Alger

Le bréviaire du crypto-sioniste



Publié le 04.01.2024 dans le Quotidien d’Oran

par Djamel LABIDI
(suite et fin)

Dans un précèdent article, nous avions cherché à dresser un portrait du crypto-sioniste. Dans celui-ci, il va être question de son argumentaire.

Le crypto-sioniste a, en effet, un argumentaire, une sorte de bréviaire constitué de thèmes récurrents dans lesquels il puise sa foi en l'Etat hébreu.

«Israël est un pays démocratique»

C'est un des thèmes principaux de la propagande occidentalo-israélienne et de ses porte-voix intellectuels. Les apologistes d'Israël ajoutent aussi «la seule démocratie de la région». Ils pourraient dire aussi «le seul pays colonial de la région».

Nous avons vu, dans le précédent article, qu'un pays colonial ne peut être démocratique pour une cause structurelle : il est basé sur la discrimination. La «démocratie» n'y concerne que la population coloniale, comme un privilège parmi les autres. Ou alors, on pourrait dire que l'Algérie coloniale était un pays démocratique, ce qui d'évidence est une absurdité. Ou on pourrait dire de même de l'Afrique du Sud de l'apartheid qu'elle était un pays démocratique puisqu'il y avait des partis, des élections. Israël, dont la politique est fondée aussi sur un apartheid, a été d'ailleurs le seul pays à reconnaître l'Afrique du Sud blanche jusqu'au bout. Israël a d'ailleurs été pour cette raison le seul pays du monde à ne pas être invité aux obsèques de Mandela.

Plus grave encore, lorsque la colonisation est une colonisation de peuplement, c'est-à-dire de remplacement de la population d'origine, elle représente un danger humain extrême car elle s'accompagne fatalement d'un génocide. L'Histoire l'a montré. Ce fut le cas des États-Unis, de l'Australie, du Canada et de certains pays d'Amérique latine. C'est visible aussi en Palestine à travers des massacres de masse comme celui actuel de Gaza. Cela a été aussi le cas en Algérie dans les premières décennies de la conquête où la population avait été diminuée de moitié et déclinait. Tout cela est indiscutable. Et pourtant l'argument qu'Israël est un pays démocratique, «le seul de la région», est le noyau de l'idéologie occidentaliste concernant Israël. La mauvaise foi n'a pas de limites.

Israël veut détruire tout espoir d'avenir, toute identité palestinienne sur cette terre. Il est symbolique que la première chose que fait le colon israélien c'est d'abattre les oliviers des paysans palestiniens, des oliviers centenaires, voire millénaires. Ces oliviers viennent sans arrêt lui chuchoter, «nous étions là, bien avant toi, de tout temps. Chacun de vous est venu après nous». Le colon ne peut supporter ce reproche silencieux, permanent. Derrière ces crimes contre la nature, il y a le terrible aveu d'Israël que la terre est palestinienne. L'olivier et le palestinien sont abattus pour les mêmes raisons. «L'œil était dans la tombe et regardait Caïn».

Il faut faire ici justice des légendes consistant à présenter Israël comme un «pays démocratique normal» avec une gauche et une droite en compétition, avec même des formes de socialisme comme» les kibboutz» peuplés «d'hommes et de femmes de la gauche», etc. Dans un pays colonial, il n'y a pas de gauche et de droite au sens classique du terme, ou plus exactement il y a une gauche et une droite coloniales. Le 9 novembre 2023 sur LCI, le président du Consistoire central israélite de France proclamait fièrement «qu'en Israël, il n'y a plus ni droite ni gauche, et que le pays tout entier est dans la guerre à Gaza».

C'est l'union sacrée, dès que la nature coloniale du pays est remise en cause. La gauche ne s'est jamais mobilisée contre les implantations de colons. Après l'attaque de Hamas, la gauche et la droite israéliennes qui se chamaillaient «au nom de la démocratie», ont constitué tout de suite un gouvernement d'union nationale. L'Histoire se répète. En Algérie, et dans d'autres pays alors colonisés, la gauche socialiste appuyait le projet colonial, et, qui plus est, avec un discours humaniste. Cette gauche a sombré d'ailleurs dans la question coloniale et a mis du temps à reprendre des forces. Cela a été le cas dans toutes les colonies. L'Histoire aujourd'hui risque de se répéter face à la question palestinienne où les démons du «socialisme occidentaliste», «européocentriste», se manifestent de nouveau, notamment à travers le discours des crypto-sionistes.

Quelques exemples, avec des noms que nous mentionnerons pour la nécessité d'illustrer notre propos en lui donnant des visages. Le 12 novembre, Cohn Bendit, ex-député européen, ex-leader du mouvement de Mai 1968 en France, un «homme de gauche», vient sur les plateaux pour dire que «les émigrés juifs au départ des pays européens étaient pauvres». Les communards déportés en Algérie après la révolte de la Commune de Paris l'étaient eux aussi, «pauvres». Leurs descendants furent des colons acharnés.

Dans l'antiquité, comme l'Occident aujourd'hui, Athènes en lutte contre Sparte avait voulu mettre en avant sa démocratie. Mais son discours idéologique n'a pas résisté à la réalité de ses contradictions, et notamment de celle de son système esclavagiste. Athènes démontrait qu'elle était probablement pire que Sparte. Les peuples qu'elle essayait de séduire par «sa démocratie» de maîtres et d'esclaves l'abandonnèrent peu à peu.

Le thème de l'antisémitisme

C'est peut-être le thème idéologique préféré du crypto-sioniste. Il a l'avantage d'être d'une utilisation très large, d'avoir des racines historiques solides, indiscutables en Europe, et surtout de pouvoir être activé sur simple soupçon. L'accusation d'antisémitisme, à l'origine d'utilisation restreinte, comme dénonçant une forme de racisme, celle contre les juifs, s'est élargie par la suite à toutes formes de critique d'Israël ou même du sionisme. Les Palestiniens, peuple dominé par les juifs d'Israël, pourront alors être qualifiés d'antisémites sans que le crypto-sioniste ne s'étonne du paradoxe. Ils sont dénoncés comme ceux qui veulent «refaire des juifs un peuple errant», alors que ce sont les Palestiniens qui errent sur les routes, et depuis 75 ans.

Ainsi, le matin du 9 novembre, sur la chaîne d'information LCI, l'attentat du 7 octobre est présenté «comme la plus grande tuerie antisémite depuis 1945». Pourquoi une tuerie antisémite puisqu'il s'agit d'une opération contre un État occupant, d'un conflit de territoire, d'un conflit israélo-palestinien ? Les plus de 20.000 morts de Gaza, ce serait quoi alors? Une tuerie «anti quoi ? S'attaquer à un israélien devient donc un acte antisémite, par une aberration de la raison. Par ce biais, le crypto-sioniste va rejoindre le sionisme pur et dur puisqu'on pourrait donc postuler, que partout où il y a dans le monde des juifs, il y a Israël, puisque Israël est l'Etat juif, l'Etat des juifs. Israël pourrait donc revendiquer une exterritorialité générale. Quelle déraison ! Cela ressemble à ceux qui parlent de «racisme anti-blanc», dès qu'il y a réaction inévitable, parfois violente, au racisme originaire, originel, «ordinaire, le «racisme blanc».

En France, le 12 novembre, se tient une marche contre l'antisémitisme à laquelle a appelé toute la France officielle, tout le système médiatico-politique. Sur la bannière en tête, la seule acceptée, il est écrit, «Non à l'antisémitisme» mais pas contre, le racisme comme l'avaient proposé certaines organisations antiracistes. Pourquoi ? Est-ce donc que la seule forme de racisme interdite est l'antisémitisme ? Pourquoi pas les autres ? Serait-ce parce ce racisme particulier, dans le contexte des évènements du conflit israélo-palestinien actuel, est supposé concerner la population israélienne et juive par extension, et donc une population supposée occidentale, et qu'il est donc inacceptable, bien plus grave que les autres formes de racisme. Le message est implicite, quoi qu'on en dise. Cette vision implicite est caractéristique du crypto-sionisme.

La boucle est ainsi bouclée. Sous la bannière de l'unique préoccupation de l'antisémitisme, le crypto-sionisme de gauche peut alors fédérer, aux côtés du sionisme, hommes et femmes de gauche, de droite et de l'extrême droite raciste et xénophobe.

Le président du parti français du Rassemblement national, Jordan Bardella, peut proclamer alors que « le «Rassemblement national» est le meilleur bouclier pour les Français de confession juive ». Zemmour, autre leader de la xénophobie, lui, avait déjà fait tomber le masque. Il avait proclamé qu'il était avant tout Français pour gagner la confiance de certains courants de l'extrême droite nationaliste et xénophobe. A présent, il proclame à tue-tête qu'il est juif puisqu'il s'agit désormais de défendre avec Israël les valeurs occidentales «judéo-chrétiennes» dans un même combat.

On fait l'union sacrée. On se sépare de la culpabilité d'avoir, en Occident, martyrisé pendant des siècles les juifs, d'avoir produit le nazisme et la Shoah, et d'avoir fait de l'antisémitisme une constante culturelle et religieuse. Le délit d'antisémitisme est transféré aux Palestiniens, aux arabes, aux musulmans, aux émigrés, et pourquoi pas au Sud global. C'est déjà presque dit, ça viendra.

Néanmoins, malgré tous ces artifices idéologiques, la marche contre l'antisémitisme trahit une différence énorme avec les marches de soutien à la Palestine en France et ailleurs en Occident. Dans celle contre l'antisémitisme, on n'osait exprimer son soutien à Israël de peur d'éclaircir les rangs. Et il y a, pour celle pour la Palestine, la différence énorme de la présence des jeunes, celle des forces de l'avenir.

La posture victimaire

Voilà un autre trait, une autre ficelle idéologique de la panoplie crypto-sioniste.

6 novembre 2023, Anne Sinclair, une ancienne star de la télé française, soupire sur un plateau de télévision, au sujet des évènements de Gaza, «nous sommes seuls (les juifs NDLR), j'ai une impression de solitude». C'est le retour à la posture victimaire qui représente l'avantage pour le sionisme d'avoir été testée et de rassembler la communauté juive dans sa peur ancestrale, fantasmagorique de persécution, de ghetto, d'isolement. C'est la culpabilité historique, entretenue, de l'Occident envers les juifs. Elle constitue le carburant de l'idéologie victimaire. C'est le point sur lequel se rencontrent sionistes et crypto-sionistes. Et quand, comme aujourd'hui, l'opinion mondiale désavoue les crimes sionistes, Israël, le sionisme, l'intelligentsia crypto-sioniste n'y voient qu'une preuve supplémentaire de la solitude du juif.

«Israël a le droit de se défendre», soupirent les crypto-sionistes. Autre argument victimaire. Jamais un tel argument n'a été autant galvaudé. Il est répété sans cesse par Israël et les États-Unis, et d'autres dirigeants occidentaux. C'est ce que disaient aussi, dans les westerns de notre enfance, les cow-boys qui massacraient «les Indiens». On devrait le dire de façon tranquille : Israël n'a aucun droit de légitime défense en la matière, ni à Gaza, ni en Cisjordanie. Elle est une puissance occupante.

Une guerre existentielle

Le discours «sur une guerre existentielle» menée par Israël est une variante de la posture victimaire. Israël matraque ce thème reprenant en cela peut-être un argument employé dans la guerre en Ukraine. L'argument est repris autant par des intellectuels crypto-sionistes que les medias qui les supportent. Ne serait-ce pas plutôt, si on s'en tient aux faits, les Palestiniens qui sont dans un combat existentiel, de survie.

Au nom de son droit à l'existence, Israël nie en fait celui de la Palestine à exister. La meilleure preuve en est qu'il grignote sans cesse le territoire palestinien. Il rend ainsi impossible l'existence d'un Etat palestinien, et donc de deux États, palestinien et israélien, côte à côte; quelle autre alternative ne laissera-t-il donc aux Palestiniens et aux peuples arabes qui les soutiennent à part la disparition d'Israël ?

L'hypocrisie des dirigeants de certains États arabes voisins n'a pas de limites. L'Égypte et la Jordanie, notamment, prennent argument qu'Israël veut vider Gaza de sa population et créer une nouvelle Nakba pour fermer les couloirs de sortie du territoire. Ils ne pensent même pas qu'il y a un autre moyen tout simple que de fermer les accès à Gaza, c'est de venir au secours de la population palestinienne, d'intervenir, d'arrêter l'agression israélienne, et au moins d'imposer l'approvisionnement de Gaza. L'attitude de ces États arabes relève de la non-assistance à personne en danger. Elle n'est, dans le fond, la même que l'attitude des Israéliens envers les Palestiniens, pauvres hères ballottés, expulsés, rejetés, réprimés. Ces États arabes s'en méfient, au fond comme Israël, et peut-être même plus, car ils sont porteurs de révolte et de changement.

Les dirigeants occidentaux s'appuient sur les dirigeants arabes qui leur sont soumis. Mais en même temps, ils les dénoncent comme corrompus, autocrates, etc. et même, cynisme ultime, d'être eux aussi responsables de l'abandon des Palestiniens et du silence sur la cause palestinienne. Ils font ainsi d'une pierre deux coups dans l'œuvre de destruction du moral des arabes, sollicitant la trahison et la révélant.

Face à tout cela, à toutes ces trahisons qui viennent de ceux supposés les plus proches, la résistance palestinienne à Gaza n'en est que plus exemplaire. Face à la puissance d'Israël, cette résistance est la preuve même que la lutte est possible, face à tous les arguments défaitistes des États arabes voisins qui, comme tous les défaitistes, veulent justifier leur passivité, leur faiblesse par la «trop grande force» de l'adversaire. La résistance palestinienne ne fait que rendre plus apparente, plus évidente l'indignité de ces dirigeants arabes.

Un point force le respect, c'est la dignité des gens de Gaza. L'humanité qu'ils affirment dans ces conditions d'extrême inhumanité. L'a-t-on remarqué, la solidarité est totale entre les Palestiniens à Gaza, bien qu'on les affame, bien qu'on les assoiffe, bien qu'on veuille en faire des «animaux».

Je regardais le visage magnifique d'un vieillard palestinien dressé sur les ruines et les gravats d'un immeuble et qui nous regardait dans les yeux, de l'autre côté de l'écran, nous les spectateurs coupables et impuissants, pour nous dire : «Le monde arabe est malade et nous sommes son remède».

On voit ces longues colonnes humaines de Palestiniens sur les routes. On les voit bombardés au Nord comme au Sud, et on comprend ce qu'est une guerre d'extermination. Elle est menée au nom des valeurs et de la défense de la liberté et de la démocratie occidentale. Quelle plaisanterie hideuse et quelle injure à tout l'Occident dont les dirigeants veulent rendre leurs peuples complices du crime. Pour savoir ce qui s'est passé en 1948 pour l'exode des Palestiniens, il suffit de voir ce qui se passe aujourd'hui à Gaza.



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