, un acte humiliant qui le marque, pour vérifier s’il n’avait pas été blessé lors de la manifestation du 1er mai.

En 1947 et 1952 eurent lieu les élections municipales. « J’ai été tête de liste MTLD. Nous avons été élus avec une majorité écrasante », nous dit-il. Lors de la première séance plénière du conseil municipal, j’ai dénoncé ajoute-t- il, le système de représentativité, système qui donne priorité au 1er collège.

La minorité européenne est représentée par la majorité et la majorité « indigène » est représentée par une minorité. « J’ai condamné fortement cette injustice. Ceci avait soulevé des réactions dans la population et des attitudes arrogantes parmi la classe française », se souvient-il.

Smain Mahfoud s’implique par ailleurs dans un processus culturel et social. Implantation du scoutisme, création d’une école de musique ou le solfège était pratiqué. Il est aussi secrétaire d’une association pour la construction d’une école pour l’enseignement de la langue arabe, association composée de gens aisés sous obédience des oulémas , de même que secrétaire d’une autre association pour l’alimentation en eau potable des cités et lotissements « indigènes » dépourvus d’eau.

Le 1er novembre 1954, le commissaire de police de la commune vient le voir à la pharmacie pour lui faire part d’une convocation du maire. Il y va pour s’entendre froidement menacer par ce dernier : « Si jamais il se passe quoi que ce soit dans la commune, vous serez fusillé ou bien brulé ». Il sait que ce ne sont pas des paroles en l’air. On ne le lâche plus. Les militaires reviennent perquisitionner son domicile. Ne trouvant rien, lui qui lisait beaucoup, il voit tous ses livres amassés durant de longues années brulés.

« J’ai été arrêté le 22 décembre 1954 à la clinique des Orangers où mon épouse avait accouché de notre première fille. Nouvelle perquisition à mon domicile. Il y avait, raconte Smain, une armada de gendarmes. Ils me font traverser à pied le centre de la commune jusqu’à la brigade de gendarmerie et de là, on me dirige à la tristement célèbre villa Mahiédine où on me fait subir les pires sévices. Electricité, baignoires, insultes, course dans un stade sous des coups de bottes et de triques. On m’oblige à ramper à genoux et à quatre pattes … On va jusqu’à me forcer à avaler des excréments et bien d’autres choses encore, que je ne risque pas d’oublier puisque j’en garde des bleus à l’âme et diverses cicatrices, visibles et non visibles. Le calvaire durera treize jours. Depuis la prison civile d’Alger où je suis transféré, j’adresse une plainte au procureur de la République qui daigne me présenter au juge d’instruction Isselin qui me met sous mandat de dépôt. Je suis mis en liberté provisoire puis assigné à résidence à Berrouaghia. Parmi nous, il y avait Youcef Benkhedda, Ferroukhi, Ahmed Bouda et bien d’autres. J’ai la chance que le gendarme que j’aidais généralement à la pharmacie, m’accorde à ma demande 48h pour rejoindre la prison. Je profite de cette aubaine pour me mettre à l’abri et c’est ainsi que je rejoins le maquis des Aurès en 1955. J’y rencontre Mustapha Benboulaid de passage après son évasion d’une prison de Constantine. Il me demande de le suivre au siège de la zone commandée par Adjoul Adjel. Nous nous y rendons escortés par un nombre important de moudjahidine. A la tête du cortège Si Benboulaid et Si Chebchoub, bandit d’honneur, bien avant le déclenchement de la révolution. Informé de mes connaissances en matière médicale, je suis appelé par Si Azzoul qui me demande d’implanter dans la zone un hôpital de campagne. Je m’y attelle sans tarder avec comme premier objectif l’établissement d’une liste de médicaments et d’instruments et pour second objectif, la formation du personnel soignant. Dans cet hôpital constitué de kasmate aménagées, de caches, de huttes et de grottes, nous y avons soigné et opéré un grand nombre de moudjahidine blessés. Les pathologies les plus récurrentes, amputations et occlussions intestinales. J’accompagne à sa demande Si Azzoul pour accueillir Si Amirouche en provenance de la Wilaya III. C’est alors que je suis nommé aspirant par Si Brahim Kabouya puis sous-lieutenant par le colonel Ahmed Nouaoura, lieutenant par Si Souighi et Tahar Zbiri. Ce dernier, devenu commandant, devient membre du Conseil de la Révolution de la Wilaya I et me nomme chargé du service de santé. Il y avait dans ce conseil, les commandants Si Ammar Mellah et Mohamed Salah Yahiaoui que je salue.

L’hôpital s’est vu renforcé par la présence de Si Mahmoud Atsaména, étudiant en médecine et plus tard par Si Abdessalam Ben Badis, ophtalmologue – tombé au champ d’honneur en voulant franchir la ligne Morice – et Zoubida, une aide-soignante qui assistait les femmes réfugiées.

A l’indépendance, j’ai été député pour deux mandats, à la première assemblée constituante en 1962 et en 1965 puis contrôleur national du FLN après la députation jusqu’à la retraite. J’ai été honoré par la Fédération scout de Birkhadem puis récemment par la DGSN, lors des 9es journées médico-chirurgicales, pour mon action lors de la révolution armée. »

Lors de cet entretien, qui s’est déroulé dans la demeure familiale à Hydra, assiste sa femme Fatma Zaourar, qui rejoint son époux aux Aurès après une séparation de sept ans. Une mère au foyer aux doigts verts. En témoigne la beauté de leur jardin dont elle s’occupe encore. Elle nous parle de ses quatre enfants Hafida l’ainée, professeur en médecine ; Nadia ingénieur en agriculture, Mustapha informaticien également présent qui filme l’entretien et le dernier Rédouane diplômé en mécanique. Fatma, titulaire du certificat d’études, n’oubliera jamais, les mots de la directrice française de l’école qui lui dit : « Fatma malgré tes excellentes notes, il ne t’est pas permis de revenir l’année prochaine. » Son grand regret, elle prendra sa revanche avec la réussite de ses enfants.

Nous quittons Smain Mahfoud, qui gagne au maquis l’appellation de docteur. Du haut de ses 96 ans, il tient à nous accompagner jusqu’au seuil de la porte et cueille une branche de bougainvillier à portée de main, qu’élégamment il m’offre.

Bien que la santé du Dr Smain Mahfoud soit plutôt chancelante, compte tenu des tortures qu’il a subies, il n’a rien perdu de son idéal et reste très positif !



Par Leïla Boukli
Publié le 21 nov 2016


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